Un homme prenant un selfie en écoutant les Chansons du Québec.

Revisiter l’Histoire du Québec en chansons

C’est un très joli petit livre que propose Laurent Lavigne. 27 chansons qui ont marqué le Québec, paru aux éditions Les heures bleues, sont l’exemple d’une publication qui joint l’utile à l’agréable et qui pourrait aisément être mise au programme dans les écoles.

De « Un Canadien errant » à « Dégénérations », en passant par « Moi mes souliers », « Le plus beau voyage », « Si j’étais un homme », Lavigne convie le lecteur à la découverte de la genèse de ces chansons, tout comme au rappel nostalgique de nombreux souvenirs. Ayant dirigé la collection Chansons et monologues aux éditions VLB, l’auteur est plus qu’aguerri en cette matière, mais bien un passionné du sujet. Il lui suffit de deux pages par chanson pour faire un tour d’horizon, sans négliger les détails. Le côté anecdotique de cet ouvrage bien monté et richement illustré (pochettes rares, photos choisies) est ce qui en fait sa principale force. Lavigne ne fait pas dans l’hagiographie (même s’il est toujours enthousiaste et positif) pas plus que dans le mortel style encyclopédique. Au contraire, ses textes vibrent comme des chansons ; ils sont alertes, sautillants, légers tout autant que denses. Pas de prétention, mais du sérieux, et beaucoup, beaucoup de sensibilité. Si l’auteur passait à Questions pour un champion, il gagnerait le pactole : la chanson québécoise n’a pas de secret pour lui.

Auteur d’« Un Canadien errant » ? Antoine Gérin-Lajoie… Et il avait dix-huit ans, au moment de composer cet hymne (autant le dire), qui, presque cent ans plus tard, fit le tour de la planète par la voix de… Nana Mouskouri ! La Bolduc, retenue dans cet opus, connut un sort semblable avec Charles Trenet, qui parla d’un pays à l’autre de celle qui popularisa l’art de turluter. Félix Leclerc, découvert à Paris, refusa de monter sur les planches en habit. Il tenait à sa chemise de bûcheron, qui consacra son image et son succès. Aucune concession, c’est la voie de l’art, le véritable, comme Baudelaire ne cessa de le crier. Dans la capitale française, Félix avait un voisin célèbre, Django Reinhardt, rien de moins… Lavigne raconte alors une délicieuse histoire de guitare. Raymond Lévesque n’eut pas la même chance. Il galéra des années dans le même Paris qui refusait de l’entendre. Il lui fallut attendre presque vingt ans pour que sa chanson «Quand les hommes vivront d’amour », sublime, devienne l’emblème d’un spectacle fameux, et celle, entre autres, des Restos du cœur en 2003. Avec « Frédéric », le grand Claude Léveillée conquit le cœur d’Édith Piaf. La genèse de « Mon pays » est nettement plus difficile à circonscrire, ainsi va la vraie poésie — l’inspiration pure. Une sorte de diamant que Vigneault refusa souvent de sortir de son écrin, de crainte qu’il ne soit endommagé, comme le fit Patsy Gallant en en faisant une version disco. Mais Lavigne a le sens de l’euphémisme et de l’indulgence, précisant que celle-ci était « un peu déstabilisante ».

Ce livre, court et concentré, regorge de ce genre d’anecdotes savoureuses pour qui estime que les coulisses sont aussi importantes, sinon plus, que la scène. La vérité s’y loge parfois davantage, en effet, et Lavigne ne cesse de multiplier les précisions qui ne sont jamais de trop. Ainsi Georges Dor, auteur d’un véritable hymne — un autre — sur les barrages, n’a jamais travaillé à la Manic pour être aussi près de la réalité sensible des hommes qui y besognent, mais bien sûr le chantier de Bersimis. Par ailleurs, Lavigne impose ses vues historiques en affirmant, par exemple, que « Lindberg » est la « première chanson psychédélique entièrement québécoise ». Il dit les choses sans équivoque lorsqu’il déclare que « le Québec tout entier est interpellé » alors que Ginette Reno consacre « Un peu plus haut un peu plus loin », cette chanson de Jean-Pierre Ferland qui, avant cette interprétation, n’avait jamais vraiment décollé.

Pour apprendre (ou se rappeler) le tarif de la suite occupée par John Lennon et Yoko Ono au Reine-Élisabethen 1969… on consulte 27 chansons qui ont marqué le Québec. Pour savoir en combien de langues l’inégalable « Comme j’ai toujours envie d’aimer » a été traduite, et connaître les aléas de l’ascension et de la chute de Marc Hamilton, on lit cet ouvrage. Idem pour comprendre comment Stéphane Venne a composé « Le début d’un temps nouveau » (Lavigne a un faible pour Renée Claude), pour saisir la part de Pierre Harel dans le succès d’Offenbach, ou, enfin, pour savoir que Diane Tell, qui voulait se nommer Bell ou Pell, a son brevet de pilote d’avion — un vrai capitaine.

Cet opus idéal pour la table de chevet, les trajets en métro, la chaise de plage a reçu déjà une kyrielle de recensions positives auprès des médias. Avec raison. Cependant, y a-t-il toujours une ombre au tableau ? Sans doute. On peut se demander pourquoi Beau Dommage mérite que deux de ses chansons soient décrites, alors que l’étonnant Harmonium n’en a qu’une ; on peut regretter que la merveilleuse Isabelle Pierre n’ait été vue que sous l’angle d’« Évangéline », et qu’on ne perce nullement son mystère, ou encore que Mouffe reste encore dans l’ombre de Robert Charlebois, alors qu’elle aurait été dans la lumière avec le choix d’« Ordinaire »… C’est une question de choix, justement, comme le capiteux parfum politique de cet essai, cet essai qui existe, c’est bien cela qui compte.

Poésie Trois-RivièreMains Libres

Auteur de romans, d’essais et de biographies, Marie Desjardins, née à Montréal, vient de faire paraître AMBASSADOR HOTEL, aux éditions du CRAM. Elle a enseigné la littérature à l’Université McGill et publié de nombreux portraits dans des magazines.