Une femme portant des lunettes et un haut noir exécute avec grâce des mouvements de danse contemporaine.

M comme aime Marie (beaucoup)

M comme aime Marie (beaucoup). Par Aline Apostolska

Poursuivant son époustouflante 25e saison 2022-2023, Danse Danse a présenté au Théâtre Maisonneuve la nouvelle création de Marie Chouinard sobrement et mystérieusement titrée M. M comme un Moment Magique.

Marie Chouinard y offre une forme de synthèse de tout ce qui caractérise son univers, son travail de longue haleine, donc ses obsessions aussi, dans ses pièces de groupe depuis plus de trente maintenant. Comme une sorte d’élixir tout à la fois concentré et épuré de son vocabulaire chorégraphique et de sa danse organique faite du mouvement du corps et du souffle qui l’anime, des sons et des gestes qui en découlent. Comme la substantifique essence de la galaxie Marie Chouinard, mais — et c’est tout le talent de cette créatrice à l’exigence aussi extrême que son énergie peut être baroque, exubérante et libidinale —, mais tout en se renouvelant, en revisitant ses propres fondamentaux.

M est ainsi une pièce jouissive, colorée, ludique, où vibrent les gorges et où se bâtit l’architecture des corps de ses douze magnifiques interprètes. Douze, dont une, elle, Carol Prieur, interprète emblématique qui a trouvé dans la Compagnie Chouinard sa tribu, comme elle dit, et y danse depuis 27 ans. Plaisirs de tous les sens partagés avec le spectateur, en plein hiver de surcroît ! Il faisait moins 30 C ce soir-là à Montréal. M aura réussi à nous réénergiser et à nous rendre le sourire.

Depuis 1991, Marie Chouinard créé des œuvres pour grands groupes. Avec Les trous du ciel, elle avait effectué un virage radical qui a propulsé plus loin et plus large encore l’écho de sa réputation internationale lancée en 1978 avec ses solos impertinents et inoubliables.

Des pièces inoubliables, il y en a tant dans le répertoire de l’incomparable compagnie Chouinard. Lorsqu’elle propose une nouvelle œuvre on se demande, comme pour tous les grands chorégraphes dont on a déjà aimé plein de créations, l’on se demande, un peu fébrile, si elle parviendra à nous étonner encore. La réponse est oui. Oui, encore. Toujours la même, toujours nouvelle.

Dans M, Chouinard réégrène l’alphabet de son écriture singulière tout en réinventant le phrasé. On retrouve la notion tribale, si centrale dans ses œuvres. Une société d’individus différents, mais solidaires, aux morphologies, aux ossatures, aux musculatures, aux articulations, aux signatures génétiques dissemblables, unis dans l’écoute à la fois de leur propre manière de se mouvoir, et de celle des autres, en harmonie. Dans une belle androgynie aussi, accentuée par les torses nus des filles et des garçons.

Au cours de mes quatorze années à Radio-Canada et La Presse, j’ai interviewé Marie Chouinard à plusieurs reprises et plusieurs fois je l’ai écoutée expliquer combien elle aime l’allure d’un corps dont on peut admirer tout le torse se déployer librement sans entrave. C’est très beau, c’est vrai, n’en déplaise aux bien-pensants de Facebook qui ont censuré la vidéo de promotion de ce spectacle ! Si elle s’était méfiée, Marie Chouinard aurait peut-être collé des pastilles sur les mamelons de ses danseuse comme elle le fait dans les pays, notamment asiatiques, où la nudité dérange. Mais elle n’en a rien fait, ni sur les vidéos ni sur scène, heureusement, rappelons que nous sommes ici et maintenant, à Montréal. M comme Montréal est la ville de Marie Chouinard, son studio, antre de recherche et création et siège de sa compagnie se trouvant avenue de l’Esplanade face au Mont-Royal.

On retrouve sa passion pour la pulsation du souffle, celui qui émeut le corps, étymologiquement qui le met en mouvement. L’écoute des sons, des cris, rauques, chuintés, aigus, venus du ventre et propulsés par la gorge, qui projette, découpe et lie les mouvements. Difficiles les mouvements, fluides et souples, mais qui ne cachent pas la grande maestria des interprètes, poussés loin dans leurs retranchements.

Marie Chouinard signe la partition vocale et la chorégraphie, mais aussi la scénographie globale, les costumes et perruques — rouge, violet, orange, vert, jaune fluo, les lumières projetées sur un simple panneau arrière, la musique de Louis Dufort et les maquillages de Jacques-Lee Pelletier. Une fidélité de longue haleine aussi dans l’esthétique et les collaborations. Avec de la part de toutes et tous, la même dédicace, la même dévotion qui forme un magnétisme communicatif.

Lancée à Québec, M. tournera à travers le Canada puis sur les scènes mondiales où la compagnie est toujours attendue. On a été bienheureux de pouvoir la voir ici dans ses prémisses, et il sera intéressant de la revoir dans quelque temps pour en apprécier la maturation. Le public semblait ravi.

M comme aime Marie Chouinard (beaucoup).

Pour le répertoire, la biographie, et des extraits des œuvres, voir le site de la compagnie :

https://www.mariechouinard.com

Extrait de M :

https://www.youtube.com/watch?v=Z1a3Bfv3r3Y

Poésie Trois-RivièreJGA

Parisienne devenue Montréalaise en 1999, Aline Apostolska est journaliste culturelle ( Radio-Canada, La Presse… ) et romancière, passionnée par la découverte des autres et de l’ailleurs (Crédit photo: Martin Moreira). http://www.alineapostolska.com