Quatre oiseaux noirs et blancs sur fond blanc.

LE FABLIAU DES DEUX PERDRIX

Jour 5 d’isolement.

Le fabliau est un genre littéraire médiéval qui servait à distraire le peuple, contrairement à la chanson de geste qui était destinée à l’aristocratie.

Le plus ancien fabliau qui soit parvenu jusqu’à nous a été écrit par Guillaume IX Comte de Poitiers, Duc d’Aquitaine et célèbre troubadour mort en 1123.

Voici un fabliau du Douzième siècle :

« Un vilain appelé Gombaud, avait attrapé deux perdrix au pied de sa haie. Il les apporte à sa femme pour qu’elle les prépare avec soin ; et sort pour inviter son cousin au festin.

Marie les prépare avec soin, les assaisonne avec amour et les met en broche devant l’âtre. Elle savait s’y employer et veille au feu pendant qu’elle tourne la broche.

Comme son homme et son cousin tardent à arriver, les perdrix se trouvant cuites et dorées à point, Marie les dégage de la broche pour les déposer sur un plat, en faisant cela un petit morceau de peau se détache et comme la gourmandise est son faible, elle prend le petit morceau et le met dans sa bouche. Ô ! Comme c’est bon ! se réjouit la gourmande. Si je mange le petit trognon, personne ne s’en apercevra ! Après le trognon, elle tire sur un bout d’aile, mais elle s’en vient toute entière. C’est le destin se dit la femme et la dévore avec délices. L’autre aile lui sourit, elle n’en fait qu’une bouchée !

Son mari et son cousin tardent toujours, Marie va jusqu’au milieu de la rue pour voir s’ils arrivent. Elle regarde d’un côté, puis de l’autre, personne ne vient. Elle sent frétiller sa langue. Elle rentre dans la cuisine toute dépitée, tandis que la perdrix lui sourit dans son assiette. Elle a l’air tellement bonne ; elle commence par détacher une cuisse, puis l’autre et… elle finit par manger tout l’oiseau.

Elle se rend maintenant compte qu’elle s’est mise dans un problème, car une seule perdrix ne serait pas suffisante pour rassasier deux hommes. En plus, elle est tellement gourmande et cette autre perdrix si grasse, si bien dorée, si parfumée est irrésistible ! Marie se laisse tenter par un petit bout, puis par un autre et un autre, et finit par manger tout le second oiseau.

Maintenant, elle doit réfléchir à une excuse. Elle commence par cacher les os et effacer toutes les traces de son crime. Comme son mari est un lourdaud et qu’elle est pleine de ressources, elle lui dira que lorsqu’elle s’apprêtait à mettre les perdrix en broche les chats les lui ont arrachées des mains et les ont mangées.

Voici le vilain mari qui arrive ; il pousse la porte et s’écrie :
« Dis, les perdrix sont-elles cuites ? »

— Oh mari, quel malheur, les chats me les ont mangées !

À ces mots, le villageois bondit sur elle, prêt à l’étrangler.  

— C’était pour rire, dit-elle. Je les tiens au chaud, bien couvertes.

— Alors vite, mon bon hanap de bois et ma plus belle nappe ! Je vais l’étendre sous cette treille.

— N’oublie pas ton couteau, il a besoin d’être affûté.

Sur ces entrefaites arrive en catimini le cousin, se glisse dans la cuisine et embrasse Marie sur le cou. Elle se borne à lui répondre : mon mari est là pars tout de suite !

Mais non lui répond le cousin, c’est justement ton mari qui m’a invité à manger des perdrix.

— Regarde-lui dit Marie, il n’y a nulle perdrix ici. C’est un tour de mon mari qui te soupçonne d’être mon amant. Il ne t’a attiré que pour te couper les… oreilles ! Regarde-le dans la cour, comme il affûte son couteau avec énergie.

Je le vois, dit le cousin, et prend les jambes à son cou.
Alors Marie va à la porte de la cour et appelle son mari : viens vite Gombaud, ton méchant cousin est venu, a pris les perdrix et s’enfouit à toute vitesse.

Le villageois pris de colère et gardant son couteau à la main va après son cousin en lui criant : « Mauvais camarade tu vas voir si je t’attrape ! Et regardant derrière lui, le cousin voit le mari qui lui court après, le couteau à la main et redouble de vitesse pour aller s’enfermer dans sa maison.

Le pauvre homme, retourne chez-lui dépité, et se lamente pendant des heures, devant se contenter d’un repas très ordinaire. »

Ce fabliau nous démontre qu’en matière de gourmandise, les femmes ne cèdent leur place à personne. C’est pourquoi nous les hommes, nous savons que pour les séduire, le meilleur terrain c’est le restaurant.

Roger Huet

Chroniqueur

Président du Club des Joyeux

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Las OlasPoésie Trois-Rivière

Ce Québécois d’origine sud-américaine, apporte au monde du vin, sa grande curiosité, et son esprit de fête. Ancien avocat, diplômé en sciences politiques et en sociologie, amoureux d’histoire, auteur de nombreux ouvrages, diplomate, éditeur. Dans ses chroniques Roger Huet parle du vin comme un ami, comme un poète, et vous fait vivre l’esprit de fête.