Un soldat spartiate affichant sa discipline, sa force et ses compétences exceptionnelles au combat tout en tenant fermement un bouclier et une lance.

Job et le problème du mal. (Texte no. 28)

Il y a 5 milliards d’années, à la périphérie de la Voie lactée, il n’y avait qu’un vaste nuage de gaz et de poussières. Les parties les plus anciennes de la croûte terrestre datent d’environ 4,4 milliards d’années. Les premières traces de vie remontent à 3,5 milliards d’années. Selon nos connaissances actuelles, le premier être humain serait apparu il y a entre 3 et 5 millions d’années (selon que l’on intègre ou pas les australopithèques). Au plan quantitatif, l’étude de la réalité cosmique nous fait prendre conscience du caractère dérisoire de la présence humaine. Cependant, alors que l’univers matériel n’est pas conscient de sa propre existence ; nous, nous savons que cette chose immense et mouvante existe. Si personne n’avait conscience de l’univers, ne serait-ce pas comme s’il n’existait pas ? Que serait un être qui ne sait pas qu’il existe et dont personne ne connaît l’existence ? Serait-il une simple potentialité d’être connu ? Nous, qui sommes si peu de chose dans l’économie cosmique, ne sommes-nous pas des yeux qui voient le monde, qui donnent de l’être aux choses ? Le mutisme de l’immensité nous écrase, nous rend quantitativement infimes, mais l’éclairage de notre conscience donne sens à la multiplicité des choses, met l’immensité à notre portée, donne la parole à ce qui est silencieux. Que sommes-nous, nous qui voyons et donnons sens aux choses ? Êtres pensants, nous sommes des révélateurs de ce qui est. Plus encore, nous sommes non seulement conscience, mais conscience de nous-mêmes, autoconscience. Non seulement y a-t-il ce qui est révélé, mais cette révélation elle-même se révèle à la conscience. Du fait même d’être conscient de quelque chose, alors que c’est l’acte même de percevoir qui rend la réalité telle qu’elle apparaît, se produit un saut qualitatif analogue à une réalité quantique, révélateur du rôle essentiel que nous jouons dans l’Univers. Selon le Dr Stuart Hameroff, lorsque le cœur cesse de battre, les microtubules du cerveau perdent leur état quantique, mais l’information quantique ne peut pas être détruite. Ce qui revient à dire que la conscience (ou l’âme) est immortelle.

Lorsque nous pensons, nous sommes un sujet dirigé vers un objet. Mais comment l’objet vient-il à notre conscience ? Par le fait que nous le saisissons tel qu’il se donne à nous, ou encore que nous le produisons sous la forme d’une idée ? Mais l’objet existe-t-il par lui-même ? Nous pouvons le penser comme un objet existant vers lequel nous allons. Pourtant, c’est pour nous qu’il est tel qu’il se montre : c’est parce que nous sommes, qu’il apparaît tel. Et nous, existons-nous en tant que sujets à la recherche d’objets venant à notre rencontre ou se trouvant en face de nous ? Pour que nous le cherchions, faut-il qu’un objet existe préalablement pour nous ? En ayant conscience de nous-mêmes, nous sommes en même temps dirigés vers des objets. Il n’y a pas de « moi » sans objets, mais pas d’objets sans « moi ». Autrement dit, pas d’objet sans sujet ni de sujet sans objet. Mais s’ils n’existent pas l’un sans l’autre, quel rapport y a-t-il entre eux ? S’ils sont inséparables, quel est donc ce lien d’unité à l’intérieur duquel ils sont malgré tout assez séparés pour que le sujet puisse consciemment percevoir l’objet ? Quelle est cette unité, ce fondement, qui précède l’opposition sujet/objet, et qui, par conséquent, ne peut être elle-même ni sujet ni objet ? Au cœur même de notre réalité psychique est le Soi, présent d’une manière archétypale, et en lequel, en son sommet, se trouve une réalité où l’opposition des contraires est inexistante. C’est la présence d’une lumière transcendante inhérente à la conscience qui rend l’être humain non objectivable dans son intégralité. C’est pourquoi celui-ci ne cesse jamais de conquérir et de se conquérir, d’expérimenter la vie, de manifester une liberté créatrice révélatrice de sa nature véritable.

Ce n’est que par l’exercice de la liberté que l’être humain peut s’accomplir, peut devenir « ce qu’il est vraiment », c’est-à-dire mû par un amour qui le transcende, impossible sans liberté. Mais, en ce monde, la liberté rend possible le bien comme le mal. Grâce à la grande politique, le pouvoir du droit et la possibilité d’exercer la liberté personnelle dans l’État tendent à contenir une violence généralisée. La limite de la liberté personnelle est la liberté et la sécurité des autres ainsi que la reconnaissance de certains droits collectifs favorisant le « vivre ensemble » en fonction de l’identité reconnue par une majorité sur un territoire donné, dans un équilibre qui demande à être constamment repensé. Le combat pour la liberté tire sa source d’une disposition fondamentale qui s’est exprimée par excellence dans la culture occidentale. La liberté de la Cité grecque fut précédée par une volonté grecque de liberté remontant à Homère et aux Ioniens. Son premier sommet s’est exprimé avec Solon, considéré par plusieurs comme ayant instauré la démocratie à Athènes, et son achèvement fut les Guerres médiques entre Perses et Grecs (de -490 à -479) et ses conséquences sur les démocraties naissantes. Dans un même État et entre des États différents, la vie politique est toujours en tension entre la violence possible et la coexistence pacifique. Il est clair maintenant que la situation apparemment solide du monde libre peut se renverser brusquement. Le totalitarisme, desservi par une technologie de plus en plus sophistiquée (y compris la bombe atomique), se fait de plus en plus menaçant. En dehors de la liberté démocratique et multipartiste, il ne reste que l’autoritarisme et la dictature, c’est-à-dire la domination imposée d’un petit groupe sur une majorité. Cela peut être efficace, comme le montrent les succès économiques de la Chine contemporaine, mais n’en est pas moins nuisible au développement essentiel de l’être humain. Bien entendu, la liberté ne va pas de soi : le risque de perdition y est grand, mais sans liberté la perdition est certaine, car cela suppose la négation de la dignité humaine et du sens même de la vie. La libre coexistence d’un groupe de personnes s’obtient par des institutions et des lois, mais, même là, à certaines périodes de l’histoire, la violence peut s’abattre sur une communauté, une nation ou un peuple. Même en temps de paix, la violence demeure en toile de fond. L’histoire a de quoi faire frémir. Dominer, tyranniser, persécuter et torturer semblent faire partie des pulsions humaines, et l’impression qu’il en va autrement en temps de paix n’est qu’une illusion. Pour autant que les autorités les y encouragent, des gens ordinaires, comme ceux que l’on croise tous les jours dans la rue, peuvent inopinément se mettre au service de l’infamie, comme ceux qui ont volontairement suivi Hitler, comme ceux qui, dans les camps de la mort, ont humilié, torturé et assassiné hommes, femmes et enfants par centaine de milliers. Au contraire des politiciens ordinaires obnubilés par des gains immédiats, les grands politiciens ne perdent jamais de vue la tension fondamentale entre la violence possible et la coexistence pacifique librement consentie.

La liberté, valeur fondamentale au nom de laquelle tant de gens ont donné et donnent encore leur vie, sous-tend l’argumentaire de ceux qui luttent pour le droit de s’exprimer et de s’affirmer. Dans la vie ordinaire, la tentation est grande d’ignorer ce qui se trouve au fondement de notre humanité. Pourtant, ou bien nous tenons à la liberté politique, ou bien nous sommes prêts à accepter un pouvoir totalitaire ; ou bien nous croyons que cela vaut la peine de se battre pour la liberté, ou bien nous sommes prêts à accepter l’endoctrinement et l’obéissance non consentie. En matière de jugement de valeur et des choix qui en découlent, nous savons que la science ne peut trancher. La distinction entre les connaissances objectives et les valeurs implique la reconnaissance de certaines adhésions fondamentales choisies librement. L’Idée de Liberté n’est pas le fruit d’une recherche objective ni le résultat d’une démarche déductive, mais est au fondement de toute la série de jugements de valeur à l’appui de la liberté politique. Ou bien nous considérons l’Idée de Liberté comme étant constitutive de l’être l’humain, ou bien nous acceptons de n’être que la partie d’un ensemble pouvant être gérée comme une fourmilière. La mise au clair et la défense de nos valeurs fondamentales témoignent de notre nature profonde comme êtres libres, et non comme partie de l’espèce ou d’une collectivité abstraite idéalisée, concepts magnifiés par ceux qui désirent contrôler et dominer. Sans une Vérité s’élevant au-dessus du monde, la personne humaine finit par être entièrement soumise à la nécessité, à la société et à l’État. Ce n’est qu’en reconnaissant la grandeur de l’être humain comme Visage divin qu’il est possible de trouver un fondement à la lutte contre les différentes formes d’esclavage. Défendre la dignité de l’être humain, c’est lutter contre les forces voulant soumettre celui-ci à ce qui lui est inférieur ; mais cela suppose qu’il y ait quelque chose qui lui soit qualitativement supérieur, mais sans lui être extérieur ni le dominer. Notre filiation divine (gratuite et ne dépendant pas de nos qualités) nous permet, malgré nos limites et nos manquements, de trouver sens à l’existence, dans une quête créatrice comme réponse humaine à une initiative divine.

Dans la culture occidentale, en donnant force et cohésion à l’intuition d’une mystérieuse unité, le Dieu unique a remplacé le polythéisme. Souvent en désaccord, les dieux reflétaient symboliquement l’homme naturel et ses conflits. En servant certains dieux, il était inévitable d’en offenser d’autres, aux exigences irréconciliables. Avec une énergie surprenante, la puissance de l’Un s’est affirmée et a éveillé une volonté qui a une autre origine que la seule nature. En rendant de plus en plus inopportun de prétendre que Dieu prend pour un camp ou pour un autre, l’idée d’un Dieu unique favorise l’essor de la liberté intérieure et extérieure. Elle suppose une conscience reconnaissant une participation à plus que nous-mêmes en tant qu’êtres naturels, et tend à unifier les êtres humains en ce qu’ils ont de plus essentiel. Dans un monde où règnent tantôt la beauté, tantôt le chaos, notre espérance s’exprime par excellence par notre combat pour la liberté, mais sans pouvoir éviter la perplexité et le doute ; car au contraire des faits vérifiables, c’est un sentiment puissant, mais énigmatique qui emporte l’adhésion dans les expériences intérieures qui éclairent la voie de la liberté, toujours en tension vers une mystérieuse unité. Le mot « Dieu » peut donner une impression de solidité et de sécurité, mais celle-ci est souvent contredite par nos expériences de vie et par les horreurs de l’Histoire. Chose certaine, insistons-y, il faut éviter d’objectiver Dieu ou de l’anthropomorphiser. On ne peut jamais identifier la Transcendance à quoi que ce soit de particulier. Dieu est Tout parce qu’il n’est rien (ni ceci ni cela), et Il n’est rien (de ceci ou de cela) parce qu’Il est Tout. Aucun système rationnel ne peut enfermer les Idées issues d’une expérience de la transcendance, mais la philosophie spirituelle tente de les exprimer comme une symbolique de l’expérience existentielle, tantôt apophatiquement, tantôt par des symboles et des analogies, tantôt par des sortes de circonvolutions thématiques qui pointent vers un même Centre, non objectivable.

À la semaine prochaine.

Robert Clavet, Ph.D. Ph.    LaMetropole.Com

JGALe Pois Penché

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.