Une peinture philosophique de Jésus allongé paisiblement au milieu de l’herbe verte luxuriante.

Job et le problème du mal (Texte no. 5)

Tout en déplorant être injustement abandonné de Dieu et livré de surcroît à des injustes, laissé entre des mains méchantes, Job ne conserve pas moins une ultime confiance en Yahvé. Il interpelle Celui-ci, mais n’obtient aucune réponse.
Dialogues : Reformulation à partir de la Bible de Jérusalem, de Port-Royal et de TOB.  
Job poursuit :

« Oh ! Si Vous m’abritiez sous terre, si Vous m’y cachiez tant que dure Votre colère, si Vous me consentiez un délai pour Vous souvenir ensuite de moi ; mais l’être humain, une fois mort, peut-il vivre à nouveau ? Dans ce combat où je me trouve, j’attends tous les jours qu’un changement survienne. Vous m’appelleriez et je Vous répondrais ; Vous voudriez revoir l’œuvre de vos mains, tandis que maintenant Vous comptez tous mes pas. Vous n’épieriez plus mes manquements, Vous scelleriez ma transgression comme dans un sac cacheté et Vous couvririez ma faute. Hélas ! Comme une montagne finit par s’écrouler, le rocher par changer de place, l’eau par user les pierres, l’averse par emporter les terres, l’espoir de l’homme, Vous l’anéantissez. Vous le terrassez pour toujours et il s’en va, Vous le défigurez puis Vous le congédiez : ses fils sont-ils honorés, il n’en sait rien ; sont-ils méprisés, il ne s’en rend pas compte. Pendant qu’il vivra, sa chair sera dans la douleur et même son âme déplorera son état. »

Éliphaz de Théman reprit la parole et dit :

« Un sage répond-il par des propos en l’air et se repaît-il de la chaleur du vent ? Se défend-il avec des mots inutiles et des discours vides ? Tu fais pire : tu supprimes la crainte, tu discrédites les pieux entretiens devant Dieu. Ta faute te dicte de telles paroles que tu adoptes le langage des blasphémateurs. Ta propre bouche te condamne, et non pas moi ; tes lèvres mêmes témoignent contre toi. Es-tu le premier homme qui ait été créé ? Est-ce qu’on t’enfanta avant les collines ? Es-tu entré dans le conseil de Dieu et acquis la sagesse ? Que sais-tu que nous ne sachions, que comprends-tu qui nous dépasse ? Il y a parmi nous des hommes vénérables par leur grand âge, chargés d’ans plus que ton père. Serait-il difficile à Dieu de te consoler ? Mais tu L’en empêche par l’emportement de tes paroles. Comme la passion t’emporte ! L’égarement de tes vues ne marque-t-il pas l’orgueil de tes pensées ? Pourquoi ton esprit s’enfle-t-il contre Dieu jusqu’à proférer de si étranges discours ? Comment l’être humain serait-il juste et sans tache devant Dieu ? Vous voyez qu’entre les saints mêmes nul n’est immuable et les Cieux ne sont pas purs à ses yeux. Combien plus l’homme qui boit l’injustice comme de l’eau est-il abominable et inutile.

Écoute-moi, je vais te dire ce que je pense, te rapporter ce que j’ai vu. Les sages retransmettent ce qu’ils savent. Ils ne cachent pas ce qu’ils ont reçu de leurs pères, à qui seuls cette terre a été donnée et qui l’ont défendue de l’influence des étrangers. La vie du méchant est un tourment continuel, les années réservées au tyran sont comptées. Son oreille est toujours frappée de bruits effrayants et, au milieu même de la paix, il s’imagine toujours qu’on forme contre lui de mauvais desseins. Quand il est dans la nuit, assigné en pâture aux vautours, il n’espère plus le retour de la lumière et ne voit de tous côtés que des épées. Il sait que sa ruine est imminente. L’heure des ténèbres l’épouvante, la détresse et l’angoisse l’envahissent comme lorsqu’un roi décide l’assaut. Il résistait à Dieu, il osait braver Shaddaï ! Il fonçait sur lui la tête baissée, armé d’un orgueil inflexible. Il a fait sa demeure dans des villes désolées, dans des maisons désertes qui ne sont plus que des monceaux de pierres. Il ne s’enrichira point, son bien se dissipera en peu de temps. Comme un arbre meurtri, il ne fera plus de racines, la chaleur desséchera ses jeunes pousses et ses fleurs seront emportées par le vent ; qu’il ne se fie pas à sa taille élevée, car il se ferait illusion : avant le temps se flétriront ses palmes et ses rameaux ne reverdiront plus. Comme une vigne, il secouera ses fruits verts ; tel l’olivier, il rejettera sa floraison. Oui, le lignage de l’impie est sans fruit. Le feu dévore la tente de l’homme corrompu. »

Job reprit la parole et dit :

« Que de fois ai-je entendu de tels propos. Quels pénibles consolateurs vous faites ! Ces discours en l’air ne finiront-ils jamais ? Et qu’y a-t-il de plus aisé que de parler de la sorte ? Je pourrais moi-même parler comme vous si vous étiez à ma place. Je vous consolerais aussi par mes discours et mon visage rendrait compte de ce que je ressentirais pour vous. Je vous fortifierais par mes paroles, puis je cesserais d’agiter les lèvres. Quand je parle, ma souffrance ne cesse pas et me pousse à bout ; et si je me tais, en quoi disparaîtrait-elle ? Tous les membres de mon corps sont réduits à rien. Les rides qui paraissent sur ma peau rendent témoignage de l’extrémité où je suis. Mes calomniateurs se sont faits mes témoins. Ils se dressent contre moi, ils m’accusent en face ; leur exaspération déchire et me poursuit en montrant des dents grinçantes. Mes adversaires, aiguisant sur moi leur regard, ouvrent une bouche menaçante ; ils s’ameutent contre moi et leurs railleries m’atteignent comme des gifles.

Oui, Dieu m’a livré à des injustes, m’a laissé entre des mains méchantes, Il m’a rejeté. Je vivais tranquille quand Il m’a fait chanceler et m’a saisi par la nuque pour me briser. En fondant sur moi comme un géant, Il a fait de moi sa cible et ne m’a pas épargné, Il m’a environné de pointes de lances et m’en a percé les reins de toutes parts, Il a répandu mes entrailles sur la terre, Il m’a déchiré, m’a fait plaie sur plaie. J’ai recouvert ma peau d’un sac et j’ai couvert ma tête de cendre. Mon visage s’est bouffi à force de pleurer et mes paupières sont couvertes de ténèbres. J’ai souffert tout cela sans que ma main fût souillée par l’injustice, alors que j’offrais à Dieu des prières pures. Terre, ne couvre point mon sang, et que mes cris ne se trouvent point étouffés dans ton sein. Car le Témoin de mon innocence est dans le ciel, Celui qui connaît le fond de mon cœur réside en ces lieux sublimes. Mes amis se répandent en paroles, mais mes yeux fondent en larmes devant mon Dieu. Que je souhaiterais vivement qu’un être humain pût se justifier devant Dieu comme il peut se justifier devant un pair, car mes années sont comptées, je marche sur un chemin sans retour.

Toutes mes forces sont épuisées, mes jours ont été abrégés et il ne me reste plus qu’à attendre le tombeau. Je n’ai pour compagnons que des railleurs dont la dureté obsède mes veilles. Délivrez-moi, Seigneur, et amenez-moi auprès de Vous. La main des hommes s’arme contre moi : Vous avez éloigné leur cœur de l’intelligence, si bien qu’aucune main ne se lève en ma faveur. Je suis devenu une fable pour les gens, quelqu’un à qui l’on crache au visage. Mes yeux s’éteignent à force de chagrin, mes membres s’évanouissent comme l’ombre. À cette vue, les hommes droits sont épouvantés : ils s’indignent contre l’impie qu’ils croient voir et s’affermissent dans leur voie. Vous tous qui venez à la charge, trouverai-je un sage parmi vous ! Mes jours ont fui ainsi que mes projets et les fibres de mon cœur sont rompues. On veut faire de la nuit le jour ; elle serait pourtant proche la lumière qui chasse les ténèbres. Or, mon espoir n’est plus que d’aller sous terre, d’étendre mon lit dans les ténèbres. Je crie au sépulcre : « Tu es mon père ! » ; à la vermine : « C’est toi ma mère et ma sœur ! » Où donc est-elle, mon espérance ? Et mon bonheur, qui l’aperçoit ? Tout ce que je peux espérer va aller sous terre avec moi ; et croyez-vous qu’au moins en ce lieu je puisse avoir du repos ? »

Baldad de Suth reprit la parole :

« Jusqu’à quand te répandras-tu en tant de paroles ? Comprends d’abord ceci, et après nous parlerons. Pourquoi passons-nous pour des brutes à tes yeux ? O toi qui semble résolu à perdre ton âme dans ta fureur, la terre à cause de toi sera-t-elle abandonnée et les rochers quitteront-ils leur place ? La lumière du méchant doit s’éteindre : elle s’assombrit sous sa tente, la lampe qui l’éclairait s’éteint ; et ses pas vigoureux se rétrécissent : il trébuche dans ses propres desseins, ses pieds le jettent dans un filet et il avance parmi les embûches. Un lacet le saisit au talon et le piège se referme sur lui. Le nœud pour le prendre est caché sous la terre, une trappe l’attend sur le sentier. De toutes parts des terreurs l’épouvantent et elles le suivent pas à pas. La faim devient sa compagne, le malheur se tient à ses côtés. Le mal dévore sa peau, le premier-né de la mort [la peste ?] ronge ses membres. On l’arrache à l’abri de sa tente et on le traîne vers le Roi des frayeurs [personnage mythologique qui commande des esprits infernaux]. On peut habiter la tente qui n’est plus la sienne et l’on répand du soufre sur sa demeure. En bas, ses racines se dessèchent ; en haut, se flétrit sa ramure. Son souvenir disparaît du pays, son nom s’efface dans la contrée. Poussé de la lumière aux ténèbres, il se voit banni de la terre. Il n’a ni lignée ni postérité parmi son peuple, aucun survivant en ses lieux de séjour. Ceux qui viendront après lui seront étonnés de ses pertes, et ceux qui sont de son temps en seront saisis d’horreur. Telle sera la ruine de la maison de l’injuste et la fin de celui qui ignore Dieu. »

Job reprit la parole et dit :

« Jusqu’à quand allez-vous me tourmenter et m’écraser par vos discours ? Voilà dix fois que vous m’insultez et me malmenez sans vergogne. Même si je m’étais égaré, cela ne concerne que moi seul. En vérité, quand vous pensez triompher de moi et m’imputer l’opprobre, sachez que c’est Dieu lui-même qui m’a fait du tort et m’a enveloppé de son filet. Si je déplore sa violence, pas de réponse ; si j’en appelle, point d’arbitrage. Il a dressé sur ma route un mur infranchissable, mis des ténèbres sur mes sentiers. Il m’a dépouillé de ma gloire, ôté la couronne de ma tête. » À suivre…

À la semaine prochaine, pour la suite du Livre de Job.

Robert Clavet, Ph.D. Ph.    LaMetropole.Com

Las OlasLe Pois Penché

Docteur en philosophie. Il a enseigné dans plusieurs universités et cégeps du Québec. En plus d’être conférencier, il a notamment publié un ouvrage sur la pensée de Nicolas Berdiaeff, un essai intitulé « Pour une philosophie spirituelle occidentale », ainsi que deux ouvrages didactiques.