Un homme assis sur une chaise avec une barbe grise, engagé dans une danse sereine.

Rencontre avec Roger Sinha

Rencontre avec Roger Sinha à propos de sa nouvelle chorégraphie D’OS ET D’ÉCORCE à l’Agora de la danse du 22 au 25 janvier.

Ce sont des retrouvailles. Entre nous qui nous sommes parlés souvent au cours des deux décennies passées, mais qui ne nous étions plus parlés depuis quelque temps. J’ai toujours aimé les pièces de Roger Sinha, son univers hybride teinté de son goût intelligent pour l’altérité, l’audace inventive, le sens du dépassement et des rencontres et l’énergie, ah ça… beaucoup d’énergie, communicative et magnétique, une énergie charnelle qui a toujours émané de son œuvre comme elle émanait naturellement de lui, comme chorégraphe mais aussi comme superbe danseur contemporain qui a su revisité le baratha natyam de ses origines indiennes, aussi puissamment mais très différemment qu’un Akrm Khan par exemple. Je me souviens d’Akram Khan au tout début des années 2000, un jeune soliste original à Londres, qui me parlait de sa mère bengali… Roger Sinha est né à Londres, lui aussi, dans le creuset londonien devrais-je dire, d’une mère arménienne et d’un père indien, ça influence forcément mais lui, Roger, a choisi Montréal il y a trente ans déjà, comme il a choisi la danse contemporaine absolument, tout en protégeant son sol, ses influences originelles, le tellurisme effréné de la danse hindoue, mais de la musique aussi, qui a toujours été très importante, voire déterminante dans l’ensemble de son œuvre. Roger Sinha a choisi la métropole montréalaise comme base pour bâtir son vocabulaire singulier, riche, bigarré, sonore et pulsif, délibérément contemporain. En trois décennies, il s’est fait connaître et reconnaître pour cela, sur les scènes internationales. Et puis… vous connaissez l’histoire. Les choses que l’on a réussi nous définissent et nous valorisent mais elles peuvent aussi bien nous ankyloser. Il s’agit de continuer son chemin créatif tout en se renouvelant. C’est exactement le cas de sa nouvelle pièce, D’os et D’écorce, présentée à l’Agora de la danse à partir du 22 janvier.

Ce sont des retrouvailles avec l’Agora de la danse surtout, qui a permis à la danse de Sinha de se déployer mais où il n’avait pas présenté d’œuvre depuis que l’Agora est installée à l’Espace danse, dans le magnifique édifice du Wilder. « J’aime beaucoup l’espace du Wilder, le design et l’énergie de ce lieu, dit-il. Je suis très heureux de renouer avec l’Agora où je ne m’étais plus présenté depuis 2013. J’ai vraiment hâte ! »

Mais c’est surtout de l’inédit. D’autant que cette nouvelle œuvre pour six danseurs et deux musiciens sur scène, sur une marquante et enlevante création musicale de la célèbre compositrice Katia Makdissi-Warren, ainsi que deux chanteuses de chants de gorge inuit, marque elle plus une évolution et une prise de risque que des retrouvailles. Avec D’os et d’écorce, Roger Sinha va encore plus loin dans sa signature faite de mixages des cultures et des identités artistiques, mais surtout il innove. Il ose.

Il ose et d’abord, alors que la rythmique percussive imprègne encore fortement sa chorégraphie, cette fois Roger Sinha ose être sur scène sans danser. « Il y a l’âge, admet-il, oui mais il y a surtout que je voulais être présent avec une toute nouvelle expérience pour moi, ma nouvelle passion pour le didgeridoo. »

DIdgeridoo ? Oui, cet instrument intrigant, fascinant, qui appartient totalement à l’identité des aborigènes australiens. Entre la danse hindoue, les chants de gorge inuits et le souffle continu caractéristique du didgeridoo, Sinha décidément aime les cultures plusieurs fois millénaires, celles qui venues de très loin marquent le monde d’aujourd’hui, hier pour ici et maintenant. Mais pourquoi le didgeridoo au fait ?  « J’en joue depuis 5 ans, explique-t-il et je suis tombé dedans de manière complètement inattendue. Je faisais de l’apnée du sommeil et j’ai refusé la machine qu’on me proposait pour dormir avec, quand on m’a dit que le didgeridoo améliorait l’état de sommeil. J’ai essayé et j’ai adoré. C’est très difficile, vraiment. C’est une sacrée prouesse que de parvenir à créer le souffle continu indispensable pour jouer du didgeridoo. Puis j’ai découvert qu’on pouvait jouer avec. Aller plus loin dans l’interprétation contemporaine de cet instrument qui n’existe pas dans l’utilisation qu’en font les Aborigènes. Je me suis mis à improviser, et c’est ce que fais sur scène pendant toute la pièce. »

Mais pas seulement. Car cette nouvelle œuvre lui a ouvert la porte à d’autres audaces : « C’est comme si au milieu de la cinquantaine, sourit-il, je découvrais d’un coup de nouvelles libertés.»  Ou plutôt qu’il s’y autorisait. « Liberté de mélanger musique iranienne, libanaise dans la trame de Katia, d’autres influences musicales, des chants inuits qui me fascinent depuis longtemps mais toujours le rythme indien, et un vrai travail d’improvisation, au moins partiellement, dans la danse avec les danseurs. » Sans oublier la techno. « Ah oui, la techno, j’adore la techno ! C’est justement ce rythme pulsif et cette énergie que j’aime et qui vient ici s’ajouter à toute l’audace chorégraphique et aux innovations musicales. »

De l’inédit, des audaces, des libertés, des innovations, un rythme et une vision tout à la fois pérennes et renouvelés, comme une version à la fois confirmée et tout à fait nouvelle de l’univers de Roger Sinha.

Trop longtemps, trop souvent, on l’a vu uniquement comme un chorégraphe et danseur de danse indienne contemporaine. Il a réussi avec cette nouvelle œuvre à sortir de ce carcan limité en oxygène créatif. « Je suis très fier d’avoir eu des prix liés à la diversité culturelle, dit-il. Je suis un artiste montréalais issu de la diversité culturelle, comme on aime à le dire, oui, c’est vrai. Mais c’est bon à présent, ça suffit. C’est très ghettoïsant. Ok je viens d’ailleurs, mais ça fait trente ans que je suis Montréalais par choix, est-ce qu’on va cesser de me voir toujours et encore comme un artiste immigrant ? D’autant que politiquement, les temps sont difficiles sur la question de l’immigration. Honnêtement ça ne m’intéresse pas. Je suis un artiste contemporain, un danseur, un musicien, un chorégraphe, et voilà. »

Sur son site www.sinhadanse.com il affirme justement Mes racines sont ma révolution. Qu’on se le dise ! Sa nouvelle pièce D’os et d’écorce en fera certainement la preuve, en plus d’offrir un beau moment de plaisir.

Le plaisir lui, est d’ici, d’ailleurs, de toujours.

L’Agora de la danse lance avec Roger Sinha sa saison hiver-printemps 2020. Une saison fort prometteuse à découvrir au www.agoradanse,com

Crédit Photos : Agora de la danse

Las OlasLe Pois Penché

Parisienne devenue Montréalaise en 1999, Aline Apostolska est journaliste culturelle ( Radio-Canada, La Presse… ) et romancière, passionnée par la découverte des autres et de l’ailleurs (Crédit photo: Martin Moreira). http://www.alineapostolska.com