Ce projet a énormément plu aux professeurs et aux
autorités de l’ITHQ, qui ont cherché la manière de le réaliser. À sa onzième
édition, il fait partie de l’hiver montréalais, et c’est un événement gastronomique
majeur dans cette grande ville ouverte sur le monde. Le Festival Montréal en Lumière, c’est bien des choses
à la fois. Tout d’abord, c’est la Fête de la Lumière, avec des spectacles qui font
briller la ville de mille feux. Il y a une Nuit blanche le samedi 27 février qui,
à elle seule, compte 175 activités gratuites de scène, de contes et de musique,
avec des navettes et un métro ouvert toute la nuit pour les Montréalais et les
visiteurs.
Le volet gastronomique a animé les restaurants montréalais
du 18 au 28 février. Chaque année, la tradition veut qu’il y ait deux pays ou
régions du monde invités. Le Portugal était le grand invité d’honneur
pour 2010, avec une délégation des 20
meilleurs chefs et de 18 grands producteurs de vin et de portos qui nous font
découvrir un Portugal exquis et de prestige.
La Nouvelle Orléans, qui était l’autre vedette culinaire,
fut présente avec six chefs pour nous faire savourer la mythique cuisine de
la Louisiane.
Le festival était aussi l’occasion de découvrir les
produits québécois. Les Cantons-de-l’Est nous ont apporté leurs meilleurs
produits, tout comme les fromagers
artisans du Québec, qui ont tenu une sorte de foire au Complexe Desjardins et au
Marché Jean-Talon et une soirée découverte le 27 février, à l’Hôtel Hyatt
Regency.
Je suis allé à la conférence de presse qui s’est tenue dans
les locaux du restaurant Ferreira Café, le 18 février. Carlos Ferreira, le défenseur de la gastronomie
portugaise à Montréal, était l’un des organisateurs qui a réussi à faire venir les
chefs et les producteurs de vin à Montréal. Il a accueilli dans son
restaurant le président d’honneur, monsieur Fausto Airoldi.
Nous étions une dizaine de journalistes, quelques
photographes, madame Germaine Salois, directrice des Plaisirs de la Table, Mme
Mimi Vallée et M. Jean François Demers, conseiller spécial et porte-parole du
Festival; il y avait également notre ami Samy Rabbat, l’éditeur de l’incontournable
site du monde de la gastronomie du même nom.
Le chef Airoldi nous a impressionnés par sa vision sereine de la cuisine
portugaise. Il défend une cuisine contemporaine authentiquement portugaise,
sans compromis sur les saveurs, n’employant que des produits de grande qualité
et avec une présentation impeccable de chaque mets. Contrastant avec la
personnalité posée du grand chef Airoldi, le bouillonnant producteur Dirk Van Der Niepoort nous a entrainés dans son
monde de portos et surtout de vins du
Douro.
Dirk appartient à une famille de négociants de portos
d’origine hollandaise, installée au
Portugal depuis deux siècles. Après des études en économie en Suisse, il a travaillé
pendant une année à Nappa Valley et est rentré à son Portugal natal avec la
tête pleine d’idées. Il réussit à convaincre sa famille d’investir dans l’achat
de deux vignobles dans le Douro et décide de produire son propre vin. Son idée
est que le vignoble portugais est extrêmement varié et qu’il faut le garder et
l’utiliser tel quel. Dans ses seules terres de Quinta de Napoles et de Quinta
do Carril, il trouve près d’une centaine de variétés de vignes presque toutes
centenaires. Il se lance le défi de
produire un vin de qualité avec ces cépages. Au début, c’est un échec. Dirk dit
que le vin, c’est comme apprendre l’anglais : parler c’est facile, mais le
maîtriser est difficile. Sa première production donne un vin robuste mais non commercialisable.
Il se trouvait en Australie et téléphone à son père pour savoir comment est le
vin. Son père lui répond : « c’est de la m… ». Il a déjà distribué les trois
quarts de la production aux travailleurs comme vin de table. Dirk ne se
décourage pas, il s’adjoint un excellent œnologue et recommence.
Faire des grands vins avec l’assemblage de dizaines de
cépages tient du grand art. En quelques années, il faut le reconnaître, le vin
de Dirk Van Der Niepoort est devenu bon, même très bon. Certains millésimes
sont excellents, comme le Charmes 2000, le Batuta 2004. Je réclame à goûter le
Charmes 2000; Dirk n’en a pas, mais il se lève et va nous chercher, derrière
les fagots, deux bouteilles de Batuta 2004. Nous sommes une dizaine de
journalistes et de chroniqueurs de vins et il nous impressionne vraiment. Le
Batuta est fait de 90 cépages et il est incroyablement bon!
Monsieur Ferreira nous a fait servir en prémices
certains plats des Dîners du président d’honneur Fausto Airoldi. Délicieux! Je
me réjouis, d’autant plus que j’ai couvert un dîner en tant que
chroniqueur. Je tiens à signaler
l’impeccable service de Jennifer.
Nous nous sommes séparés, heureux et satisfaits, comme
il se doit. Les deux objectifs de la cuisine ont pleinement été atteints.
Le dimanche suivant, je me suis représenté au Ferreira
Café pour souper, en compagnie de ma fille.
Le restaurant était plein et les gens joyeux. Nous avons été aimablement
reçus par Paulo Ferreira, qui nous a guidés à notre table. Un service impeccable nous a été assuré toute la
soirée par l’élégant Phillip.
En premier service, on nous a versé un Niepoort Porto
Blanc, dont la jolie robe or tire vers le caramel. Ce Porto est un assemblage de
vins faits de raisins blancs qui ont vieilli trois ans en fûts de chêne.
Arômes de noix et de noisette. Le temps
de prendre une gorgée et on nous déposait un plat de pétoncles grillés, compote
de tomates et d’oignons, huile d’olive et Moscatel de Setibal. Un excellent
mariage.
En deuxième service, on nous a apporté une soupe aux
pois froide, avec chantilly à la menthe et croustillant de jambon porco preto
fumé, accompagné d’un Niepoort Redoma Blanc, Reserva 2008. Les Rédoma sont
produits depuis 1991. Le Reserva 2008 a une belle robe couleur paille. Nez
fleuri de jasmin, de citronnelle et de pamplemousse. Acidité bien équilibrée,
beaucoup de fraîcheur. Au goût, une approche généreuse, complexe, minérale, goyave,
amarante. Un autre beau mariage.
En troisième service, on nous a présenté un plat de
morue fraîche, pochée à l’huile d’olive,
avec mousse de pommes de terre, miel et amandes grillées. Le vin d’accompagnement était le même, qui va également très bien avec le poisson.
En quatrième service, on nous a apporté un Mérou grillé
avec légumes verts à la vapeur, accompagné d’un Niepoort Vertente 2007, un bon
vin rouge à la robe foncée, bonne concentration et belle texture. Acidité
présente, mais aussi une belle fraîcheur.
En cinquième service, nous avons eu du porc sauté à la
coriandre et croûte de piments séchés sur pain grillé, surmonté de palourdes
Bulhao Pato, ce qu’en version plus rustique on appelle Porco à l’Alentejado. Il
était accompagné d’un délicieux Niepoort Charme 2007. Belle robe rouge cerise
foncée. Nez fait tout en harmonie, avec des touches de vanille et de cacao. Des
tanins présents, mais veloutés et élégants. Un peu épicé, également fruité, une
longue finale très agréable.
Nous avons terminé le repas avec une crème renversée
d’Estremoz, aux agrumes d’Algarve et salade de fleurs pour ma fille et un
bouquet de sorbets pour moi, avec un Nieport Colheita 1995, qui est un
excellent porto vieilli en barrique au moins sept
ans et généralement davantage. Il avait une teinte foncée rouge fauve, des tons de
noisette et de vanille très présents à cause de son vieillissement en tonneaux
de bois. Il se mariait à merveille avec nos desserts.
Avant de partir, j’ai eu la chance
d’échanger avec le célèbre chef copropriétaire Marino Tavarez, à qui j’ai
demandé où se situait sa cuisine face à la cuisine fusion et à la cuisine
moléculaire. Voici sa réponse : « Nous tenons à demeurer dans la cuisine
traditionnelle portugaise, avec les saveurs authentiques de chaque produit dans
l’assiette. Nos produits sont déjà très goûteux. Nous ne voulons pas puiser
dans des cuisines exotiques des goûts qui se marieront finalement mal avec les
nôtres. Et quoique nous nous affirmions comme une cuisine moderne, nous ne
voulons pas nous livrer à la fantaisie de la cuisine moléculaire, où le
consommateur a besoin qu’on lui explique chaque mets qu’il mange et en sortant
de table, il a encore faim ». Les paroles du chef Tavarez
serviront de conclusion à ma chronique.