Restait à établir la raison de cette rencontre privée entre celui qui, à l’époque, rêvait de déloger Gérald Tremblay et l’important homme d’affaires. Les informations que nous avons obtenues auprès de plusieurs sources crédibles laissent entendre que, à l’issue de ce fameux repas, Benoît Labonté aurait sollicité devant témoins une aide financière conséquente à Tony Accurso pour sa future course à la chefferie. Une course qui s’annonçait déjà coûteuse.
Avant de se lever de table, puis de payer la note, Accurso aurait accepté de donner un coup de pouce à l’aspirant maire. Un premier versement aurait ainsi été remis par chèque dans les jours qui ont suivi à un proche de l’organisation de Benoît Labonté, qui l’a ensuite fait transiter à qui de droit. Les shows de Benoît Labonté lors de sa course à la chefferie de Vision Montréal ont coûté une petite fortune au parti. Photo Annik MH de Carufel
MONTANT EN LIQUIDE
L’ex-chef de Vision Montréal aurait à nouveau sollicité l’entrepreneur dans les semaines qui ont suivi, entre autres parce qu’il avait de la difficulté à honorer certaines factures, nous dit-on. Cela incluait notamment les honoraires d’un membre de son organisation qui a quitté le parti depuis. Il faut dire que Labonté avait mis le paquet pour cette course qui a commencé et s’est terminée chaque fois de la même façon, c’est-à-dire par un show, jugé par certains « délirant », « pharaonique », « digne de Sarkozy », (!) tant à la SAT en mars 2008 qu’à la TOHU au mois de mai suivant. Ceux qui y assistaient se remémorent encore la scène circulaire entourée d’écrans au plasma géants au milieu de laquelle Labonté a prononcé ses discours.
À cela, il faut ajouter son local de campagne au 800, boulevard de Maisonneuve Est, loué pendant trois mois dans un immeuble appartenant à la firme Busac. Six personnes travaillaient dans ces locaux. Son comité de campagne à l’époque était dirigé par le libéral fédéral Yves Lemire, qui est retourné rapidement en politique fédérale à Ottawa. Un deuxième montant aurait été versé en liquide dans une enveloppe plutôt que par chèque. L’enveloppe aurait transité par au moins deux intermédiaires, dont un homme de confiance du maire de Ville-Marie.
COMBIEN AU TOTAL ?
Combien Benoît Labonté aurait-il reçu au total de Tony Accurso ? Une somme dépassant la centaine de milliers de dollars, si l’on en croit le montant avancé par nos sources. Et l’une d’elles de préciser en ces termes diplomatiques : « Tous ces gens d’affaires ont besoin de maintenir leur position sur la scène municipale. » Dans notre précédent article sur ce même sujet, nous expliquions qu’en théorie, il n’y a aucune règle ni limite dans le financement des courses à la chefferie. Sauf si le parti décide au contraire que l’on va appliquer les règles déjà en vigueur pour les élections municipales et provinciales, avait-on expliqué chez le DGE du Québec. C’est exactement ce qui avait été décidé à l’époque de cette rencontre par Vision Montréal.
« Tony ne connaît pas la poutine des partis, résume avec un langage imagé un de nos informateurs. Mais les politiciens comme Labonté, eux, doivent connaître les règles du jeu. »
DÉPENSES DU CANDIDAT PAYÉES PAR LE PARTI
Plus on approchait du couronnement de Benoît Labonté au mois de mai suivant, plus il y a eu une frénésie de dépenses, ont confirmé plusieurs ex-membres haut placés du parti. Au final, c’est le parti Vision Montréal qui a payé la note. Qui a avancé les fonds, pour être plus exact. La garde rapprochée de Labonté leur avait fait miroiter que l’entrée en scène de Benoît Labonté entraînerait une vague de soutien significative de la part de la population, donc, par ricochet, des entrées d’argent conséquentes estimées à près de 200 000 $.
L’exécutif du parti s’est résigné à intégrer l’ensemble dans ses dépenses d’exploitation et a terminé l’année 2008 avec un déficit de 88 000 $. Même s’il existait, selon les témoignages recueillis, un compte spécifique « Course à la chefferie Benoît Labonté », le rapport financier du parti indique seulement une somme de 124 153 $ pour les « Frais de congrès et de réunions », sans plus de détails. Certaines autres factures de l’équipe Labonté ont aussi été intégrées dans le poste « Honoraires » (307 000 $ au total).
Aujourd’hui, certains attendent toujours d’être payés pour les services rendus cette année-là. Lorsque joint au téléphone, Tony Accurso a nié sans grande énergie avoir rencontré en privé, et encore moins financé, Benoît Labonté. Nous avons tenté de parler à nouveau à monsieur Accurso ces derniers jours. Il ne nous a pas rappelé, malgré la dizaine de messages laissés dans sa boîte vocale personnelle. « Tony Accurso n’a jamais contribué ni à ma campagne, ni à Vision Montréal », a affirmé pour sa part Benoît Labonté. Il a de plus ajouté que son parti avait fait « respecter à la lettre » les règles concernant le financement de la course à la chefferie.
« Je veux bien croire que tous les coups sont permis en campagne électorale, mais c’est de la fabulation pure et simple… », a-t-il répondu avec fermeté lorsque RueFrontenac.com a évoqué le versement de plusieurs sommes. Il a aussi refusé de montrer son agenda pour le mois de mars 2008.
UN SECRET DE POLICHINELLE
Juste après cette entrevue, Benoît Labonté a fait parvenir à l’auteur de ces lignes, avec copie conforme à la rédaction, une mise en demeure dans laquelle ces faits sont niés « catégoriquement ». Il est aussi mentionné que monsieur Labonté n’aurait croisé qu’une seule fois, « quelques secondes », Tony Accurso, et ce dans un événement organisé en 2006 par Union Montréal, son ex-parti. Pourtant, ce repas était loin d’être un secret de polichinelle dans l’entourage proche du maire. Dans les jours qui ont suivi, un proche de Benoît Labonté présent autour de la table, certainement victime de son enthousiasme, nous a-t-on dit, ne cachait pas sa satisfaction que des liens aient pu être noués avec Accurso.
Absent lors de ce fameux repas de la mi-mars, Michel Petit, membre de longue date de la garde rapprochée de Benoît Labonté, organisateur de ses « grands » événements et considéré aussi comme un percepteur de fonds à ses heures, nie aussi avec énergie que Tony Accurso ait été « mêlé de près ou de loin » au financement : « Je n’ai jamais entendu son nom dans les événements. »La conversation s’est terminée abruptement après lui avoir demandé s’il ne se souvenait pas d’avoir vu passer une enveloppe remplie d’argent :« D’aucune façon monsieur. Au revoir. »
Michel Petit, que Benoît Labonté a déjà présenté comme son conseiller bénévole, est toujours en poste aujourd’hui. C’est lui qui est chargé de mener à bien le projet d’exposition universelle à Montréal en 2020. Mais en même temps, sa compagnie, CMI Inc., a conclu depuis novembre 2006 plusieurs contrats auprès de l’arrondissement. Quant à Louise Harel, candidate à la mairie pour Vision Montréal, elle a fait dire par son attachée de presse qu’elle ne souhaitait pas nous parler.
Source: Rue Frontenac