Jungle du Guatemala

Pérennité et la transmission de la civilisation maya : récit d’une mission littéraire au Guatemala

De La Havane à Guatemala

L’histoire commence en avril 2018 à La Havane, lors d’un congrès de l’IBBY (secteur de l’UNESCO pour l’éducation des jeunes) sur la responsabilité de l’écrivain dans la lecture des jeunes publics. Mon roman Un été d’amour et de cendres (Leméac, Prix du GG 2012 en Littérature Jeunesse) ayant été traduit en espagnol par un éditeur cubain (Un verano de amor y de cenizas, Gente Nueva, 2017) j’y suis invitée durant une semaine. Parmi les délégations sud-américaines, deux représentants du Guatemala, Alfredo et Juan, tous deux cadres du Ministère de l’Éducation guatémaltèque, mais aussi tous deux d’origine maya, le peuple autochtone originel du pays. Après avoir lu mon roman, lors d’un déjeuner, ils me proposent d’aller au Guatemala pour donner un séminaire d’écriture à des écrivains du pays. J’argue d’abord que mon espagnol est insuffisant, ce qu’ils nient (mais qui demeure néanmoins à moitié vrai) puis qu’ils n’ont pas de budget, ce qu’ils affirment pouvoir contourner, puis enfin que je ne pourrais venir que si j’obtiens une aide au déplacement, car si je peux envisager de le faire bénévolement, je ne veux tout de même pas payer pour y aller et y séjourner une semaine. Tout cela cependant n’est que très contingent. L’essentiel, qu’eux et moi partageons d’emblée, c’est la conviction que ce projet doit se faire. Avec une phrase — cette phrase : « Notre peuple est méprisé, dénigré, ignorant, victime de discrimination et de négationnisme, c’est pourquoi il faudrait qu’existe une littérature dans les trois langues autochtones mayas » —, ils remportent non seulement mon assentiment, mais mon adhésion. Active. Engagée. Je promets que je ferai tout ce que je peux de mon côté. Nous nous promettons de nous tenir au courant de nos démarches respectives afin de mener cette mission à bien, puis la vie nous reprend, eux de leur côté et moi du mien. Quand, en octobre 2018, après que toute mon année a été très marquée par les voyages lointains, Alfredo m’écrit que le Ministère de l’Éducation m’invite officiellement tandis qu’une ONG locale assumera mes frais de subsistance. Le 3 novembre 2018, six mois après le déjeuner initial lors du congrès à La Havane, me voici finalement partie pour Guatemala City, avec mon fils cadet Louis, qui parlera des livres que nous avons écrits ensemble il y a dix ans, ce qui lui vaut d’être invité à part entière en qualité d’assistant.

Vie quotidienne au Guatemala

Vie quotidienne au Guatemala

À l’aéroport La Aurora de Guatemala City, un pick-up estampé Ministerio de la Educacion de Guatemala ainsi que son chauffeur expérimenté nous attendent. Bref tour de cette ville propre et bien ordonnancée à défaut d’être vraiment charmante, à la recherche d’un lieu pour changer des dollars canadiens ou même un guichet pour retirer de l’argent avec une carte de crédit canadienne. Impossible, tout simplement. Le dollar, pour les Guatémaltèques, n’est qu’états-unien, ne peut qu’être qu’états-unien. Signe d’une colonisation loin d’être achevée, et si communément répandue dans toute l’Amérique du Sud, surtout en cette Amérique centrale tellement proche des États-Unis, et que l’on lit aussi dans toutes les marques de fast-food et de grandes surfaces qui bondent des centres commerciaux qui n’ont rien à envier aux nôtres. No comment. Au Guatemala on fait donc comme les Guatémaltèques : nous utiliserons des dollars de l’Oncle Sam pour les convertir en quetzal, la monnaie locale, dont le nom poétique est emprunté à l’oiseau emblème du pays, également considéré comme le plus bel oiseau du continent sud-américain, le quetzal, mystérieux et rare, mais que l’on nous promet de rencontrer, peut-être, dans son micro-environnement idéal et montagnard.

Direction, justement, la montagne. Celle-ci débute à quelque cinquante kilomètres au nord de la capitale dans la direction de la région de Peten, la région originelle du peuple maya depuis le 4e siècle av. J.-C. dont le joyau est le site millénaire et classé par l’UNESCO de Tik’al et ses temples érigés au cœur d’une jungle devenue parc national. Le peuple maya vient de cette région puis au fil des persécutions et des discriminations, est progressivement redescendu vers d’autres régions plus au sud, celles de Baja Verapaz et Alta Verapaz. Mais ce peuple autochtone du pays a néanmoins réussi à survivre et à se reproduire, souvent sans métissage (ce qui n’est par exemple pas le cas des peuples autochtones cubains, complètement exterminés et éradiqués — le préambule de la constitution cubaine de 1959, celle de Fidel Castro, le rappelle d’ailleurs —, et dont les caractéristiques ethniques ne se sont transmises qu’au travers des mixages avec les populations d’autres origines). Dans ces régions de Peten, Baja Verezpaz et Alta Verapaz, les Mayas vivent toujours, s’habillent dans leurs vêtements traditionnels (notamment les sublimes tissus tissés et brodés à la main, chaque village ayant un motif de broderie spécifique), parlent leurs langues (il existe 3 langues mayas le achi, le quechi et le potomchi) même dans leurs écoles locales, grâce à des enseignants qui sont de mêmes origines et qui transmettent tant bien que mal une partie de leurs traditions. Le castillan, Espagnol international, domine néanmoins largement, s’impose de plus en plus et la littérature, pour les jeunes comme pour les adultes, n’existe que dans cette langue.

Guatemala

Le site de Tik’al se trouve à 600 km de la capitale. Par la route pentue, serpentine, cabossée et très encombrée, cela prendra environ 12 heures, que nous ferons en deux escales. La première à Rio Dulce, petite ville balnéaire au bord d’un lac qui recèle aussi tout un réseau de mangroves peuplées de reptiles, crocodiles, tortues et serpents ; la seconde à Isla de Florès, charmante île à proximité de la ville de Péten, capitale de la région éponyme, un endroit calme et pittoresque prisé des vacanciers, étrangers et locaux. Tik’al se trouve à 50 km de Florès. Après deux jours de route et une nuit dans notre hôtel de Florès, nous pourrons donc passer une journée complète.

Mon fils et moi faisons la majorité de la longue route à l’arrière du pick-up ministériel, histoire de ne rien rater de l’impressionnant trajet. Les paysages défilent, bruts et majestueux, avec des massifs montagneux de plus en plus nombreux dont les silhouettes sombres se découpent sur des ciels envahis de traînes de nuages poudreux. La végétation tropicale alterne avec une infinité d’arbustes. Guatemala signifie en langue maya « le pays des bosquets » et à les voir à profusion, on en comprend le sens. Tous les tons de vert se fondent en une mosaïque imposante, preuve du fort taux de pluviométrie de la région. En ce début novembre, outre quelques ondées passagères, le temps reste clair et doux, avec une température moyenne de 25 degrés C, le thermomètre chutant carrément la nuit lorsque l’on atteint le cœur des montagnes. Parfois, sans prévenir, le soleil se met à taper fort et il devient alors risqué de rester à l’extérieur dans le coffre du jeep, sans protection contre les insolations.

Ces deux jours à regarder défiler la nature autant que les habitants à pied, à cheval ou à motos, les militaires armés toujours présents, les petits villages typiques et les haltes à casse-croûte locaux (la nourriture locale, simple et sans prétention, est néanmoins goûteuse et copieuse au quotidien, le café excellent et le mollé [le chocolat vient de chez eux tout de même…] ont été intenses, poétiques et hypnotiques. Une entrée en matière édifiante avec la réalité des campagnes guatémaltèques.

Tik’al : au cœur de la civilisation maya

Temple de Tikal

À l’issue d’une route qui grimpe de plus en plus dru à travers les montagnes, nous nous retrouvons au cœur d’une jungle que des panneaux signalent comme inhospitalière : là où nos routes préviennent de la possible traversée de chevreuils, voire d’orignaux, dans la réserve naturelle qu’est également Tik’al, on est d’emblée averti du potentiel passage de serpents imposants, de pumas, de jaguars et autres porcelets de brousse. La sérénité, protégée comme un écrin de cette vie sauvage par des arbres gigantesques aux feuillages opaques, n’en est pas moins captivante. Au milieu des chants d’oiseaux et du bruissement des feuilles au gré d’une brise appréciable, car il fait très chaud dès que l’on sort de la couverture forestière, on avance lentement, en voiture puis finalement à pied, dans une ascension permanente, croisant inopinément une colonie d’énormes fourmis à cornes en plein travail, sur des lignes de plusieurs centaines de mètres et à une vitesse folle. Gare à quiconque met un orteil sur leur passage, elles mordent violemment avant de reprendre leur place dans le rang. « C’est malade… » lâche mon fils, déjà tétanisé par la rencontre, heureusement courtoise, avec une mygale à tête rouge plus grande que sa paume, et en effet, tout ici dépasse l’entendement.

Le surgissement demeure une caractéristique de la découverte de l’ailleurs. Lorsqu’on voyage arrive toujours ce moment où l’on voit surgir devant ses yeux l’inconnu total, absolu. On aura beau l’avoir « vu » à la télévision ou sur des photos, la confrontation physique avec ce que l’on ne pouvait connaître encore, autrement que par et avec son corps, opère et bouleverse nos repères antérieurs, pour toujours. Le surgissement d’une nouvelle réalité inscrite à jamais dans nos cellules, et que rien d’autre que le voyage ne peut produire. Et en effet : pour ma part, depuis le surgissement des pyramides d’Égypte ou celui du Colisée en plein Rome, rien ne m’avait fait autant d’effet que le surgissement des temples de Tik’al, au milieu de cette jungle qui dégage une vraie tranquillité alors même qu’on la sait tellement dangereuse, pour tout dire inhabitable et d’ailleurs inhabitée. Durant la journée, les animaux sauvages tolèrent les hordes de touristes, mais ce n’est que pour mieux reprendre leurs droits, sans concessions, à partir de 17h.

Tikal

À Tik’al, la nature est majestueuse, intimidante, tellement vivante. Et pourtant, on se trouve bien au milieu d’un cimetière. Un cimetière certes flamboyant, tétanisant de grandeur, de perfection et de respect pour l’immensité du savoir de cette civilisation maya qui a jadis régné là, mais un cimetière néanmoins. En effet, Tik’al était la capitale d’un État conquérant qui fut l’un des royaumes les plus puissants des anciens Mayas. Bien que l’architecture monumentale du site remonte jusqu’au IVe siècle av. J.-C., Tik’al n’atteignit son apogée qu’au cours de la période classique entre 200 et 900 de notre ère. À cette époque, la ville dominait politiquement, économiquement et militairement une grande partie de la région maya, tout en interagissant avec d’autres régions de toute la Mésoamérique comme la grande métropole de Teotihuacan, dans la lointaine vallée de Mexico, et il est prouvé que Tik’al fut conquise par Teotihuacan au IVe siècle de notre ère. Après la fin de la période classique, aucun nouveau monument important n’a été construit à Tik’al et les palais de l’élite ont été brûlés. Ces événements se sont déroulés parallèlement au déclin démographique progressif, et finalement le site a été abandonné à la fin du Xe siècle. Tik’al demeure néanmoins l’une des mieux connues des grandes cités mayas. Il y avait donc des guerres d’invasion entre peuples précolombiens bien avant l’arrivée des Espagnols qui précipitèrent leur disparition ou leur discrimination. Comme je l’ai dit plus haut, il semble donc extraordinaire que les Mayas soient parvenus à survivre, à se regrouper, à se reproduire et à conserver tant bien que mal leurs langues et leurs traditions par-delà tous ces siècles de colonisation. Dans leur résistance tacite et obstinée, on peut lire un clin d’œil aux peuples autochtones d’Amérique du Nord, ainsi qu’aux nations minoritaires dans leur pays.

Alors oui, une journée sur le site de Tik’al, « c’est malade », et impérissable. En neuf temples de diverses hauteurs, mais d’égale architecture symétrique au symbolisme puissant, aux noms évocateurs – Temple du Jaguar, des Gorilles, des Masques, du Monde Perdu [où a été tournée une partie d’un des Indiana Jones, ainsi que de nombreux autres films internationaux], au sommet desquels on peut désormais grimper par des escaliers de bois érigés sur le côté, et alors que des fouilles archéologiques sont toujours en cours notamment dans la partie qui fut celle des habitations du peuple réuni autour des palais royaux, des temples mortuaires et des lieux de sacrifices rituels, on s’imprègne d’un monde disparu, mais qui en impose encore par la puissance de son impact. Aujourd’hui, toute une armée d’humains travaille, telles les fourmis évoquées plus haut, à étudier cette civilisation, mais aussi à lutter au quotidien pour que la nature ne reprenne totalement ses droits et annihile le tourisme si nécessaire au Guatemala.

Soudain, alors qu’au sommet du Temple du Jaguar, nos guides et nous admirons le paysage à perte de vue, notre souffle est coupé, et pas seulement à cause de la majesté du lieu. Ce sont des cris. Des hurlements de gorilles affamés qui envahissent la forêt et remontent jusqu’au sommet des temples. À vous tourner des sangs. Des gorilles en Amérique centrale, tiens ? Le guide les nomme bien ainsi : gorilas. Bon, bon. Il est temps de partir, tandis que d’autres singes, petits et lestes, jouent dans les arbres avant de sauter sur les pierres grises des temples. Ils sont chez eux, eux.

Femmes du Guatémala

En redescendant vers la vallée, nous croisons des femmes mayas vêtues de leurs beaux vêtements brodés traditionnels. Elles ont fait le voyage depuis leur région de Alta Verapaz pour venir découvrir le lieu d’origine de leur peuple. Âgées et appuyées sur de solides bâtons, elles suivent leur guide, sourire aux lèvres. Le nom de l’une d’elles me restera en tête : Hermelinda de Paz, que l’on peut littéralement traduire par belle de paix… Ça parachève cette inoubliable journée.

Le séminaire de création littéraire à Baja Verapaz

Douze heures de jeep plus bas, au cœur des montagnes qui abritent la biosphère nécessaire à la vie du quetzal, nous sommes attendus à l’hôtel Posada Montaña del Quetzal, un havre de verdure et de fleurs avec piscine, et rivière chantante en contrebas. Quarante participants se sont inscrits pour les trois jours du séminaire littéraire qui se tiendra ici.

Toutes et tous, six femmes et trente-quatre hommes, sont des enseignants du primaire à la fin du secondaire, ou étudiants en enseignement. D’origine maya, ils vivent dans cette région montagneuse et enseignent dans des écoles locales, souvent reculées, en castillan, mais aussi dans les trois langues autochtones, les enfants et les jeunes parlant leurs langues maternelles, chez eux du moins. Elles et eux sont aussi écrivains. Ils écrivent des textes dans leurs langues, les photocopient, les brochent, les distribuent aux enfants. Des textes sur les mythes et légendes mayas, les danses, la faune et la flore, les traditions, ou même des livres à colorier destinés aux tous petits, qui permettent à ceux-ci d’identifier et d’exprimer leurs émotions. Toutes et tous, ils sont proactifs, exigeants, toutes et tous ils sont conscients et consciencieux. Que vais-je donc bien pouvoir leur apporter ? Les doutes m’assaillent. Alfredo m’explique que le problème est que leurs belles initiatives se perdent, car il n’existe aucun livre imprimé dans les langues mayas, ce qui bien sûr fragilise la pérennisation linguistique autant que culturelle. Et surtout, elles et eux écrivent des textes courts sans oser d’emblée s’engager dans un travail de longue haleine, un récit autobiographique, un témoignage et encore moins un roman. Puisque depuis près de 15 ans j’enseigne l’écriture du roman et du récit, que j’accompagne des élèves parfois sur plusieurs années, puisque je suis directrice littéraire et que j’ai par ailleurs publié une quarantaine de livres éclectiques, Alfredo pense que je devrais bien pouvoir transmettre mon expérience, mes connaissances théoriques autant que pratiques pour les encourager à se lancer dans l’écriture d’un premier texte long, recueil de nouvelles, roman, récit, voire, car c’est important, transcription de leur tradition orale, contes, mythes et légendes millénaires, dans des livres destinés aux jeunes, depuis le primaire jusqu’aux grands adolescents. Je finis par museler mes doutes et je plonge. Veremos bien

Photo groupe séminaire

Qu’est-ce qu’un roman, qu’est-ce que ce n’est pas ? Quelle est la différence absolue avec le récit ? Comment créer un personnage principal et des personnages secondaires ? Quel je est celui de l’auteur et ne l’est pas ? Quelle est l’intention de transmission recherchée en écrivant un roman au je, au tu, vous ou au il, elle ? Comment débuter un roman, trouver ce que j’appelle le chapitre symptomatique ? Poursuivre, enchaîner les chapitres, entre progression narrative et flash-back ? Quand un roman est-il achevé ? Fait-on un plan, ou pas, et pourquoi oui, ou non ? Quels sont les thèmes propices aux différents âges, de 2 ans à 18 ans, et pourquoi ? Et quels sont les thèmes qui les préoccupent, eux, dans leur réalité, leur société si violente et corrompue dont les nouvelles, dès le matin, me dressent les cheveux sur la tête ? Je me questionne : survivrais-je, comme mère, si je devais chaque matin me rendre dans un commissariat pour vérifier que mon enfant n’est pas sur la liste des assassinés, ou des suicidés, de la nuit ? Si ma fille devait se marier de force à treize ans, si elle devait subir la violence du mari et de sa belle-famille ? Si mon fils préférait devenir escroc qu’avouer son homosexualité ?… Les langues se délient. Entre nous circulent des ondes d’humanité, par-delà toutes nos flagrantes différences. Par-delà l’espace-temps, les langues, les cultures, les réalités contingentes, la littérature signe notre appartenance au genre humain et transmet, d’un être à un autre, dans la solitude et le silence de l’écriture puis de la lecture, l’immuable de l’humain. De mon espagnol imparfait à leur réalité maya, nous nous comprenons, nous nous entendons, je leur dis ce que je sais et j’en apprends beaucoup de leur part.

Louis intervient deux fois. Avec ses vingt-trois ans, il parle avec vigueur après s’être bien préparé, de son expérience d’écriture avec moi quand il était petit, des personnages qu’il a créé, mais aussi de nos salons du livre et des tournées dans les écoles, de la nécessité du partage avec les jeunes de tous âges au travers d’un livre. Il parle aussi de ses propres goûts de lecture, dit ce qui selon lui intéresse les jeunes et pourquoi, selon leurs âges. Il dit aussi ce qu’il a sur le cœur et les échanges ont lieu avec notre audience. Il dit des choses que je n’aurais jamais pu dire, depuis sa vision et sa réalité à lui, plus proches des jeunes lecteurs que la mienne. Trois jours passent comme une parenthèse enchantée, intense, privilégiée, complice. C’est tout juste si j’ai le temps de faire des longueurs dans l’eau froide de la piscine, histoire de me rafraîchir les esprits et de continuer.

association professionnelle d’écrivains

Le dernier jour, enthousiastes et convaincus, les participants ainsi que les quatre représentants du Ministère de l’Éducation décident de créer la première association professionnelle d’écrivains de la région. En une demi-heure, ils adoptent le nom — Écrivains de langues mayas de Baja Verapaz — élisent le Conseil d’administration et forgent un plan d’action et de financement pour qu’un premier livre, un recueil collectif, soit publié avec le concours du Ministère, à l’automne 2019. Louis et moi nous regardons, ébaubis. Ça, c’est de l’efficacité ! Alors arrive le moment touchant : ils me demandent de devenir la Présidente d’honneur de cette association, ce que j’accepte avec joie. Je reviendrai ? Évidemment que je reviendrai. Louis et moi serons ravis d’être les parrains du premier livre issus de cette expérience. Alors que nous allons distribuer les diplômes de présence, les femmes de l’assistance se lèvent et annoncent qu’elles ont quelque chose à me remettre. Et de m’offrir une blouse, celle dont je rêvais, une vraie blouse traditionnelle tissée et brodée à la main. J’en bafouille. Derrière nous se dresse une affiche de l’ONG Plan Internacional qui a participé au financement de l’évènement. Cette ONG œuvre pour la scolarisation des filles et leur émancipation. Le slogan sur l’affiche brandit haut ces valeurs. Cela se passe de commentaires, en espagnol autant qu’en français.

Contribuer un peu à aider à la sauvegarde et à la transmission des langues autochtones au Guatemala rejoint profondément mes convictions et mon désir de transmission de la littérature. Depuis toujours, je pense qu’encourager et défendre la création d’autrui est une manière de veiller aussi sur la sienne. Je ne peux m’empêcher de me rappeler que le Conseil des Arts du Canada lors de sa récente restructuration de juin 2017 a mis en place un programme à part entière, parmi les 6 programmes du Conseil, entièrement dédié à l’encouragement, la réalisation et la divulgation de la création des artistes autochtones Canadiens, et que le Conseil des Arts et des Lettres du Québec a également ajouté ce volet dans sa récente refonte. Tout cela témoigne d’une cohérence globale, qui m’enthousiasme. Les livres font voyager, mais ils voyagent aussi eux-mêmes, sans que l’écrivain ne sache jamais où son livre va l’entraîner. Cette belle expérience et toutes ces nouvelles rencontres me le rappellent.

Piscine Guatemala

J’y pense tranquillement, une bouteille de Gallo — l’excellente bière locale — à la main, lors des deux derniers jours de notre séjour, au bord de la piscine du bel hôtel Tz » Alam Ha situé dans le village de San Jeronimo, situé plus bas dans une vallée ensoleillée de Baja Verapaz, véritable havre de paix au milieu des touffeurs de végétation tropicale qui encerclent une hacienda aux couleurs vives.

En digne divinité de la cosmogonie maya, la montagne alentour demeure impassible. Elle en a vu d’autres.

Photos : Aline Apostolska

JGAPoésie Trois-Rivière

Parisienne devenue Montréalaise en 1999, Aline Apostolska est journaliste culturelle ( Radio-Canada, La Presse… ) et romancière, passionnée par la découverte des autres et de l’ailleurs (Crédit photo: Martin Moreira). http://www.alineapostolska.com