Les allégations de l’ancien attaquant des Flames de Calgary, qui a lancé la semaine dernière une autobiographie déchirante, Playing with fire,
n’ont guère étonné. Le monde du hockey soupçonnait depuis longtemps que
Fleury avait été abusé de la même manière que l’ancien joueur de la LNH
Sheldon Kennedy, dont les révélations, il y a 13 ans, ont valu à James
de passer trois ans en prison.
Fils d’un père alcoolique et d’une mère accro au valium, Fleury
reconnait qu’il était prédisposé aux pires excès. Mais il n’aurait
peut-être pas flambé en poudre, en alcool et en dettes de jeu les 50
millions qu’il a gagnés au cours de sa carrière, si son chemin n’avait
pas croisé celui d’un prédateur comme James.
« La seule façon pour moi de composer avec la douleur était de
m’automédicamenter, » m’a dit Fleury en entrevue téléphonique, la
semaine dernière. « J’essayais de masquer la douleur, je buvais
constamment de manière excessive. C’était dû en grande partie à ces
trois années (sous la coupe de James) au cours desquelles j’étais
confus, seul et plein de honte et de culpabilité ».
Fleury raconte dans son livre que les agressions ont commencé alors
qu’il n’avait que 14 ans. James était son entraineur dans le Junior
Tier II, à Winnipeg, et insistait pour que l’adolescent quitte sa
pension deux soirs par semaine pour coucher chez lui. Dans un épisode
particulièrement tordu, James traverse les États-Unis en voiture avec
Fleury et Kennedy pour aller à Disneyland. L’entraineur passe d’un lit
à l’autre et abuse de Kennedy dans la voiture pendant que son compagnon
d’infortune dort sur la banquette arrière. « C’était fou. Un voyage
au-delà du réel », écrit Fleury.
C’est en partie pour aider les victimes de ce genre d’agression que
Fleury a entrepris, il y a trois ans, la rédaction de son livre, en
compagnie de la journaliste Kirstie McLellan Day. « C’est un sujet
important et j’ai senti qu’il fallait que l’histoire soit racontée. Les
statistiques disent qu’une fille sur trois et un garçon sur six sont
abusés avant l’âge de 18 ans. C’est quand même incroyable », a dit
Fleury.
Certains l’ont critiqué d’avoir gardé le silence quand Kennedy s’est
adressé à la police, en 1996. « Je suis sûr que Sheldon aurait aimé que
je fasse une sortie publique pour l’appuyer, mais c’était impossible »,
a répondu Fleury, qui examine présentement la possibilité de porter
plainte contre James. « Je ne m’étais pas encore engagé dans le
processus de guérison qui me permet aujourd’hui de me sentir fort et de
ne plus craindre de retomber dans mes mauvaises habitudes ».
D’autres se demandent comment Fleury a pu investir en toute conscience
125 000 $ dans les Hitmen de Calgary, quand James a bâti cette équipe
junior au milieu des années 90. « C’est comme le syndrome de Stockholm,
comme une femme prise dans une situation de violence domestique qui
revient toujours vers son mari, parce que c’est la seule réalité qu’elle
connait, a-t-il expliqué. C’était une erreur de jugement, je ne m’en
cache pas ».
On disait qu’à cinq pieds six, il était trop petit pour percer dans la
LNH, mais Fleury a connu une carrière remarquable. Le choix de huitième
ronde des Flames en 1988 a marqué 455 buts, récolté 1088 points en 1084
matchs (sans parler de 1840 minutes de punition!) et gagné une Coupe
Stanley et une médaille d’or olympique. On a intronisé certains au
Temple de la renommée pour moins que ça.
Mais derrière l’étoile qui filait sur la glace se cachait un double
malsain qui écumait les bars et faisait la noce avec « des freaks, des
travestis, des stripteaseuses et toutes sortes de gens douteux ». Fleury
affirme qu’il a échoué 13 tests de contrôle pendant qu’il était
surveillé par la LNH, dans le cadre de son programme destiné aux joueurs
souffrant de problèmes de dépendance. Il mettait du Gatorade dans son
urine pour tromper les testeurs et soutient même avoir utilisé l’urine
de son jeune fils Beaux.
« C’est une maladie dégénérative », a-t-il dit à propos de la dépendance
à l’alcool et aux drogues dont il souffrait. « Ça ne s’améliore jamais,
ça ne fait qu’empirer et empirer. Je voulais que les gens comprennent
qu’on ne devient pas sobre tout seul. Ça ne fonctionne pas ».
Mais l’instinct de survie est fort. Assez pour que Fleury dépose son
pistolet, avant de le lancer dans le désert, il y a six ans. Assez pour
qu’après avoir rencontré Jenn, devenue sa femme, il finisse par faire
le ménage dans sa tête. Il est sobre depuis septembre 2005. «J e ne suis
plus une victime », a-t-il assuré.
Il espère maintenant que son livre, qui occupe la tête du palmarès des
ventes d’Amazon au Canada, permettra à son message d’être entendu.
« Aussi bas que l’on tombe, il est toujours possible de se relever ».
Source : PC