inoubliable que celle du mardi 7 octobre 1980 : Nicole Lorange dans le
rôle-titre, Jean Gascon à la mise en scène dans des décors et costumes
de Robert Prévost, Charles Dutoit dans la fosse avec l’OSM et le
ministre des Finances Jacques Parizeau, aux premières loges avec sa
femme Alice.
En y incluant la programmation de la
présente saison, la liste d’ouvrages montés par l’Opéra de Montréal en
30 ans est impressionnante : 90 (ou trois fois 30, pour les amateurs de
numérologie).
Trois, c’est aussi le nombre d’opéras montés le plus souvent : Tosca, Madama Butterfly et La Traviata, présentés six fois chacun.
Deux opéras, La Bohème et Il Barbiere di Siviglia, reçurent cinq productions et six opéras en reçurent quatre : Aida, Rigoletto, Lucia di Lammermoor, I Pagliacci, Carmen et Die Zauberflöte. Par contre, 43 opéras ne furent montés qu’une seule fois. On voit que le répertoire italien domine, avec 42 ouvrages. Chose assez
normale, le goût de notre public penchant de ce côté : Verdi,
Puccini, Rossini, Donizetti, Bellini; les véristes aussi, comme
Leoncavallo, Mascagni, Giordano, Cilèa. Mais n’oublions pas que cette
langue, la plus chantante qui soit, englobe aussi certains Handel et
Mozart donnés à l’OdM.
Quoi qu’on dise, le répertoire français n’y est pas en reste. Avec la rare Cendrillon de Massenet annoncée pour mai, l’OdM aura monté 24 ouvrages en français; principalement, cela va de soi, des opéras comme Carmen, Faust, Manon, Pelléas et Mélisande, Lakmé, Thaïs, Samson et Dalila, Dialogues des Carmélites et Les Contes d’Hoffmann, l’« opéra fantastique » d’Offenbach, dont on vit aussi quelques opérettes comme La Vie parisienne. Un peu plus négligé, le répertoire allemand fut quand même bien représenté, notamment par trois Wagner, Tristan und Isolde, Der fliegende Holländer et, en version concert, Das Rheingold, et trois Richard Strauss, Der Rosenkavalier, Salome et Ariadne auf Naxos – soit 11 opéras au total.
Le répertoire de l’OdM comprend même six ouvrages en anglais, dont Peter Grimes, de Britten, et The Consul, de Menotti, deux Janacek (donc en tchèque), un Tchaïkovsky (en russe) et un Bartok (en hongrois). On doit aussi à l’OdM deux créations : Nelligan, d’André Gagnon et Michel Tremblay, et la version française de Thérèse Raquin, de l’Américain Tobias Picker, conjuguée à la double création en anglais à Dallas et à San Diego. Au total, l’Opéra de Montréal aura donné, en 30 ans, 907 représentations de 156 spectacles différents.
Les Trois Ténors de l’OdM
Le budget annuel de l’Opéra de Montréal est de huit millions, ce qui le
place automatiquement parmi les 15 plus importantes maisons d’opéra
d’Amérique du Nord, où l’on compte une centaine de compagnies
professionnelles. En 30 ans, l’organisme fut néanmoins tenaillé à quelques reprises par
de graves problèmes financiers. Ainsi, en 2003, on commença à réduire
le nombre de productions de six à cinq, puis de cinq à quatre, par
saison. On faisait face à un déficit de deux millions. Il fallut
congédier la moitié du personnel de bureau. On parlait même de faillite. Et, tout à coup, miracle. L’Opéra de Montréal était sauvé. À l’été
2006, l’homme d’affaires Alexandre Taillefer, nommé président du
conseil d’administration, et Pierre Dufour, directeur de production
promu à la direction générale, obtinrent des trois conseils des arts
les deux millions qui permirent de réduire le déficit à zéro, en 18
mois.
En avril 2007, ils s’adjoignirent comme directeur artistique Michel
Beaulac, grand passionné d’opéra et attaché à l’OdM depuis 1989 à
divers titres. Taillefer, Dufour, Beaulac. Ce sont les Trois Ténors de l’Opéra de
Montréal. Enfin, on y chante au même diapason! Pour l’instant, c’est le
beau fixe. « Nous avons eu un surplus de 25 000 $ il y a quelques années,
rappelle Pierre Vachon, le directeur des communications et du
marketing. Là, il n’y a pas de surplus… mais il n’y a pas de déficit
non plus ».
Le règne Uzan : presque un opéra en soi!
En 30 ans d’existence, l’Opéra de Montréal a vu se succéder plusieurs
patrons au poste de directeur général et plusieurs autres à celui de
directeur artistique. Mais un seul réussit à coiffer les deux chapeaux :
Bernard Uzan, assurément le plus coloré et le plus controversé de tous.
En fait, le règne d’une bonne douzaine d’années de cet ancien acteur
pourrait faire le sujet d’un opéra! Le premier directeur artistique, Jean-Paul Jeannotte, avait engagé
Bernard Uzan, alors un parfait inconnu, comme metteur en scène de Roméo et Juliette
de Gounod, présenté en 1986, et dans lequel sa femme Diana Soviero
chantait Juliette. L’invité ne tarda pas à s’imposer. Il devint
directeur général en 1988 et vit son titre grandir en celui de
directeur général et artistique l’année suivante, lorsque Jeannotte
prit sa retraite. En plus de diriger la maison, l’homme s’engageait
lui-même comme metteur en scène, mettait la main aux décors et confiait
les premiers rôles à sa femme.
Diana Soviero étant une grande artiste, sa présence était généralement justifiée. Malgré quelques réussites comme Salome et The Consul,
les mises en scène du mari appelaient davantage de réserves, tout comme
certains de ses engagements de chanteur et de chef d’orchestre. André
Bourbeau monta sur lui un dossier accablant, commenté par Nathalie
Petrowski sous le titre « L’opéra-bouffe de Bernard Uzan », et il quitta
les lieux à la fin de 2001. Ceux qui lui succédèrent, à l’un et
l’autre postes, ne firent pas long feu. Kimberley Gaynor puis David
Moss, à la direction générale, passèrent inaperçus. Quant à Bernard
Labadie, il vit ses programmations modifiées ou réduites et quitta
l’OdM après quatre ans comme directeur artistique. Mais l’OdM n’allait
pas mourir pour autant.
Le meilleur et le pire
Les productions de l’Opéra de Montréal qui furent mémorables sur tous
les plans – vocal, dramatique, visuel et orchestral – sont heureusement
plus nombreuses que les échecs. Le spectacle dont je conserve le plus beau souvenir est le Rosenkavalier de
1991. La réussite est d’autant plus remarquable que le plus célèbre
opéra de Richard Strauss est une oeuvre très exigeante. Mechthild
Gessendorf était la Maréchale, dans une mise en scène de Bliss Hebert
et sous la direction musicale d’Alexander Sander.
Le plus beau four de ces 30 années remonte à 1987 : c’est l’Otello
de Verdi, gauchement mis en scène par Antoine Vitez, livré à des voix
médiocres – dont celle d’un certain Maurice Stern – et copieusement hué
par l’auditoire, chose très rare dans cette maison.
L’OdM dans la rue
La volonté de mettre l’art lyrique à la portée de tous se manifeste de
diverses façons à l’OdM. Depuis cinq ans, le spectacle de fin de
saison, qui correspond au retour du beau temps, est projeté sur écran
géant, gratuitement, sur l’esplanade de la Place des Arts, en même
temps qu’il est présenté à l’intérieur. C’est ainsi qu’une moyenne de
12 000 personnes, chaque fois, a vu Carmen en 2005, Aida en 2006, Madama Butterfly en 2008 et Lucia di Lammermoor en 2009. Par ailleurs, des chanteurs de l’Atelier lyrique de l’OdM donnent
chaque saison, dans quelques stations de métro, 20 petits concerts
composés d’airs tirés de l’opéra à l’affiche à ce moment-là.
Source : Claude Gingras