Une femme pose gracieusement dans une robe blanche sur fond noir, évoquant le talent artistique saisissant du Grupo Corpo.

Grupo Corp : Vision de l’âme en noir et blanc

De retour à Montréal pour la quatrième fois à l’invitation de Danse Danse, la célèbre troupe de danse contemporaine Grupo Corpo a offert du 23 au 26 janvier un sublime programme double à teneur fortement sacrée.

Quand on dit sacré, on pense trop immédiatement à une interprétation éthérée, désincarnée, où, comme dans les préceptes papaux du Moyen-âge, l’âme primerait sur la chair. Oui mais… si l’âme n’est pas dans le corps alors elle est où, au juste? Dans ce programme double, le chorégraphe Rodrigo Pederneiras a choisi de mettre en scène deux réponses à cette question, la réponse occidentale de Jean-Sébastien Bach et de son siècle dans Bach ( œuvre créée en 1996 ) et la réponse afro-brésilienne, liée au syncrétisme religieux immémorial de ce pays tellement métissé ( et plus globalement de toute l’Amérique latine), dans Gira ( pièce créée en 2017 ).

Au juste, donc, dans ses deux œuvres d’inspiration culturelle extrêmement différentes, à près de vingt-cinq ans d’écart, Pederneiras confirme le style unique, et la philosophie qui le fonde, qui fait la réputation internationale de Grupo Corpo depuis la création de la compagnie en 1975. Une compagnie familiale, qui mobilise trois frères et une sœur Pederneiras ainsi que le fils de Rodrigo. Avec ses vingt-deux époustouflants interprètes aux physiques à la fois athlétiques et langoureux, Pederneiras entraîne une fois encore le spectateur dans une parfaite fusion entre l’exposition délibérément charnelle des corps parfaits et une architecture chorégraphique hyper structurée, le déhanchement lascif et fluide des danses latines, la technicité du ballet classique et la gestuelle contemporaine, la fluidité des danses latines et le mysticisme des rituels sacrés des origines africaines. Il offre une soirée magique, inspirée et inspirante, où la sensualité s’allie à la grâce pour enivrer tous les sens.

En première partie, Bach donne à vivre la musique de Bach. L’écouter et la voir, la toucher des yeux autant que des oreilles. Une scénographie envoûtante au fond bleu nuit sur lequel se détache des barres dorées qui pendent du plafond, et surtout les corps des danseurs moulés dans des justaucorps noirs qui magnifient leurs plastiques et leur technicité sans faille. Dans une combinaison gestuelle époustouflante, une succession de duos, trios, quatuors sophistiqués, élégants et extrêmement géométriques, sensuels aussi, toujours, un envoûtement s’installe, une fascination vous gagne, comme devant un tableau du 17è, au fil de cette aspiration verticale, cette élévation progressive vers la joie pure de l’âme si propre à la musique de Bach, ici réorchestrée par le compositeur Marco Antonio Guimaraes. Et lorsqu’arrive le final, dans le feu des justaucorps or qui cisèlent les corps comme la feuille d’or recouvre les statues antiques, c’est une véritable explosion de lumière. Dans l’âme bien sûr, et donc dans la chair.

Gira, en seconde partie, est une véritable invitation à pénétrer dans le secret d’une cérémonie afro-brésilienne de Camdonblé, ainsi que dans les rituels autochtones de la Pajelança, traditions religieuses polythéistes très anciennes peuplées de divinités qui toutes dansent et où les humains sont invités à danser pour accéder à leur niveau divin ainsi qu’à une modification de leur état de conscience. C’est une transe, quoi, et chaque divinité, féminine ou masculine, a une manière spécifique de bouger. D’où le titre de la pièce, de girar, tourner. Les danseurs de Grupo Corpo y sont envoûtants, en effet, c’est peu de le dire. La scénographie totalement épurée laisse toute la place à la danse, les torsions contorsions et autres déhanchements, aux rapprochements et aux combinaisons chorégraphiques autrement complexes sur un rythme trépidant.

Tout en blanc, la couleur des aspirants initiés. À la suite des merveilleux danseurs, on bascule dans un état particulier, tellurique mais aérien à la fois. Ça fait tellement de bien, et pas seulement à cause de l’hiver québécois.  En noir ou en blanc, ne bascule-t-on pas sans cesse d’un bout à l’autre du spectre de nos émotions, celles qui font de nous des humains faits d’âme et de chair, par-delà cultures et croyances. La danse nous parle toujours de ça, finalement, universellement. Avec tant de beauté. 

Voir le programme complet de Danse Danse à www.dansedanse.ca

Las OlasMains Libres

Parisienne devenue Montréalaise en 1999, Aline Apostolska est journaliste culturelle ( Radio-Canada, La Presse… ) et romancière, passionnée par la découverte des autres et de l’ailleurs (Crédit photo: Martin Moreira). http://www.alineapostolska.com