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La folle journÉe de monsieur jourdain

Ce qui, visiblement, nourrit sa passion
pour Le Bourgeois gentilhomme, pièce avec laquelle il fait son entrée au TNM à titre de metteur en scène. « Ce que je trouve fantastique dans l’univers de Molière, c’est ce qu’il
a écrit sur son époque. Beaucoup de gens disent que Beaumarchais est le
précurseur de la Révolution française, que le peuple s’est révolté
grâce à lui. C’est Molière qui a été le premier, estime Benoît Brière.
Il a osé mettre en scène des paysans et des valets qui font preuve de
gros bon sens en présence de nobles fourbes et voleurs. Il a même
présenté des gens du clergé comme des crosseurs finis! »

Sous le couvert de la drôlerie, Molière a en effet beaucoup osé. Sa
plume alerte a brossé des portraits dévastateurs des riches et des
puissants. « Molière osait dire des choses dans les limites de ce qui
était permis. En ce sens, je trouve que c’était un fou du roi
formidable, ajoute Benoît Brière. Le fou du roi a le droit de dire
au roi qu’il est un con… tant que le roi rit ». Sur ce plan, le
dramaturge ne s’est peut-être jamais montré plus audacieux que dans Le
Bourgeois gentilhomme
.

Les précieux et le ridicule

À l’origine de cette comédie-ballet se trouve un imbroglio
diplomatique. Dans l’espoir d’assouplir ses relations tendues avec la
France, à l’automne 1669, l’Empire ottoman a dépêché un émissaire à la
cour, lequel a été accueilli avec faste. Louis XIV l’aurait reçu en
posant sur un fauteuil incrusté d’argent et de dorures, revêtu d’un
costume perlé de diamants. « C’est le début de la paillette! » s’amuse
Benoît Brière. Ici, les opinions des historiens divergent : soit l’émissaire du sultan
reste froid devant l’accueil resplendissant qui lui est réservé, soit
la cour constate qu’il ne s’agit pas d’un ambassadeur, mais d’un simple
messager… qui ne mérite pas tant d’égards. Dans les deux cas, Louis
XIV a l’air fou. Et il n’est pas content. Il commande alors une grande
turquerie à Molière et au compositeur Lully, auxquels il prête l’un de
ses chevaliers qui est familier avec les moeurs du Levant.

L’esprit ratoureux du dramaturge invente Monsieur Jourdain (Guy
Jodoin), un riche marchand follement épris d’une femme noble (Sylvie
Léonard) et qui, pour la séduire, veut se faire inculquer en vitesse
les bons usages de la cour et tout ce qui lui faut pour briller en
société : la musique, la danse et la philosophie. Grand naïf, il se fait
rouler par des professeurs simplement attirés par son argent et aussi
par un noble aussi malin que malintentionné (Denis Mercier), qui lui
promet des entrées à la cour en échange de prêts qu’il n’a pas
l’intention de rembourser. Aveugle aux avertissements pleins de bon sens de sa femme (Monique
Spaziani), le sympathique Monsieur Jourdain passe une folle journée à
se faire voler par tout un chacun… sans jamais cesser de sourire. Sa
folie des grandeurs et sa candeur atteignent un sommet lorsqu’un « Grand
Muphti » se présente à sa porte pour le faire « Mamamouchi » titre
apparemment haut perché dans la noblesse turque. S’ensuit une
grandiloquente cérémonie au cours de laquelle le bourgeois est revêtu
d’extravagants habits d’apparat.

Jourdain, c’est Louis

« Pour moi, Jourdain, c’est Louis XIV, tranche le metteur en scène,
insistant sur le narcissisme extrême des deux personnages. Dans ses
précédentes comédies, Molière affirme sa critique sociale, mais ici,
fin politique qu’il est, il fait un portrait de société… sans
nécessairement critiquer ». Ce miroir tendu au roi, Benoît Brière le
soulignera dans sa mise en scène. Le Roi-Soleil mangeait avec les
mains? Son Jourdain aussi. Il portait des talons orange? Jourdain
également. Ce travail dans le détail plaît énormément à Guy Jodoin, le Monsieur
Jourdain de Benoît Brière. Habitué aux compositions comiques (Rumeurs, Dans une galaxie près de chez vous), étonnant d’humanité dans des rôles dramatiques (Contre toute espérance),
Guy Jodoin renoue avec les planches dans l’un des grands rôles du
théâtre classique. « J’ai l’impression de retourner sur les bancs
d’école », dit le comédien, qui a déjà joué Goldoni et Molière.

Benoît Brière, qui a lui-même incarné Jourdain sous la direction de
Denise Filiatrault, il y a 15 ans, ne veut pas faire de ce bourgeois
somme toute sympathique un simple bouffon. « C’est sûr qu’on va rire de
son ridicule, de sa grande naïveté, mais c’est cette naïveté qui le
rend ridicule. Il veut monter dans l’échelle sociale, peu importe le
prix à payer. Ce qui le rend touchant, c’est qu’il est vrai et qu’il
essaie maladroitement de devenir faux », fait valoir le metteur en scène. Guy Jodoin estime que cette touchante franchise que Benoît Brière
trouve chez Jourdain guide également sa vision du spectacle. « Il veut
que ce soit naturel, que ce soit vrai, que ce ne soit pas plaqué »,
explique-t-il, faisant notamment référence au fait de jouer dans la
langue savoureuse qu’est celle de Molière.

L’effet costume

La folle journée de Monsieur Jourdain ne sera pas d’un comique sobre
pour autant. L’emballage sera même… extravagant. Peu friand de
classiques joués en « three piece suit » (« Je n’aime pas ça »,
tranche-t-il), Benoît Brière a estimé qu’en proposant une vision
« moderne » du Bourgeois gentilhomme, il aurait été forcé de « bouder son
plaisir » et de « se priver » d’un atout important au plan comique : le
costume d’époque. Avec la costumière Judy Jonker, il a fait beaucoup de recherches sur la
mode du XVIIe siècle et a été littéralement estomaqué par ce qu’ils ont
déniché. « On n’a vraiment rien inventé », assure-t-il, en rigolant. Il
ne parle pas que de ces perruques surdimensionnées ou de ces robes qui
rendaient les femmes plus larges que hautes, mais aussi des faux
mollets et autres froufrous desquels les courtisans s’encombraient.

« L’habillage de Jourdain, c’est un numéro en soi, dit-il. Il y a une
extravagance dans l’habillement qui est encore plus drôle aujourd’hui
qu’à l’époque, parce que le décalage est bien plus grand ». Il a donc
pris un malin plaisir à encombrer ses acteurs de costumes pas
possibles. « On n’a même pas osé aller au maximum, parce qu’on se serait
fait accuser d’exagérer. Tout ce que vous allez voir sur scène
existait, assure toutefois Benoît Brière. C’était aussi fou que ça! »

Le Bourgeois gentilhomme, du 12 janvier au 6 février 2010 au TNM.