À chaque visite, l’inspecteur constate que la situation ne
s’est pas améliorée. Les récidivistes payent l’amende et… continuent
leurs pratiques insalubres. Leurs clients? Ils ne le sauront jamais. Vous
allez souper au restaurant ce soir? Avez-vous consulté la liste des
établissements condamnés pour des infractions aux règlements sur
l’hygiène et la salubrité? Non? Ça vaudrait peut-être mieux, car les
descriptions qui s’y trouvent ont de quoi faire perdre l’appétit au
moins dédaigneux des gourmands.
Présence de rongeurs, de leurs
excréments, d’insectes. Malpropreté générale. Viandes conservées à la
mauvaise température. Saleté des surfaces de travail. Mais ce qui frappe surtout, c’est le fait que le nom de certains
restaurants revienne fréquemment. À chaque inspection, ils se font
pincer. Plusieurs fois par année. Ils doivent payer une fortune en
amendes, parfois plusieurs milliers de dollars, mais ils sont toujours
ouverts. « Ça ne devrait pas exister. Il faut éliminer ces gens-là du marché »,
tranche François Meunier, de l’Association des restaurateurs du Québec,
qui connaît bien le phénomène.
Seulement 5 % des établissements alimentaires du Québec représentent un
risque qualifié de « moyen-élevé à élevé » par les inspecteurs. De
ceux-ci, une toute petite partie sont des récidivistes. Il ne s’agit
pas d’un restaurant où les employés omettent parfois de porter un filet
sur la tête et où le réservoir de savon était vide le jour de
l’inspection. Ni même d’endroits condamnés une fois ou deux en 12 mois.
Ce sont des gens qui échouent systématiquement au test de l’inspection.
À Saint-Hubert, le restaurant Québec Drive-In détient le triste record
du plus grand nombre d’infractions en 2009, avec 16 condamnations
totalisant 13 000 $ d’amendes. On reproche à l’établissement d’avoir
détenu des produits impropres à la consommation humaine, d’avoir
conservé des aliments à une température inadéquate, d’avoir eu des
équipements malpropres et d’avoir eu en stock un produit qui présentait
un risque pour la santé des clients.
La semaine dernière, le restaurant, qui a l’air plutôt bien, était
toujours ouvert. La serveuse était sympathique et les assiettes
appétissantes. Les propriétaires des lieux n’avaient toutefois vraiment
pas envie de répondre aux questions d’une journaliste à propos de leur
situation, prétextant que ce qui se passait entre eux et leur
inspecteur était d’ordre privé.
En fait, c’est faux. Toutes les condamnations en matière d’inspection des aliments sont publiques. Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du
Québec (MAPAQ) est responsable de la surveillance des établissements
dans l’ensemble du territoire québécois, sauf à Montréal, où c’est la
Ville qui fait l’inspection. Chacun tient un registre des fautifs.
PEU DE CLIENTS SONT AU COURANT
Les consommateurs peuvent consulter les sites de la Ville de Montréal
ou du MAPAQ pour obtenir la liste des contrevenants. Ce n’est pas une
mince affaire : au provincial, par exemple, les condamnations pour les
régions de l’Estrie et de la Montérégie sont regroupées. La liste
comprend les restaurants inspectés, mais aussi d’autres établissements
sous la responsabilité du MAPAQ, comme les épiceries et les fermes. Le
registre de 2009 fait 269 pages! Un peu long à consulter, avant d’aller
souper dans le Vieux-Longueuil.
Les représentants de la Ville de Montréal et du MAPAQ défendent tout de
même l’efficacité de la méthode. Environ 150 personnes consultent les
condamnations chaque jour, précise Christine Vézina, chef de la
division Inspection des aliments à Montréal. Ne serait-il pas plus efficace d’afficher systématiquement le résultat
de l’inspection, qu’il soit excellent ou moins favorable, sur les lieux
mêmes? « Le règlement ne nous donne pas le pouvoir de mettre une affiche dans la vitrine du restaurant », précise Mme Vézina.
À Toronto, la Ville a instauré un système de couleurs. Vert, jaune et
rouge, comme les feux de circulation. Chaque restaurant affiche sa
couleur. Le client qui se présente dans un restaurant marqué rouge a
toute la liberté d’y prendre son repas, mais il sait que
l’établissement ne satisfait pas aux critères de salubrité exigés de la
Ville.
L’Association des restaurateurs du Québec s’oppose à l’affichage du
résultat de l’inspection selon un code de couleur. « Nous avons un
problème avec le jaune », explique François Meunier. Un restaurant peut
avoir commis une seule infraction et perdre son « feu vert », ce qui
pourrait lui faire très mal. L’Association des restaurateurs croit
plutôt que l’on devrait accoler des points au permis de restauration,
comme on le fait pour le permis de conduire. Un restaurateur qui perd
ses points perd son permis. « Notre objectif, dit-il, est d’éviter qu’on
se retrouve avec des amateurs ou des gens qui ne devraient pas être
dans le domaine ».
Depuis la fin de 2008, quiconque veut obtenir ou renouveler un permis
de restaurateur doit obligatoirement suivre une formation en gestion et
salubrité. Selon François Meunier, cela devrait grandement contribuer à
éliminer les cas problématiques. À la fin de cette année, tous les
restaurateurs auront donc reçu cette formation. « Il faut une formation
de 150 heures pour être chauffeur de taxi à Montréal, ce n’était pas
normal de pouvoir obtenir un permis de restauration sans un minimum de
formation », lance-t-il.
Les restaurateurs déjà en affaires qui échouent au test de l’inspection
reçoivent de la documentation. Ils peuvent aussi assister à des séances
de formation offertes par le Ministère, ce que plusieurs acceptent,
explique Chantal Fontaine, conseillère au Centre québécois d’inspection
des aliments et de santé animale de la Montérégie et de l’Estrie.
« Notre but, ce n’est pas de poursuivre des gens, dit-elle, c’est de
régler la situation ».
SELON LE RISQUE
Les restaurants sont visités selon un degré de risque établi par
l’inspecteur. Par exemple, un dépanneur où tous les aliments arrivent
emballés sera moins à risque qu’un restaurant où il y a beaucoup de
manipulation, explique Christine Vézina. À cette classification
s’ajoute le facteur récidive. Certains établissements sont visités tous
les trois mois. Si le risque est faible, l’inspecteur fait sa visite
aux trois ans.
L’équipe d’inspection des aliments de Montréal regroupe plus d’une
quarantaine de spécialistes, dont 34 inspecteurs. Leur réseau compte
quelque 12 000 établissements de restauration et de vente d’aliments au
détail. Près de 18 000 visites y sont faites chaque année. Conformément
à la loi, l’inspecteur peut pénétrer à toute heure raisonnable dans un
établissement. L’arrivée impromptue de l’inspecteur, sans avertissement
préalable, permet une évaluation objective des conditions d’hygiène et
de salubrité des lieux, explique Christine Vézina.
Lors de la visite, les inspecteurs peuvent ordonner la fermeture d’un
restaurant pour une période allant jusqu’à cinq jours, « quand il y a
danger imminent pour la santé des consommateurs », précise Christine
Vézina. Les fermetures ne sont pas rendues publiques.
À Montréal, 11 établissements ont connu ce sort, l’année dernière. Ils
sont tenus de corriger la situation durant leur fermeture. S’ils ne le
font pas, la Ville peut s’adresser au bureau de ministre de
l’Alimentation pour prolonger la fermeture ou carrément révoquer le
permis de l’exploitant, ce qu’elle n’a fait qu’une seule fois dans les
dernières années.
MARCHÉ KEI PHAT
Boucherie-épicerie
4215, rue Jarry Est, Montréal
Cinq condamnations en 2009 pour avoir gardé des produits à la mauvaise
température et pour présence d’insectes, de rongeurs ou de leurs
excréments.
Total des amendes : 10 000 $
OINEG FINE KITCHEN
Restaurant, plats à emporter
360, rue Saint-Viateur, Montréal
Six condamnations en 2009 pour présence de rongeurs ou de leurs
excréments et parce que les lieux, les équipements et les ustensiles
servant à la préparation ou au conditionnement, à l’entreposage, à
l’étiquetage ou au service des produits n’étaient pas propres, non plus
que les autres installations ou locaux sanitaires.
Total des amendes : 9400 $
MARCHÉ KIM HOUR
Boucherie-épicerie
7734, boulevard Saint-Michel, Montréal
Sept condamnations en 2009 pour avoir gardé des produits à la mauvaise
température et parce que les lieux, les équipements et ustensiles
servant à la préparation ou au conditionnement, à l’entreposage, à
l’étiquetage ou au service des produits n’étaient pas propres, non plus
que les autres installations ou locaux sanitaires.
Total des amendes : 24 000 $
PHO HOA
Restaurant
6230, chemin de la Côte-des-Neiges, Montréal
Six condamnations en 2009 pour présence d’insectes, de rongeurs et de
leurs excréments, pour avoir conservé des aliments à la mauvaise
température et parce que les lieux, les équipements et ustensiles
servant à la préparation ou au conditionnement, à l’entreposage, à
l’étiquetage ou au service des produits n’étaient pas propres, non plus
que les autres installations ou locaux sanitaires.
Total des amendes : 16 500 $
KIEN VINH TRADING
Boucherie-épicerie
1062, boulevard Saint-Laurent, Montréal
Quatre condamnations en 2009 pour avoir conservé des aliments à la
mauvaise température, pour présence d’insectes, de rongeurs ou de leurs
excréments et parce que les lieux, les équipements et ustensiles
servant à la préparation ou au conditionnement, à l’entreposage, à
l’étiquetage ou au service des produits n’étaient pas propres, non plus
que les autres installations ou locaux sanitaires
Total des amendes : 20 300 $
On peut facilement trouver les renseignements concernant un
établissement condamné sur le site de la Ville de Montréal, en faisant
une recherche avec le nom du commerce. Ce n’est pas possible au
provincial. Par contre, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et
de l’Alimentation propose un abonnement à son registre de
condamnations. L’abonné est averti de chacune des condamnations, à la
pièce, pour l’ensemble de la province.
Nous avons limité notre évaluation à l’année dernière et calculé les
condamnations, bien que certaines infractions aient été commises
quelques années auparavant. Certains établissements mentionnés avaient
aussi été condamnés plusieurs fois avant 2009, toujours pour des
infractions semblables. La valeur des amendes est un bon indice de
récidive.
MONTRÉAL Mots-clés: Restaurants Bar – Critères: Catégorie d’établissement