Job et le problème du mal. (Texte no. 4)

Une représentation philosophique d’une main tendue vers la terre. Une représentation philosophique d’une main tendue vers la terre.

Job proteste contre les insinuations et les accusations portées contre lui. Il s’oppose à l’idée que Dieu étant juste, lui, Job, est nécessairement coupable. Persuadé que ses souffrances sont hors proportion, il s’écrie que Dieu l’attaque sans cause et exige que sa valeur soit reconnue. Il maintient donc sa position, mais ses amis, avec dureté de cœur et au nom d’une doctrine ancienne et dépassée, gardent aussi la leur.

Dialogues : Reformulation à partir de la Bible de Jérusalem, de Port-Royal et de TOB.
Job poursuit son exposé :

Puisque la vie m’est en dégoût, je veux donner libre cours à ma plainte, épancher l’amertume de mon âme. Je vais dire à Dieu : « Ne me condamnez pas, indiquez-moi pourquoi vous me prenez à partie. Pourriez-vous Vous plaire à me faire violence, à avilir l’œuvre de vos mains et à favoriser les desseins des méchants ? Auriez-Vous des yeux de chair, votre manière de voir serait-elle celle des êtres humains ? Votre existence est-elle celle des mortels, vos années passent-elles comme les jours de l’homme, Vous qui recherchez ma faute, qui enquêtez sur moi ? Vous savez bien que je suis innocent et que nul ne peut me soustraire à vos mains ! Ce sont vos mains, Seigneur, qui m’ont façonné ; puis, Vous ravisant, Vous voudriez me détruire ? Souvenez-vous : Vous m’avez fait comme un ouvrage d’argile et Vous me renverrez à la poussière, Vous m’avez vêtu de peau de chair, tissé en os et en nerfs, puis Vous m’avez gratifié de la vie et avez veillé avec sollicitude sur mon souffle. Or voici ce que Vous tramiez ; en cas de manquement, me prendre sur le fait et ne me passer aucune faute. Suis-je coupable, malheur à moi ! Suis-je juste, je ne dois pas lever la tête, soûl de ma misère, gorgé de honte. Si je me relève, tel un tigre, Vous me prenez en chasse. Vous produisez contre moi des témoins, Vous multipliez les effets de votre colère : je suis assiégé de maux et vos troupes se succèdent contre moi. Pourquoi m’avez-Vous tiré du ventre de ma mère ? Plût à Dieu que je fusse mort et que personne ne m’eût jamais vu. En n’ayant fait que passer du sein de ma mère au tombeau, j’aurais été comme n’ayant pas été. Le peu de jours qui me restent ne finiront-ils point bientôt ? Donnez-moi donc un peu de répits afin que je puisse respirer dans ma douleur, avant d’aller sans espérance de retour au pays des ténèbres, couvert de l’obscurité de la mort où tout est sans ordre et dans une éternelle horreur. »

Sophar de Naamath prit la parole et dit :

« Celui qui se répand en tant de paroles, n’écoutera-t-il pas à son tour ? Et suffira-t-il d’être un grand parleur pour paraître juste ? Ton verbiage rendra-t-il muets les autres, te moqueras-tu sans qu’on te confonde ? Tu as dit au Seigneur : « Ma conduite est pure, je suis irréprochable à vos yeux. » Qu’il serait à souhaiter que Dieu parlât lui-même avec toi, qu’il ouvrît sa bouche pour te découvrir les secrets de sa sagesse et la multitude des préceptes de sa loi, pour te faire comprendre qu’il exige beaucoup moins de toi que ne mérite ton iniquité. Prétends-tu sonder ce qui est caché en Dieu et connaître Shaddaï parfaitement ? Il est plus élevé que le ciel, comment peux-tu L’atteindre ? Il est plus profond que le shéol [séjour des morts, lieu sombre sous la terre d’où personne ne remonte], comment arriveras-tu jusqu’à Lui ? La longueur de la terre et la largeur de la mer nous étonnent, mais Il s’étend au-delà de l’une et de l’autre. S’Il renverse et confond toutes choses, qui pourra s’opposer à Lui ? Car Il connaît la vanité des hommes, Il voit le crime et y prête attention. Aussi l’écervelé doit-il s’assagir et l’individu aux mœurs de l’âne sauvage se laisser domestiquer.

Allons, rectifie tes pensées, lève les mains vers Dieu ! Si tu répudies le mal dont tu es responsable et ne laisses pas l’injustice habiter sous tes tentes, alors tu pourras lever la tête comme étant sans tache, tu seras stable et sans crainte. Tu oublieras même la misère qui a été la tienne, comme disparaît un torrent d’eau qui s’est écoulé. Lorsque ta vie semblera être à son couchant, tu paraîtras comme le soleil dans l’éclat de son midi ; lorsque tu te croiras perdu, tu te lèveras comme l’étoile du matin. Confiant, car l’espérance te sera donnée et, en entrant dans le sépulcre, tu dormiras en une assurance entière. Tu seras en repos sans que personne ne te trouble, et plusieurs rechercheront ta faveur. Mais les yeux des méchants seront couverts de ténèbres, ils périront sans ressource ; et les choses où ils avaient mis leur espérance deviendront l’horreur et l’abomination de leur âme. »

Job reprit la parole :

« N’y a-t-il donc que vous qui soyez homme, la sagesse mourra-t-elle avec vous ? J’ai de l’intelligence aussi bien que vous, je ne vous suis point inférieur. Qui donc ne sait ce que vous savez ? Pourquoi un homme devient-il la risée de son ami quand il crie vers Dieu pour avoir une réponse ? On se moque de la simplicité du juste. « À l’infortune, le mépris ! Un coup de plus à qui chancelle », opinent les bonnes gens. Mais les tentes des pillards sont en paix ; pleine sécurité pour ceux qui provoquent Dieu, quoique ce soit Lui qui leur a donné tout ce qu’ils possèdent. Parle à la terre et elle te répondra, interroge les animaux et ils t’enseigneront : les oiseaux du ciel t’informeront et les poissons de la mer t’instruiront. Car qui ignore que c’est la puissance de Dieu qui a fait toutes ces choses, Lui qui tient dans sa main l’âme de tout ce qui a vie et tous les esprits qui animent la chair des hommes ?

L’oreille ne juge-t-elle pas des paroles ; et le palais, de ce qui a du goût ? Le discernement est le fait des vieillards, mais la Sagesse et la Puissance souveraine sont en Dieu : s’Il détruit, nul ne peut rebâtir ; s’Il tient un homme enfermé, nul ne lui pourra ouvrir ; s’Il retient les eaux, tout deviendra sec, et s’Il les relâche, elles inonderont la terre. La Puissance et la Sagesse résident en Lui, Il sait celui qui trompe et celui qui est trompé. Il fait tomber ceux qui donnent des conseils en des pensées extravagantes. Il frappe les juges de démence. Il ôte la bandoulière [bande portée en travers du torse] aux rois et Il ceint leurs reins avec une corde. Il fait que les pontifes soient privés de leur gloire et renverse les puissances établies. Il ôte la parole aux plus assurés et ravit le discernement aux vieillards. Il fait tomber les princes dans le mépris et la confusion, et Il relève ceux qui avaient été opprimés. Il dévoile les profondeurs des ténèbres et amène l’ombre épaisse à la lumière. Il agrandit des nations puis les ruine, Il fait s’étendre des peuples puis les supprime. Il ôte l’esprit aux princes établis sur les peuples de la terre, les fait errer dans le désert, tâtonner dans les ténèbres et chanceler à chaque pas comme s’ils étaient ivres.

Tout cela, je l’ai vu de mes yeux et entendu de mes oreilles. Ce que vous savez ne m’est point inconnu, et je ne vous suis point inférieur. Mais j’ai à parler à Shaddaï, je veux m’entretenir avec Dieu ; mais en faisant voir auparavant que vous êtes des fabricateurs de mensonges et des défenseurs d’une doctrine corrompue. Qui donc vous apprendra le silence, la seule sagesse qui vous convienne ! Écoutez, je vous prie, mes griefs, prêter l’oreille au plaidoyer que mes lèvres prononcent. Pensez-vous défendre Dieu par un langage injuste et des propos mensongers, et prendre ainsi son parti, vous faire ses avocats ? Cela peut-il plaire à Dieu, Lui à qui rien n’est caché ; ou se laissera-t-Il surprendre comme un être humain à vos tromperies ? C’est Lui-même qui vous condamnera, puisque ce n’est que par dissimulation que vous défendez ses intérêts. Aussitôt qu’Il fera paraître sa colère, Il vous épouvantera et vous accablera par la terreur de son nom. Votre mémoire sera semblable à la cendre et vos têtes superbes seront comme de la boue. Faites silence ! C’est moi qui vais parler, quoi qu’il m’advienne. Pourquoi déchirerais-je ma chair avec mes dents et pourquoi ma vie serait-elle toujours comme si je la portais entre mes mains ? Il peut me tuer, mais je n’ai d’autre espoir que de défendre devant Lui ma conduite. Et cela même me sauvera, car un impie n’oserait comparaître en sa présence. Rendez-vous donc attentifs à mes paroles, prêtez l’oreille aux vérités que je vais vous dire. Si ma cause était jugée, je sais que je serais reconnu innocent. Qui veut plaider contre moi ? Qu’il vienne, car pourquoi me laisserais-je consumer sans avoir parlé pour ma défense ?

Je vous demande, Seigneur, seulement deux choses, et après cela je ne me cacherai point devant votre face. Éloignez votre main de moi, ne m’épouvantez point par la terreur de votre puissance. Appelez-moi et je Vous répondrai, ou permettez que je Vous parle et daignez me répondre. Combien ai-je commis de fautes ? Faites-moi voir mes crimes et mes offenses. Pourquoi me cachez-Vous votre visage, pourquoi me croyez-Vous votre ennemi ? Voulez-Vous effrayer une feuille chassée par le vent, poursuivre une paille sèche ? Car Vous donnez contre moi des arrêts très sévères et Vous voulez me consumer pour les péchés de ma jeunesse. Vous avez mis mes pieds dans les ceps [pieds de vigne], observé tous mes sentiers et examiné avec soin toutes les traces de mes pas, moi qui bientôt ne serai que pourriture et deviendrai comme un vêtement mangé de vers. L’être humain naît comme une fleur qui, aussitôt éclose, est foulée aux pieds. Et sur cet être, Seigneur, Vous gardez les yeux ouverts, Vous l’amenez en jugement ! Qui peut rendre pur celui qui est né d’un sang impur ? N’est-ce pas Vous seul qui le pouvez ? Les jours de l’homme sont brefs, le nombre de ses mois et de ses années est entre vos mains, vous avez marqué les bornes de sa vie. Détournez donc vos yeux de lui afin qu’il ait quelque repos, jusqu’à ce qu’il trouve la fin désirée de tous ses efforts. Un arbre n’est pas sans espoir même si on le coupe, car il peut renaître par ses jeunes pousses. Et même avec des racines qui ont vieillies et une souche qui périt sur le sol, dès qu’il flaire l’eau, il bourgeonne et se fait une ramure comme un jeune plant. Mais quand un humain meurt, que devient-il : les eaux de la mer pourront disparaître et les fleuves tarir, celui qui meurt ne se relèvera pas. À suivre…

À la semaine prochaine, pour la suite du Livre de Job.

Robert Clavet, Ph.D. Ph.    LaMetropole.Com

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Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.