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Nelly arcand un suicide?

Son premier roman, Putain,
publié en 2001, lui a valu une nomination pour les prix Médicis et Femina. Elle
a également été mise en nomination pour le prix Femina en 2004 avec son deuxième
roman, Folle.  Elle venait de terminer
l’écriture de Paradis clef en main, qui traite du droit au suicide, roman à
paraître aux Éditions Coup de tête en novembre. 
Nelly Arcand avait envoyé la version finale il y a quelques jours à
l’éditeur Michel Vézina. 

 

Elle signait aussi une
chronique hebdomadaire dans le journal Ici. 
Sa dernière en date du 18 septembre parlait de l’image.  Elle était envahie par ce thème ainsi que
ceux du désir, le besoin de plaire, de la femme réduite à un sexe et de la chirurgie
plastique.De son vrai nom, Isabelle
Fortier, elle est née au Lac-Mégantic en 1975.  La thèse du suicide aurait été confirmée
vendredi matin.

 

LETTRE À ISABELLE

Isa,

C’est la deuxième lettre publique
que je t’écris et je sais que tu ne la liras pas non plus. Tu as toujours fermé
les yeux sur les écrits qui risquaient de te faire du mal, pour te protéger des
autres et peut-être bien de toi-même Hier, tu as fermé les yeux pour de
bon. Je suis en colère contre toi, contre nous tous aussi, parce que tu nous
avais tous prévenus depuis longtemps. On savait tous que ça allait se passer.
C’était écrit dans le ciel, dans tes livres, dans tes lettres, dans ton dossier
médical.

 

Quand mes collègues de Radio-Canada
et La Presse m’ont téléphoné à 10h30 hier soir, je savais très bien de quoi il
s’agissait avant même de décrocher. Je me suis aussitôt rendu à l’entrée de ton
immeuble, chère voisine si peu souvent croisée, mais tu n’étais plus là. Tu n’étais
plus là depuis longtemps. On ne s’est pas parlés depuis si longtemps, tout ça me
semble si loin dans le passé, la gang du Bily Kun et Mister Bad, JF, mon appart
sur Rachel et le tien sur Sherbrooke entre des pierres noires…

 

La dernière fois je t’avais dit de
ne plus me parler pour te protéger, car on me l’avait formellement ordonné pour
éviter que tu poursuives tes tentatives. Je ne m’étais jamais rendu compte de
rien, et soudain ça me semblait évident. Je n’ai jamais compris pourquoi je
t’avais fait cet effet-là. Et je ne pouvais rien y faire.

 

Déjà dans tes années de queues,
comme tu dirais, tu te détruisais un peu plus chaque jour. Sexe mondain, drogue
mondaine, boisson mondaine, tous paravents pour tuer l’angoisse du monde en
attendant qu’elle te rende la pareille, inexorablement. Même tes plus chères
amies n’ont pu la retenir, pourtant si généreuses et protectrices et solidaires
et aimantes. Tout cela était prévu, écrit, annoncé, il ne manquait que la date. Et je n’ai rien pu y
faire, je n’étais plus dans le portrait de toutes manières depuis bien longtemps.

 

Toi, tu n’as jamais vu les choses
comme nous. Toutes les choses qui nous paraissaient si simples te rentraient
dedans cruellement. Que puis-je faire? Qu’aurais-je pu
faire? Impuissance de merde. Je pense à tes parents qui doivent vraiment être désespérés,
et à ton chum que je ne connais pas mais qui a eu le malheur de vivre une
expérience que j’ai failli vivre dix fois, à Heidebicque et Bazou, et à tes
amies qui te serraient si fort contre elles, mais qui n’ont pu t’empêcher de
glisser. Je suis en colère et en peine. Tout
ça est si loin dans le passé, et à la fois si proche soudainement. Je te
souhaite d’être enfin heureuse.

 

Je t’embrasse pour toujours.

 

-Nico


Source: Nicolas Ritoux 25-09-2009

 

 

TOUT LE MONDE EN PARLE

 

J’ai participé à l’émission Tout le monde en parle la
semaine dernière. Pour promouvoir mon dernier livre, ai-je cru, qui raconte le
destin de deux femmes soumises au diktat de l’image dans une société dont je ne
me suis jamais, jamais exclue, bien au contraire.

Le capitaine qui coule avec le navire, c’est moi. La bougie qui tient tête à
votre vœu sur le gâteau, la flamme rebelle, impossible à souffler, c’est moi.
Je ne suis pas une maîtresse d’école. Je ne suis pas une battante féministe
engagée sur le plan politique. J’admire les féministes mais là où je suis la
plus forte, c’est dans mes livres. Donc dans une pensée qui n’est jamais
univoque, qui se nourrit de paradoxes, et qui s’adresse à tous.

Une masse grandissante de prostituées et de clients, le nombre exponentiel
de femmes qui passent sous le bistouri – j’observe les faits, ne fais aucun
procès, ne blâme ni les chirurgiens ni les femmes, plutôt le grand bain de la
consommation qui entretien le sentiment permanent du manque – et l’explosion du
nombre des sites pornographiques sur le net, eh bien, je ne l’invente pas. Ce
n’est pas que mon problème. Ça regarde tout le monde. C’est de ça que tout le
monde devrait parler.

Une entrevue étrange empreinte de malaise, a-t-on remarqué dans certains
journaux. Un chien dans un jeu de quilles. Une bête traquée dans une robe de
soirée – qui a d’ailleurs déterminé l’orientation de l’entrevue. Qui a
constitué l’unique sujet (ou presque) de l’entrevue. C’était prouver par
l’absurde que le propos de mon dernier livre, où les femmes sont perçues comme
des images (par elles-mêmes aussi, j’en conviens) décrit un phénomène de
société. D’époque. Donc pas que personnel. Un col roulé n’aurait rien changé à
ce monde-là, qui aurait continué son chemin, comme un grand.

Philippe Tisseyre a d’ailleurs remercié Patrice Roy de détourner l’entrevue
vers sa musique, son talent. De l’extérieur tout paraît si simple… pour qui n’a jamais été dedans. Ce
«dedans», c’est la «cuisine». Là où, en tant que téléspectateurs, vous n’êtes
pas conviés. Et pour cause, ça démonte le plaisir de la dégustation. Comme
un tournage de film de cul. C’est laborieux, un film de cul qui n’est pas
monté.

Pourtant, dans l’intégralité de l’entrevue, où il y a eu, c’est vrai, des
moments de malaise sous l’insistance de questions qui se ressemblaient toutes,
qui rejetaient sur moi le blâme, questions martelées, acharnées (vous, qui avez
un problème, comment osez-vous vous prononcez, puisque votre corps, votre robe,
vous font mentir) mais aussi des moments intéressants… qui n’ont pas été
retenus. Il y a eu mes considérations, pertinentes et approuvées par Patrice
Roy, sur le destin scandaleux des femmes voilées, les vraies, enterrées, niées
dans leur être, des fantômes auxquels on reproche encore d’être trop visibles.
Il y en a eu d’autres aussi.

Se retrouver dans une entrevue à la télé, c’est moins parler qu’être
examinée. Des questions et des réponses entre lesquelles l’air que vous avez
parle pour vous. Une image vaut mille mots? You bet. Je le savais, mais
j’ai pris une chance. Des fois qu’on écouterait.

Ce que vous ne contrôlez pas en dit plus long que vous : applaudissements
dans l’audience encouragés par le «motivateur» de plateau, remarques,
commentaires, sourires désemparés ou regards vers le plafond, hésitations,
pudeur soudaine qui vous saisit devant des jeux que vous pourriez jouer si vous
n’étiez pas écrivain, donc un animal sauvage souvent en décalage par rapport
aux autres.

La carte qui m’a été donnée se terminait ainsi: Faites ce que j’écris, ne
faites pas ce que je vis.

C’est faux – en y repensant.

Ne faites rien. Ni ce que j’écris, ni ce que je vis. Pensez à ce que
j’écris, c’est tout. Pensez au monde grossit dans ma loupe d’écrivain, qui est
le nôtre, et dont je me fais le témoin. Je ne suis pas un modèle, je ne dicte
aucune conduite.

C’était cet espace de parole sur mon écriture que j’espérais trouver. Je ne
l’ai pas eu, je le prends donc ici.

 

Source : Nelly Arcan 20-09-07 – 04h00