Un océan pollué par les déchets et les ordures.

Introduction à la philosophie spirituelle. (Texte no. 24) 

Depuis des temps immémoriaux, les êtres humains ont été renseignés sur leur Histoire par le mythe et la légende. Ainsi les histoires saintes attestent non pas des faits mais de leurs interprétations en fonction des diverses croyances. Alors que la science historique tend vers l’objectivité, les croyances cherchent plutôt à donner un sens aux événements. Pouvons-nous encore comprendre les sources spirituelles de l’Occident, de la Chine et de l’Inde ? Les croyances nouvelles favorisent-elles l’espérance, sans verser dans l’utopie ? Contrairement au discours scientifique, la philosophie spirituelle se caractérise par une non-séparation entre le sujet connaissant et l’objet connu. Elle rend compte d’une quête où, plutôt qu’une accumulation de savoirs, ce sont les sujets qui cheminent. Dans cette recherche intérieure, une vérité unifiée peut se révéler expérientiellement, sur un fond de docte ignorance. En utilisant consciemment des analogies, des symboles et des antinomies, avec une raison ouverte à ce qui n’est pas objectivable, le discours spirituel témoigne d’une expérience qui ne peut être communiquée qu’à d’autres consciences ayant vécues des expériences analogues. Il ne se caractérise pas par une subjectivité entendue comme un manque d’objectivité, mais par le caractère unificateur d’une raison embrasée par un puissant désir d’éternité, sans contredire la science sur son plan. Mircea Eliade a adopté la notion d’archétype pour désigner les symboles fondamentaux (des Modèles, des Archès, des Images primordiales) qui servent de matrice à des séries d’interprétations que l’on retrouve dans diverses religions et cultures. En continuité avec les Sages de l’Orient et de la Grèce, nous sommes convaincus que la Vérité absolue est Une et, tel un foyer vivant, est présente en notre âme, qui est le lien à la réalité véritable et la clef de l’existence. Alors que la matière et l’espace demeurent silencieux, l’intelligence spirituelle est ouverte à une mystérieuse Parole (Voie, Vérité et Vie). La création spirituelle, comme autocréation et art expressif, est un acte d’amour et de liberté, au cœur de ce que nous sommes vraiment. Issue d’un manque associé à un « souvenir » présent en notre âme, l’énergie amoureuse (l’éros) entraîne une puissante volonté de dépasser les limites en vue de retrouver une intégralité perdue. 

Dans la quête humaine du savoir, nous nous égarons rapidement dans la multiplicité des réalités matérielles, historiques et cosmiques. Au plan quantitatif, nous pouvons mesurer le caractère dérisoire de l’existence humaine. Cependant, au plan qualitatif, il est important de prendre conscience que l’univers matériel ignore qu’il existe, alors que nous, nous savons que cette immensité existe. Nous pouvons réaliser que, malgré notre insignifiance objective, nous sommes des êtres d’une importance qualitativement grandiose. La conscience que nous avons de notre insignifiance peut en effet se tourner en son contraire. Si nous ne savions rien de l’univers, ne serait-ce pas comme s’il n’existait pas ? La question peut surprendre, mais elle est pertinente. Que serait un être qui ne sait pas qu’il existe et dont personne ne connait l’existence ? Serait-ce une potentialité d’être connu, un conglomérat tacite d’ondes et de particules ? Nous, qui sommes si peu de chose dans l’économie de l’univers, ne serions-nous pas l’œil qui voit le monde, la conscience de l’être, ce qui donne de l’être aux choses, comme « l’observateur » en physique quantique ? Le mutisme de l’immensité nous écrase et nous fait nous sentir infimes, mais la lumière émanant de notre conscience donne sens à la multiplicité des choses, met l’immensité à notre portée, donne la parole à ce qui est silencieux. Que sommes-nous, nous qui voyons les choses, qui leur donnons de l’être et leur conférons un sens ? Êtres psychiques et pensants, nous sommes par qui se révèle l’être. Plus encore, nous sommes non seulement conscience, mais conscience de nous-mêmes, conscience d’être et de penser, autoconscience. Par cette expérience existentielle, s’opère un autre saut qualitatif : non seulement y a-t-il ce qui est révélé, mais conscience de cette révélation. Du seul point de vue de la matière et de la connaissance objective, ce saut est secondaire, mais, d’un point de vue philosophico-spirituel, il se situe au centre de ce que nous sommes vraiment. 

Lorsque nous pensons, nous sommes un sujet en rapport avec un objet. Mais comment l’objet vient-il à notre conscience ? Est-ce qu’il se donne, ou le produisons-nous sous la forme d’une idée adéquate ? L’objet existe-t-il par lui-même ou passe-t-il par l’intervention d’une conscience ? Nous pouvons le penser comme un objet existant déjà et vers lequel nous allons ; nous l’appelons alors une chose, une situation, un événement, bref, un objet. Pourtant, c’est aux yeux d’un observateur qu’il est tel qu’il se montre. C’est parce que nous sommes comme nous sommes, qu’il est tel. Existons-nous comme sujets à la recherche d’objets à apparaître, ou qui se trouvent déjà là en face de nous ? Pour que nous le cherchions, faut-il qu’un objet existe préalablement ? En ayant conscience de nous-mêmes, nous sommes en même temps dirigés vers des objets. Il n’y a pas de « moi » sans objets, mais pas d’objets sans « moi ». Autrement dit, pas d’objet sans sujet ni de sujet sans objet. Mais s’ils n’existent pas l’un sans l’autre, quel rapport y a-t-il entre eux ? S’ils sont inséparables, quel est donc ce lien d’unité à l’intérieur duquel ils sont malgré tout assez séparés pour que le sujet soit, par la pensée, dirigé vers l’objet ? Quel est cette unité qui précède l’opposition sujet/objet, et qui ne peut être elle-même ni sujet ni objet ? Comme cette mystérieuse unité précède la scission du sujet et de l’objet, nous devons chercher un autre fondement pour la penser. La grande Tradition spirituelle donne une réponse. Au cœur de ce que nous sommes vraiment, à la source de notre conscience, plus nous-même que nous-même, est l’Âme (ou le Soi) en laquelle l’Image divine est présente. En lien avec les processus psychiques et la pensée, Celle-ci (Esprit et Verbe en nous) confère une qualité ontologique à l’univers, de l’Un vers la multiplicité (où se concrétionnent les « vibrations » les plus basses) et de la multiplicité vers l’Un (unifiant les « vibrations » les plus élevées), en un seul Monde « nouménal-phénoménal », en un éternel présent que l’expérience de la Beauté révèle. 

Depuis l’aube de l’humanité, l’être humain fait montre d’un grand désir de connaître et d’explorer. Dans la mythologie grecque, on raconte que c’est Prométhée qui lui donne l’habileté technique, le génie des nombres et des sciences ainsi que l’écriture, mais au défi de Zeus, pour qui l’ordre du monde ne comporte pas une telle indépendance. Dante raconte que, afin que rien ne leur reste caché, Ulysse et ses compagnons ont franchi la limite des Colonnes d’Hercule pour accéder à la gloire que donne la connaissance. Mais, à la suite d’une tempête, la mer les engloutit. En 1957, l’enthousiasme général se déchaîna lorsque le premier cosmonaute sortit sain et sauf du spoutnik russe. On se mit à croire que l’humanité n’était désormais plus dépendante de la Terre et qu’elle allait prendre possession du cosmos, tout comme jadis des Océans. Toutefois, la distance entre le Soleil et son équivalent le plus rapproché est de 4 années-lumière, et c’est bien peu au plan cosmique. En considérant l’immensité de l’Univers, nos voyages habités dans l’espace font l’effet de petits sauts de puce. Compte tenu des coûts exorbitants des projets spatiaux, sans oublier ses effets sur le corps humain, la vision dantesque d’une ruine causée par la témérité humaine garde toute son actualité. Saturne V a coûté en développement et lancement plus de 6,4 milliards de dollars de l’époque, et cela ne représente qu’un tiers du budget total du programme Apollo. La NASA envisage d’utiliser des fusées plus légères et les ressources de planètes, de lunes et d’astéroïdes, mais tant s’en faut. Si, à court terme, le mal de l’espace ne provoque qu’une certaine désorientation et des troubles digestifs bénins, on observe lors de séjours prolongés une perte significative de la masse musculaire, l’apparition d’ostéoporose et une baisse de l’efficacité du système immunitaire. Et l’exercice physique ne suffit pas pour surmonter ces problèmes. À très long terme, on prévoit une atrophie des jambes telle, que la possibilité d’un retour sur Terre serait problématique. La solution idéale serait l’établissement d’une gravité artificielle, mais celle-ci n’est possible que dans l’espace, et à des coûts très élevés. De plus, les particules émises par les radiations modifient les molécules d’ADN. À long terme, elles entraînent des problèmes comme des cataractes, de la stérilité, des cancers et un vieillissement prématuré. À cause de la microgravité qui provoque à la longue un trouble du métabolisme du fer, on prévoit aussi une baisse de l’hémoglobine et du volume globulaire moyen, particulièrement des globules rouges. 

Avec la Lune, mais mille fois plus loin, Mars est une cible privilégiée. L’idée d’une base sur Mars est envisagée, mais sans échéancier connu. On parle d’explorations avec la plus grande utilisation possible des ressources locales. La surface de Mars correspond à celle de la surface continentale de la Terre. De plus, la Planète rouge contient probablement de grandes réserves d’eau souterraines et son atmosphère contient du dioxyde de carbone en quantité (CO 2), sans parler de nombreux minerais, comme le fer. Selon certains, sa colonisation pourrait permettre l’exploitation minière des astéroïdes. Toutefois, la très faible masse de l’atmosphère martienne (surtout constituée de CO 2), les basses températures et les radiations élevées vont imposer des systèmes similaires à ceux utilisés dans l’espace. Les effets à long terme de la faible gravité martienne (un tiers de la gravité terrestre) sont mal connus et pourraient rendre très difficile le retour sur Terre d’humains y ayant fait un long séjour. Il y a des centaines de milliards d’étoiles dans la Voie lactée avec des cibles potentielles pour la colonisation, mais, au vu des distances considérables entre les étoiles, le sujet dépasse le domaine de la science pour entrer dans celui de la science-fiction. À titre d’exemple, le véhicule le plus éloigné de la Terre à ce jour, la sonde Voyager 1, lancée en 1977 et ayant acquis une vitesse de 17,37 km/s, a seulement atteint les limites du Système solaire et mettrait plus de 72 000 ans à rejoindre Alpha du Centaure, l’étoile la plus proche. Certains ont imaginé la construction d’une sorte d’arche spatiale, avec un équipage se renouvelant sur plusieurs générations, mais cela ne pourrait être accompli qu’en relevant le défi de l’autosuffisance. L’hypothèse d’un vaisseau dormant dans lequel l’équipage serait sous une forme de cryonie (d’hibernation), n’est pas envisageable à ce jour, car il n’est pas encore possible de ramener à la vie un humain cryonisé. Les ressources extraterrestres pourraient être exploitées par des machines téléguidées, mais, pour longtemps encore, la colonisation de l’espace à visée de peuplement va demeurer irréaliste. Étant donné l’urgence de conserver ses équilibres vitaux, n’est-il pas important comme jamais de veiller sur notre magnifique planète, tellement plus favorable à la vie que l’espace et les cibles atteignables pour le prochain siècle! Les défis sont nombreux : la déforestation massive, le pillage des ressources de la mer, le dérèglement climatique, la destruction de la biodiversité, les îles de déchets plastiques en mer, l’invasion des microplastiques dans nos océans, nos lacs et nos rivières au détriment des oiseaux et des poissons, et tant d’autres encore. 

Robert Clavet    LaMetropole.Com

JGALe Pois Penché

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.