Karl Lagerfeld

Karl Lagerfeld est mort… vive Lagerfeld !

Karl Lagerfeld est mort. Les journaux ne connaissent pas exactement les causes de son décès. Quelle importance ! Ils n’ont jamais su son âge non plus. Lagerfeld tenait à ses mystères : laissons-lui le plaisir de nous quitter comme la diva qu’il a toujours été…
Rencontre

Je l’ai croisé il y a quelques années à la librairie Galignani, rue de Rivoli, à Paris, chose assez étrange dans la mesure où Lagerfeld avait sa propre librairie qui lui servait de studio, rue de Lille… Il était exactement comme on pouvait le voir à la télévision : baraqué, maquillé, de noir et blanc vêtu, avec un catogan et des lunettes noires. Il se dégageait de lui cette allure caustique et odieuse qu’il ne cherchait pas à cacher. Lagerfeld n’a jamais essayé d’être sympathique et il ne l’était pas. Il s’est forgé une façade de noble allemand décalé, pas du tout en phase avec son époque, alors, que « plus dans son temps » que lui… Tu meurs !

Il est entré dans la librairie, très star, ne cherchant absolument pas à passer incognito. Karl Lagerfeld ne rentrait nulle part incognito. Il imposait une présence qui suscitait immédiatement la retenue et le respect. Il était juste accompagné d’un bel homme plus jeune que lui, qui ne semblait pas être son garde du corps, ni son petit ami, chose pas surprenante lorsqu’on connaît le peu d’intérêt qu’il portait à « la chose »… Plutôt un compagnon très calme. J’aurais imaginé le couturier avec une armada d’assistants hystériques et pontifiants, mais, une fois de plus, Lagerfeld m’a surpris. Éternel irrévérencieux, il a su tout au long de sa carrière surprendre et dérouter. Éclatant de génie lorsqu’il travaillait chez Fendi et Chloé, il est tout de même resté dans l’esprit de Chanel pendant des dizaines d’années. Je ne crois pas connaître de couturier qui ait été capable de devenir l’ombre flamboyante d’un autre couturier. Ça prend, tout de même pas mal de modestie…

Après avoir fait un petit tour de la librairie, avec son compagnon légèrement en retrait, et après avoir feuilleté distraitement quelques livres, il s’est adressé à l’un des libraires qui l’attendait patiemment. Ils se connaissaient visiblement. Lagerfeld s’est montré très tranquille, posé et familier juste ce qu’il faut. Chacun sa place ! C’est tout de même lui qui a dit « Si je sais combien j’ai sur mon compte bancaire ? Mais c’est une question de pauvre, ça ! » Je l’ai discrètement écouté parler au libraire. Il était très gentil et respectueux. Ils devisaient d’une commande de livre en retard, je crois. Lagerfeld était calme, ne montrant aucun signe d’impatience. Il m’est apparu gentil alors qu’il dégageait une telle suffisance… J’ai toujours préféré la fragilité de Saint-Laurent, son meilleur ennemi juré, de qui il disait dans un documentaire qu’il s’était perdu dans sa tour d’ivoire, chose malheureusement vraie.

Fragile

Lagerfeld, lui, était toujours présent, infatigable travailleur qui a commencé à sculpter son corps bien avant que cela devienne la mode. Lagerfeld est toujours resté dans le coup malgré l’argent et la gloire. Il était toujours présent, car derrière l’arrogance insupportable, se cachait un homme qui utilisait le cynisme pour exprimer ses fragilités et ses doutes. En le lisant et en regardant les documentaires sur lui, on peut deviner un homme perdu dans ses contradictions évidentes et ses fantasmes.

Lagerfeld restera certainement comme l’un des couturiers les plus insupportables de l’histoire de la couture, mais certainement comme le plus impressionnant. Jusqu’à la toute fin de sa vie, il a réussi à nous trouver là où on ne l’attendait pas, et ce dans toutes les sphères de la création.

Et, pour finir, je garderai de lui cette citation qui pourrait faire réfléchir plus d’un couturier aujourd’hui « les pantalons de jogging sont un signe de défaite. Vous avez perdu le contrôle de votre vie, donc vous sortez en jogging » et je ferai semblant de ne pas avoir vu qu’on peut trouver des joggings à 165 € sur le site de… Karl Lagerfeld !

JGALas Olas