Biographie des auteurs morts de faim

Un tableau capturant un groupe de personnes devant un portail, mettant en valeur l’atmosphère vibrante de la Gastronomie. Un tableau capturant un groupe de personnes devant un portail, mettant en valeur l’atmosphère vibrante de la Gastronomie.
Jour 14 d’isolement.

Il y a des personnes qui en dépit de leur grand talent naissent sous une mauvaise étoile et trainent une vie de misère. Le métier d’écrivain et de poète se prêtent particulièrement à cet état des choses. Aujourd’hui, je vais vous présenter un texte de Charles Colnet, qui était le fondateur du Journal des arts, chroniqueur au Journal de Paris et à la Gazette de France. Il était né en 1768 et c’est vers 1830 que, se préoccupant de ses confrères écrivains, il rédigea un «Manuel du parasite à l’usage des gens de lettres» et une «Biographie des auteurs morts de faim». Dans la préface de cette dernière, il écrit : «N’êtes-vous pas auteur ? Cette profession vous a mis à l’abri de l’indigestion.»  Voici donc ce texte savoureux et terrible :

«Homère, qu’ils appellent le prince des poètes, était le roi des gueux. Il allait de ville en ville, récitant ses vers pour avoir du pain. Après sa mort, sept villes se disputèrent l’honneur de l’avoir vu naître. Cela est très honorable, mais n’auraient-elles pas mieux fait de se cotiser et de lui faire une petite pension pendant sa vie? Je dis petite, car Homère n’aurait pas été très exigeant, et aurait senti qu’on ne pouvait pas lui donner autant qu’à un comédien ou à un gladiateur !

«Vous serez immortels mais commencez d’abord par mourir de faim… Voilà la destinée des poètes !»

Il semble que, de tous les genres de poésie, l’épopée soit celui qui rapporte le moins. Le Tasse se trouva réduit à un tel état de dénuement qu’il fut obligé d’emprunter un petit écu pour vivre une semaine. Il alla à pied, tout couvert de haillons, depuis Ferrare jusqu’à Sorrento, dans le royaume de Naples, pour y visiter une sœur qui y demeurait et n’obtint aucun secours. Il fait allusion à sa pauvreté dans un joli sonnet qu’il adresse à sa chatte en la priant de lui prêter l’éclat de ses yeux, n’ayant point de chandelle pour écrire ses vers. Il est vrai que, le lendemain du jour où il mourut, il allait être couronné au Capitole par le pape Grégoire VIII ; mais les Juifs de la Lombardie ne lui auraient pas prêté un sou sur sa couronne de lauriers.

Milton eut beaucoup de peine à vendre son Paradis perdu ; le libraire Thompson lui en donna dix livres sterling, en stipulant que la moitié du prix ne serait payable que dans le cas où cet ouvrage aurait une seconde édition. Ce poème a valu plus de cent mille écus à la famille du libraire.

Cervantès vécut dans l’indigence. Il perdit un bras à la bataille de Lépante au service du roi. Ses comédies, qui eurent le plus grand succès ne le sortirent pas de la misère. Son admirable Don Quichotte fut écrit en prison où il purgeait une peine pour dettes à l’État. La cour, où son mérite était bien connu, ne fit rien pour lui. On rapporte que Philippe III, étant un jour sur un balcon de son palais, aperçut un étudiant qui lisait un livre avec la plus grande attention, et qui de temps en temps interrompait sa lecture pour se frappait le front avec des signes extraordinaires de plaisir. « Ce jeune homme, dit-il, a perdu la tête ou il lit Don Quichotte. » Aussitôt les courtisans coururent vers l’étudiant pour savoir quel livre il lisait, et trouvèrent que la conjecture du roi était juste. C’était sans doute un éloge bien flatteur, mais comme il ne fut suivi d’aucun bienfait, Cervantès mourut pauvre comme il avait vécu.

L’Arioste se plaint souvent de sa pauvreté dans ses satires. Il occupait une maison très petite. Ses amis lui demandant pourquoi, après avoir décrit dans son Roland tant de palais somptueux, il avait bâti une maison aussi mesquine. Il répondit qu’il était « plus facile d’assembler des mots que des pierres ». Il fut cependant gouverneur d’une province de l’Apennin. Mais les poètes ne savent pas s’enrichir.

Lesage l’ingénieux auteur de Gil Blas de Santillane, et du Diable boiteux, habita longtemps une petite chaumière aux environs de Paris, pendant que ses ouvrages faisaient la fortune des libraires. Si l’on en croit les mémoires du temps, deux particuliers se battirent en duel, après s’être disputé le dernier exemplaire de la seconde édition du Diable boiteux. Dans sa vieillesse, Lesage fut obligé de se retirer, avec sa femme et ses filles qu’il n’avait pu marier faute de dot, chez un de ses fils, chanoine de Saint-Omer.

Tristan, auteur de Marianne et d’autres tragédies qui furent toutes représentées avec un grand succès, passait, dit Boileau, l’été sans linge et l’hiver sans manteau. Il se plaint sans cesse, dans ses vers, de son indigence. Voici son épitaphe, qu’il composa lui-même :

Ébloui de l’éclat de la faveur mondaine,

Je me flattai toujours d’une espérance vaine.

Faisant le chien couchant auprès d’un grand seigneur,

Je me vis toujours pauvre et tâchai de paraître.

Je vécus dans la peine, attendant le bonheur.

Louis XIV demanda un jour à Racine ce qu’il y avait de nouveau dans la littérature; le poète répondit qu’il venait de voir le grand Corneille mourant et manquant de tout, même de bouillon ; le roi garda le silence et envoya un secours à Corneille.

Où serait mort La Fontaine, si, après avoir passé près de vingt ans chez Mme de la Sablière, il n’avait trouvé un asile chez Hervart? «J’ai appris, lui dit cet ami compatissant, la mort de Mme de la Sablière, et je viens vous proposer de venir demeurer chez moi. —J’y allais », répondit La Fontaine.

Dufresny devait trente pistoles à sa blanchisseuse ; il l’épousa afin de s’acquitter. Pauvreté n’est pas vice, lui disait un jour un de ses amis. C’est bien pire, répondit le poète.

On a dit de l’abbé Pellegrin : Le matin catholique et le soir idolâtre.

L’archevêque de Paris le força d’opter, et il préféra le théâtre qui lui rapportait plus que l’autel. C’est à cette époque qu’il établit un magasin dans lequel on trouvait à un prix très modique chansons, sermons, madrigaux, panégyriques, épithalames, cantiques, rôles de princesses, de confidentes, etc.

Ce commerce ne l’enrichit pas. Il vivait pauvrement et était fort mal vêtu. Un mauvais plaisant lui ayant demandé un jour «dans quelle bataille son manteau avait été percé de trous»  – à la bataille de Cannes », répondit l’abbé, tombant à coups de canne sur l’impertinent qui insultait à sa misère.

La Bruyère a décrit dans ses Caractères l’état dans lequel il s’est trouvé longtemps : « Qu’on ne me parle plus d’encre, de papier, de plume, de style, d’imprimeur ; je renonce à ce qui a été, qui est et qui sera livre… Suis-je mieux nourri et mieux vêtu ? Suis-je, dans ma chambre, à l’abri du nord ? Ai-je un lit de plume, après vingt ans entiers qu’on me débite dans la place ?

J’ai un grand nom, dites-vous, et beaucoup de gloire ; dites que j’ai beaucoup de vent qui ne sert à rien. Ai-je un grain de ce métal qui procure toutes choses ? »

Diderot, l’auteur de l’Encyclopédie, fut longtemps obligé de donner des leçons pour vivre ; il faisait aussi des sermons. Un missionnaire lui en commanda six, qu’il lui paya cinquante écus. L’auteur estimait cette affaire une des meilleures qu’il eût faites.

« Tout est cher à Paris, et surtout le pain, disait Jean-Jacques Rousseau ! Dans les commencements, il allait tous les jours prendre une demi-tasse au café Procope : la conversation des gens de lettres qui s’y réunissaient était pour lui un délassement agréable ; mais bientôt sa bourse l’avertit qu’elle ne pouvait pas longtemps suffire à cette dépense.

Il n’alla plus au café que de deux jours l’un, ensuite une fois par mois, puis cessa tout à fait d’y aller.

Malfilâtre était en proie à la misère et à ses créanciers lorsqu’il commença son poème de Narcisse. M. de Savine, évêque de Viviers, alla le voir, et trouva le jeune homme le plus aimable dans les horreurs de l’indigence, et dans des frayeurs continuelles d’être arrêté et emprisonné à cause des dettes qu’il avait contractées. Il engagea Malfîlâtre à se soustraire  pour quelque temps aux poursuites de ses créanciers, en changeant de nom et de résidence, et loua pour lui un petit appartement à Chaillot, alors village proche de Paris. Le poète s’y retira sous le nom de La Forêt et au bout de quelques mois il y eut achevé son poème Narcisse. Peu après, il tomba sérieusement malade. Cependant une femme à qui il devait, ayant découvert sa retraite, l’y alla trouver. Malfîlâtre en la voyant, se crut perdu. «Rassurez-vous, lui dit cette excellente femme ; je ne viens point vous demander mon argent, mais vous inviter à venir à Paris, chez-moi, où vous recevrez les secours dont vous aurez besoin. » Malfilâtre accepta la proposition. Cette femme compatissante prit les plus grands soins de Malfilâtre ; mais l’état de cet infortuné jeune homme était devenu incurable. Après deux ou trois mois de souffrances, il mourut chez-elle, âgé de trente-quatre ans.

Gilbert a dit :

La faim mit au tombeau Malfilâtre ignoré ;

S’il n’eut été qu’un sot, il aurait prospéré.

L’abbé de Molière qui n’écrivait pas des comédies, était un homme pauvre, étranger à tout, hors à ses travaux sur Descartes. Il travaillait dans son lit, faute de bois, sa culotte par-dessus son bonnet, les deux côtés pendant à droite et à gauche. C’est dans cette position qu’il se vit enlever un jour le fruit de ses faibles épargnes. Les circonstances de ce vol sont si singulières que je veux, en les rapportant, égayer un peu ce tableau de misères littéraires. Un matin l’abbé de Molière entend frapper à sa porte.

– Qui est là ?

– Ouvrez. »

II tire un cordon et la porte s’ouvre.

– Qui êtes-vous ?

– Donnez-moi de l’argent.

– De l’argent ?

– Oui, de l’argent.

– Ah ! Je comprends, vous êtes un voleur.

– Voleur ou non, il me faut de l’argent.

– Vraiment oui, il vous en faut. Eh bien ! Cherchez là-dedans »

Il tend le cou, et présente un des côtés de sa culotte. Le voleur fouille.

Eh bien, il n’y a pas d’argent !

– Vraiment non, il n’y en a pas ; mais il y a ma clef.

– Cette clef ?

– Cette clef, prenez-la.

– Je la tiens.

– Allez-vous-en à ce secrétaire. Ouvrez. »

Le voleur met la clef à un autre tiroir.

– Laissez donc ; ne dérangez pas : ce sont mes papiers. Ventrebleu! Finirez-vous? Ce sont mes papiers. À l’autre tiroir, vous trouverez de l’argent.

Le voilà.

– Prenez. Fermez donc le tiroir. »

Le voleur s’enfuit.

– Monsieur le voleur, fermez donc la porte. Morbleu ! Il laisse la porte ouverte ! Quel chien de voleur ! Il faut que je me lève avec le froid qu’il fait. Maudit voleur ! »

L’abbé saute du lit, va fermer la porte et revient se remettre au travail sans songer qu’il ne lui restait plus de quoi dîner.

Chatterton, que les Anglais regardent aujourd’hui comme un de leurs plus grands poètes, s’est tué de désespoir. Il n’avait pas encore dix-huit ans. En 1770, il vint à Londres, où il espérait trouver quelques ressources, soit en copiant les ouvrages des auteurs, soit en corrigeant leurs épreuves. Ses espérances ayant été trompées, il s’empoisonna. On a su depuis que souvent il avait manqué de pain, et qu’il regardait comme un mets délicieux une tourte de deux sous.

Wondel, le Shakespeare de la Hollande, après avoir vécu longtemps du mince produit d’une boutique de bas, mourut dans le besoin à l’âge de quatre-vingt-dix ans. Ses obsèques offrirent un spectacle singulier : son corps était porté par quatorze poètes aussi pauvres que lui.

La Bastille, était une ressource pour les gens de lettres et on l’a détruite d’une manière irréfléchie. Quelle bonne chère ils y faisaient ! Marmontel eut le bonheur d’y être admis pour une parodie fort ingénieuse dont il n’était pas l’auteur; et quoiqu’accoutumé à de très bons dîners, il fut émerveillé de celui qui lui fut servi dans cette maison royale.

C’est ainsi que l’on était traité à la Bastille. Je ne parle pas de la bibliothèque, où l’on trouvait les meilleurs livres ; des promenades, où l’on respirait un air si pur, et de la partie de cartes qu’on faisait, le soir, chez le Commandant ou chez M. le Major. La Providence semblait avoir ménagé aux hommes de lettres dans cette demeure royale une aimable retraite où ils pouvaient travailler à loisir et sans les soucis du quotidien. Que de bons ouvrages sont sortis de cette prison, sans parler de l’Henriade que Voltaire composa pendant un séjour qu’il y fit. »

Roger Huet

Chroniqueur

Président du Club des Joyeux

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Mains LibresLe Pois Penché

Ce Québécois d’origine sud-américaine, apporte au monde du vin, sa grande curiosité, et son esprit de fête. Ancien avocat, diplômé en sciences politiques et en sociologie, amoureux d’histoire, auteur de nombreux ouvrages, diplomate, éditeur. Dans ses chroniques Roger Huet parle du vin comme un ami, comme un poète, et vous fait vivre l’esprit de fête.