fbpx
Devenir membre

Lectures scolaires : kafka ou twilight?

Car au Québec, il n’y a pas de lectures obligatoires ni d’auteur incontournable au secondaire et au cégep. « Le ministère de l’Éducation fait des suggestions de lectures sur son
site Internet. Et les enseignants décident de ce qu’ils veulent faire
lire », affirme le porte-parole de la Commission scolaire de Montréal,
Alain Perron. « La décision revient à chaque école. C’est aussi simple et compliqué
que ça! », mentionne la présidente de l’Association québécoise des professeurs
de français, Suzanne Richard.
Seule règle : les enseignants du secondaire doivent faire lire au moins
cinq oeuvres par année à leurs élèves.

« Cette règle existe depuis 1995.
Ces livres doivent représenter trois genres différents
(science-fiction, conte…) et être écrits par au moins trois auteurs
différents. Et la moitié des ouvrages lus dans un cycle doivent être
québécois », explique Mme Richard. Les livres doivent aussi être offerts
en format de poche et coûter moins de 10 $. Mais dans les faits, aucun contrôle n’est exercé. « Plusieurs
enseignants ne font pas lire cinq oeuvres. Mais personne ne peut rien
contre ça », déplore Olivier Dezutter, vice-doyen à la recherche à
l’Université de Sherbrooke.

M. Dezutter a mené des études sur la littérature dans les écoles du
Québec. Il constate que les choix de lectures offerts par les
enseignants sont très variables. « Deux élèves d’écoles différentes ont
de très fortes chances de n’avoir lu aucune oeuvre commune à leur
sortie du secondaire », note-t-il. « On peut tout aussi bien faire lire Kafka ou Twilight,
ou encore des chansons à répondre », confirme Martin Bibeau, enseignant
de troisième secondaire à l’école Joseph-François-Perreault, à
Montréal. « Il y a du meilleur comme du pire en littérature, au
secondaire ». Selon M. Dezutter, ce sont les contraintes
budgétaires qui guident principalement le choix des enseignants : « Si un
collègue a acheté il y a trois ans une série de livres, il faut les
user jusqu’au bout. Il y a eu des investissements récents dans les
bibliothèques scolaires, mais l’effort doit être continu ».

Autre problème : les enseignants des différents degrés ne se consultent
pas quand vient le temps de choisir les oeuvres. « Il n’y a pas de
politique de progression, confie Manon Hébert, qui enseigne la didactique
de la littérature aux étudiants de l’Université de Montréal. Un jeune
peut lire trois fois L’avare de Molière au secondaire ». Mme Richard fait le même constat : « Des jeunes peuvent lire Les trois mousquetaires en première secondaire et lire des romans de La Courte Échelle en deuxième ».

Pénurie culturelle

Pour M. Dezutter, le fait qu’il n’y ait pas de programme de lecture
commun au Québec pose problème : « Historiquement, le rôle de l’école,
c’est de construire une culture commune, indique-t-il. Et ça passe en partie
par des lectures partagées. Il n’y a pas qu’en histoire et dans les
cours d’éthique et de culture religieuse qu’on se bâtit une identité
commune! » « La littérature, ça fait partie de la culture d’un peuple. On doit se
demander : nos enfants ont-ils la culture qu’on voudrait qu’ils aient?
Sinon, il faut y remédier », ajoute Mme Richard.

Si plusieurs enseignants déplorent le fait qu’il n’y ait pas de culture
littéraire commune au Québec, ils ne sont pas chauds à l’idée que le
ministère de l’Éducation (MELS) impose des oeuvres. « Avec le
cafouillage de la réforme, je ne crois pas que ce serait mieux si le
Ministère imposait des titres! », déclare Benoît Paquin, qui enseigne le
français en quatrième secondaire à l’école Jacques-Rousseau, à
Longueuil. Les profs de français sont fous de lecture, par définition.
Il est souhaitable que ce soit eux qui choisissent ». Martin Bibeau, lui, aimerait que certains auteurs, certains courants
littéraires, de même que des éléments d’histoire de la littérature
française deviennent obligatoires au secondaire. « On ne peut pas
imposer de titres, parce qu’il faut transmettre le plaisir de lire. Je
pense qu’il faut lire Émile Zola avant la fin du secondaire, mais je
préfère qu’on ne m’impose pas de titre », explique M. Bibeau.

Françoise Dubuc, qui enseigne au collège privé Villa-Maria, croit qu’il
pourrait être intéressant que le gouvernement choisisse des auteurs,
des courants littéraires et des époques obligatoires en fonction des
différents degrés du secondaire. « Mais pas des oeuvres. Ce serait trop
restrictif et il serait impossible de déterminer ce qui est
incontournable », croit-elle. La ministre de l’Éducation, Michelle Courchesne, juge qu’il serait
impensable d’imposer une liste de lecture dans les écoles. « Trouver un consensus serait extrêmement difficile, indique l’attachée de
presse de la ministre, Tamara Davis. Les choix favoriseraient aussi
certaines maisons d’édition. Les romans sont actuellement choisis par
les enseignants et c’est parfait ainsi. Ça respecte leur autonomie
professionnelle ».

 

Source : Ariane Lacoursière