Un couple de femmes tenant une étoile à la manière de la Philosophie spirituelle.

Introduction à la philosophie spirituelle. (Texte no. 3)

Une pandémie est un événement stressant à l’occasion duquel il est normal de ressentir des émotions inhabituelles, parfois même de la détresse ou de l’anxiété pouvant nécessiter de l’aide psychologique. Est-ce que nos connaissances et nos pensées conscientes déterminent complètement nos comportements ? Dans les lignes qui suivent, à l’aide de la psychanalyse jungienne, nous allons examiner certaines dimensions de l’inconscient, mais essentiellement dans une perspective d’accomplissement spirituel. Alors que « l’inconscient personnel » est formé de contenus psychiques oubliés et refoulés qui peuvent continuer à influencer les individus concernés, « l’inconscient collectif » désigne des représentations archétypiques faisant référence à des motifs généraux non représentables, omniprésents, immuables, identiques à eux-mêmes à toute époque et en tous lieux, qui peuvent provoquer des comportements collectifs spontanés. Les images archétypales spécifiques sont en effet des représentations aléatoires et variables d’archétypes communs que l’on retrouve par exemple dans les grands mythes de diverses cultures sous forme d’images symboliques et de personnifications, qui se renouvellent partout et sans cesse sans qu’il n’y ait nécessairement tradition ni migration historique. Ces archétypes communs, ou mythologèmes, peuvent être imaginés comme des sédimentations d’expériences vécues à travers les âges, formant une sorte de patrimoine spirituel. Ils peuvent agir d’une manière tantôt régulatrice, tantôt stimulante. Présent dans l’imaginaire, ils confèrent une réceptivité pouvant favoriser de nouvelles expériences existentielles et modifier la perception de la réalité. À partir d’expériences psychiques spontanées, comme dans les rêves, les archétypes peuvent apparaître sous leurs formes les plus primitives et les plus naïves, mais ils peuvent aussi apparaître dans des formations plus complexes à la suite d’une élaboration consciente comme dans les mythes populaires, les contes et les dogmes religieux. Ces derniers, entièrement élaborés en structures formelles, expriment l’inconscient de façon détournée, en évitant une confrontation avec celui-ci. Jung insiste sur le fait que l’exploration de l’inconscient passe nécessairement par une confrontation avec « l’ombre », qui est la partie de la psyché formée de la part individuelle qui ne se connaît pas elle-même, à la source de conflits psychiques, comme si nous possédions plusieurs personnalités contradictoires en même temps. Cette exploration amène aussi une intériorisation de l’anima et de l’animus (les deux étant inégalement présents en tout individu), ainsi que de l’archétype du sens.

En unissant symboles et émotions, les archétypes sont des potentiels incommensurables d’énergie psychique pouvant accélérer la réalisation spirituelle, mais pouvant aussi avoir des effets destructeurs. Mais l’enjeu en vaut la chandelle, car cette puissante énergie ne laisse jamais indifférent, et le contraire de l’amour n’est pas la haine, mais justement l’indifférence. Avec une puissance comparable à celle de l’instinct, l’archétype peut orienter l’intellect vers un but avec une passion inouïe et se vêtir d’une logique impitoyable. Il peut captiver par un charme puissant qui, au défi de la quotidienneté, s’accompagne alors d’une plénitude de sens tenue jusque-là pour impossible. Le contenu essentiel de toutes les mythologies, de toutes les religions et de tous les « ismes », est de nature archétypique et comporte une dimension émotionnelle. Ainsi, en période de crise, quand tout est sens dessus dessous et qu’il devient nécessaire de trouver une autre voie ou d’opérer en soi un changement radical, les archétypes se manifestent alors dans les « grands rêves » ou « rêves archétypiques », comme si le Soi passait au pilote automatique. Étonnamment, à l’occasion de ces périodes troubles, après être passée inaperçue pour un temps, la réalité archétypale s’impose à nouveau. Ces états limites peuvent être l’occasion d’un enseignement subtil propre à faire basculer la situation la plus sombre en un moment de lumière, à transformer la pire épreuve en une occasion de découvrir une voie créatrice inattendue. Ils peuvent favoriser l’avènement d’un état psychique disposant à nouveau à l’émerveillement et à l’enthousiasme, ouvrant l’être entier aux mille formes imprévues et captivantes des forces créatrices de la vie. Au long de l’existence, la nostalgie d’une plénitude, parfois exacerbée par certains événements, peut motiver de multiples transformations, mais pour le meilleur ou le pire, car certains changements comportent des risques. Au plan spirituel, le moi, cette réalité psychique éloignée de son lien d’origine, est appelé à s’ouvrir et à intégrer les contenus inconscients propres à élargir le siège de la conscience et à unifier la personnalité. Dans ce périple, nous prenons conscience de notre ombre et apprenons à vivre avec cet aspect troublant de notre être. À l’épreuve de l’étrange fascination qu’exercent certains archétypes, nous pouvons ouvrir progressivement notre esprit à l’archétype de la Totalité, révélatrice du Soi. Dans cette dialectique du moi et de l’inconscient, la réconciliation des contraires est le principe qui gouverne chacune des étapes d’un processus « mort / résurrection », souvent symbolisé par le cycle des saisons, dont l’aboutissement est la connaissance et la réalisation de ce que nous sommes vraiment.

Au début, le moi est davantage un masque (persona) qu’une identité authentique. La marche sur le sentier de la réalisation personnelle commence lorsque nous prenons conscience de ne pas être ce que nous avions cru ni l’image que les autres renvoient, mais un inconnu à nos propres yeux. En prenant une distance par rapport au moi primaire, la prise de conscience de notre ombre conduit à la découverte du « processus de projection de l’ombre » consistant à vouloir briller aux yeux des autres et à accorder une grande importance à l’image de nous-mêmes que ceux-ci renvoient, mais que notre ego trouve généralement insuffisante. Vécu intensément, cet état souffrant contribue à un désir de changement vers une vie plus authentique. Une rencontre assumée avec notre ombre favorise une diminution de la sévérité des jugements que nous portons sur nous-mêmes, ainsi qu’une prise de distance face aux jugements des autres. Nous réalisons que les aspects de soi apparemment négatifs ne sont en réalité qu’un ensemble d’étapes sur le chemin de la plénitude. Intégrer l’ombre requiert l’amour de soi, au fondement d’une confiance qui prémunit contre les préjugés envers soi-même et envers les autres. C’est l’occasion d’un travail de différenciation et de clarification. En avançant sur ce chemin, en aventuriers et en aventurières de l’esprit, nous adoptons une vision approfondie de la réalité et devenons plus impartiaux (c’est-à-dire plus juste, mais par amour, pas seulement par convention, calcul et force de volonté). Le bien et le mal sont alors relativisés et le grave défaut de l’autre est de plus en plus perçu comme la projection d’une carence personnelle. Les pulsions instinctives qui sont source de conflits et de souffrances se transmutent progressivement en énergies créatrices. Le dépassement du dogmatisme moral ou antimoral signifie que nous apprenons à écouter notre cœur, à faire confiance à nos sentiments guidés par l’intuition du Beau et du Bien. Cette étape permet le développement de nos potentialités. L’âme joue alors de plus en plus son rôle et favorise la maîtrise du corps, mais sans aller au-delà de nos moyens spirituels. De nouvelles priorités se font jour. Le sens de l’existence n’est plus déterminé par les exigences de la société et du paraître. Notre âme gravite désormais autour d’un nouveau centre, mais, dans la mesure où elle encore tournée vers l’extérieur, le Soi peut encore s’exprimer par le biais d’archétypes projetés sur des personnes idéalisées.

En incarnant la polarité complémentaire, les personnes idéalisées et admirées plus que de raison sont en quelque sorte des « messagères du Soi ». Dans le cas où celles-ci inspirent un amour passionnel qui assujettit et fait souffrir, cela signifie qu’elles exercent une fascination résultant d’une projection psychique dont nous devons prendre conscience, mais c’est toujours avec grandes difficultés compte tenu de la puissante fascination que leur image exerce. Dans l’inconscient de l’homme et de la femme, ou leur équivalent psychique, réside une image collective de la polarité opposée : l’anima pour les uns et l’animus pour les autres. Ces deux figures symbolisent ce qui manque au moi pour s’élever vers le Soi. Après avoir intégré son ombre, la réunion des polarités anima/animus favorisent une grande intensité existentielle. En évitant la grande perte d’énergie liée à la répression des pulsions troublantes de l’ombre, le moi acquiert plus d’énergie créatrice. En perdant son pouvoir de fascination, avec son cortège d’obsessions aliénantes, l’éros (archétype de l’anima) et le logos (archétype de l’animus) s’unissent en un mariage sacré, et l’énergie érotique se manifeste de plus en plus sous la forme d’aspirations créatrices. Apparaît alors avec plus de forces l’archétype « Lumière », qui est celui du surnaturel, de l’au-delà, indissociable d’un mystérieux tremblement de l’être, propre à l’irruption du Sacré. Ses symboles sont la luminosité et la force, irréductibles au seul monde phénoménal, et la coupe symbolise la victoire et l’immortalité. À ce stade, face à ce pouvoir transcendant, nous pouvons être tentés de rétablir notre personna, de maintenir notre moi primaire, en s’attachant exclusivement à la vie ordinaire, car se consacrer aux nécessités externes peut compenser temporairement l’exigence interne. Nous pouvons aussi être obnubilés par l’éventuelle illusion d’être dotés d’un grand pouvoir nous rendant prématurément prophètes, gurus, coachs de vie ou tout simplement aptes à tout contrôler dans la vie de tous les jours. La conscience de l’insuffisance de l’égo est d’une grande importance pour que le Soi, ce mystérieux archétype latent, puisse rayonner et favoriser la grande marche sur le sentier de la réalisation de soi. En surmontant les illusions de l’égo, notre réalité microcosmique rend alors possible une participation de notre être intégral avec le divin. Nous visons l’accession à une identité et une liberté nouvelles qui comblent l’impression de solitude. Alors notre position dans le Cosmos change, notre intuition tend à saisir la conjonction des opposés et, sans admiration excessive ni réprobations, notre âme accueille et retransmet une puissante énergie amoureuse. Et, par moments, l’espoir qui attend du futur est remplacé par une espérance unissant l’instant et l’éternité.

Robert Clavet    LaMetropole.Com

JGAPoésie Trois-Rivière

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.