Le mythique restaurant Beaver Club de Montréal

Deux chaises en cuir marron dans une salle à manger du restaurant Beaver Club à Montréal. Deux chaises en cuir marron dans une salle à manger du restaurant Beaver Club à Montréal.

Jour 9 d’isolement

Montréal est une ville ludique, où les gens aiment s’amuser été comme hiver : Festival de Jazz, Festival Juste pour rire, Montréal en Lumière. Le plaisir des sens, des yeux, des oreilles, de la bouche… Low food, fast food, moléculaire. Avec ses mille restaurants, Montréal est la ville gastronomique du Canada. Le choix est grand, parfois surprenant et plein de fantaisie, et il y en a pour toutes les bourses.

Un soir que nous sortions à deux, nous cherchions un restaurant gourmet pour nous régaler. Un restaurant qui pouvait nous proposer des produits du terroir québécois frais, qui se retrouveraient dans notre assiette avec toutes leurs saveurs, sans fard. Nul besoin d’avoir un maître d’hôtel pour nous expliquer ce que nous allions déguster, parce que nous voulions le voir, le sentir et le goûter par nous-mêmes. Nous cherchions également un restaurant très confortable parce que nous allions célébrer notre fête d’amoureux. Nous nous sommes vite aperçus que de mille, notre liste se réduisait à dix. Nous voulions aussi, si l’envie nous prenait, que le restaurant puisse nous proposer des plats flambés, comme des crêpes Suzette, qu’il y ait un chariot de fromages et un chariot de desserts, et un grand choix de vins. Il n’en resta qu’un, le Beaver Club du Fairmont Le Reine Elizabeth.

Nous avons réservé et nous sommes arrivés à l’heure. En pénétrant dans la salle spacieuse et magnifique du Beaver Club nous avons été reçus par le gérant qui m’a salué par mon nom. Se souvenait-il de moi d’une autre fois ? Je lui demandai sa carte : Jean-Yvon Le Dour. Très charmant, très expressif, il respirait la joie de vivre. Justement ce que nous voulions ce soir. Il nous conduisit à notre table, elle était magnifique, ornée d’un joli bouquet de fleurs. On nous plaça, et avec gentillesse on nous proposa une coupe de champagne. La fête commençait ! Et avec elle, une valse de serveurs et de petits soins autour de nous. Nous étions heureux.

Jean-Yvon Le Dour

Tandis que nous buvions notre excellent champagne, je racontai à ma bien-aimée que lorsque Michel Busch prit la direction de la restauration en 1984, c’est sous son impulsion que les agapes présidentielles sont devenues pendant douze ans des événements grandioses pouvant accueillir jusqu’à 400 personnes. Ils se tenaient dans le cadre de somptueux dîners galas, ponctués de parades spectaculaires, escortées par des musiciens, auxquelles participaient, plus souvent qu’autrement, des animaux.  

Une année, un tigre s’était échappé de son chariot allégorique, une autre un immense éléphant qui était la vedette, à cause d’une panne accidentelle du monte-charge de l’hôtel avait dû descendre « à pied » les marches de l’étage des congrès jusqu’au Grand Hall pour accéder, à 2 heures du matin, sur le boulevard René Lévesque où l’attendait un camion pour le ramener chez lui au zoo de Granby. Le Beaver Club avait sa mascotte ; c’était Guy-Guy l’ours noir.

On nous apporta l’amuse-bouche, amitié du chef Martin Paquet. Une délicieuse entrée en matière.

Nous avions pensé à prendre les mêmes plats, mon amoureuse et moi, pour partager les mêmes sensations pendant notre souper, mais le menu était si tentant que nous avons commis notre première infraction aux entrées. Le Beaver Club proposait toujours des entrées froides et chaudes. Mon amie choisit une Mosaïque de thon blanc et d’omble chevalier à l’orientale, radis japonais et champignons Énoki. Je jetai mon dévolu sur le Foie gras de canard de Saint-Louis de Gonzague en duo, façon torchon et pressé, confiture de carotte et panais au cidre de glace. J’avoue que j’avais hésité longtemps sur les entrées chaudes. Le Duo Saint-Jacques et langoustine en raviole, ouverte aux chanterelles et céleri rave jus d’une marinière aux herbes me tentait grandement, tout comme le Bonbon croquant de ris de veau aux épices douces, mais il fallait choisir.

Les plats arrivèrent, tellement beaux. Dans un grand restaurant, on ne s’échange pas les bouchées, mais nous sommes des gourmets et c’était notre fête d’amoureux. On nous apporta très gentiment deux assiettes pour pouvoir partager toutes nos sensations gustatives.

Chaque bouchée de ces deux entrées c’était le ciel ! Comme boisson, on nous proposa du vin blanc, nous préférâmes rester au champagne et on nous servit deux nouvelles coupes.

Comme deuxième plat, nous hésitions encore. Il y avait les grands classiques du Beaver Club qui n’ont pas changé en cinquante ans : le Filet de bœuf Wellington grande tradition et le Châteaubriand, bouquetière de légumes, sauce béarnaise. Le bœuf était servi en chariot. Au Beaver Club il y a toujours eu des poissons, des volailles, de la viande et immanquablement un gibier. Nous choisîmes le gibier de saison : Longe de biche de Boileau poêlée au tabac de poivre long et des baies de genévrier, sauce poivrade au chocolat grand cru, qui nous a été servie avec un Pétales d’Ossoyos, VQA, Okanagan Valley.

Les assiettes étaient superbes, elles exhalaient un fumet invitant et en bouche la viande était tendre, délicieuse avec les sauces parfaitement exécutées. Je suis un peu vieille garde, en cuisine j’aime voir et savoir ce que je mange. Ici, c’était la grande cuisine classique bourgeoise.

Ce qui était agréable au Beaver Club c’était l’ambiance. C’était plaisant d’entendre les cris de joie lorsque les tables étaient servies et les convives montraient leur admiration devant les flammes magnifiques des crêpes Suzette.

Nous mangions lentement, appréciant chaque bouchée, chaque goutte de vin. À chaque bon plat, mon amie fermait les yeux et en avalant sa bouchée prononçait un très sincère « delicious ».

Comme le Chef Martin Paquet ce soir assistait à un Congrès gastronomique, c’est le Sous-chef exécutif Jean-Mark Léon, qui est passé nous dire un petit bonjour et s’enquérir si tout était à notre goût. Il nous parla de son souci pour apporter toujours des produits frais du terroir. Ma fiancée lui dit qu’elle avait entendu parler de leur jardin vert biotop sur le toit. M. Léon nous expliqua que dans un souci de fraîcheur, avec ce potager ils arrivaient à récolter jusqu’à 150 bacs de légumes et de produits biologiques.

Devant l’impressionnant chariot de fromages qui arrivait, je demandai conseil au Sous-chef exécutif. Il m’informa qu’avec une fromagerie associée, ils avaient créé des fromages hors commerce, qu’on ne pouvait déguster qu’au Beaver Club. Il y en avait justement un, dont la croûte brune et granuleuse ressemblait à s’y méprendre à une peau de porc. Nous l’avons choisi, il était superbe !

Lorsque je me suis retrouvé en tête-à-tête avec ma beauté orientale, elle m’a dit qu’elle n’avait plus de place pour le dessert ; moi, par contre, je ne saurais dire non à un dessert, parce que dans la tradition occidentale on finit toujours un repas par une gâterie sucrée.

Au Beaver Club ils ont leur propre pâtissier. J’hésitais entre la douceur chocolat grand cru aux fruits tropicaux, la trilogie des crèmes brûlées à la coque, et le nougat glacé de Blanche Neige. Je pris le dernier et, avant le café, je n’ai pu résister à un gâteau Forêt-noire, préparé comme à Vienne, une merveille. Si j’avais eu de la place, j’aurais aussi voulu le soufflé au citron vert et sorbet à la téquila, mais je me suis dit que ce serait pour une autre fois.

L’expresso avec lequel nous avons terminé ce merveilleux souper était parfumé, onctueux, comme il se doit.

L’addition somme toute, était très raisonnable. Pour un repas semblable dans un restaurant de cette catégorie en Europe ou aux États-Unis, nous aurions déboursé de cinq à dix fois le prix. Ma fiancée m’a glissé à l’oreille : « The Beaver Club is forever the best! »

L’hôtel Reine Élizabeth a fermé ses portes en 2016 pour un an, pour cause de rénovations ; son restaurant mythique n’a pas rouvert ses portes au grand regret des gourmets.

Roger Huet

Chroniqueur

Président du Club des Joyeux

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