UN INTELLECTUEL AU CENTRE BELL
Mon patron me relance toujours pour savoir si j’ai un bon
sujet pour le portail, et provocateur de préférence. Il va être gâté
aujourd’hui. Imaginez donc que moi, l’intellectuel pur jus, qui ne regarde
JAMAIS un match de hockey à la télévision, à part les troisièmes périodes aux
éliminatoires, je suis allé au Centre Bell hier soir. Je pressentais qu’il
allait se passer un événement historique.
Ça c’est mon flair qui ne le dispute
qu’au Braque de Weimar, qui comme on le sait est un beau grand pitou qui a le
museau hypersensible. Il faut vous dire qu’un peuple qui crie à tue-tête « Go
Habs go » ne m’impressionne pas du tout. Quand je regarde les Québécois ou
les Montréalais, c’est selon, je ne peux m’empêcher de penser qu’il y a un Montréalais
sur dix sur l’aide sociale. Et je ne parle pas de ceux qui sont sur la CSST,
l’assurance-chômage, l’IVAC et quoi encore. De locataires qui ont toujours
raison devant la Régie, même quand ils s’arrangent pour vivre d’un logement à
l’autre sans ne jamais rien payer.
D’un métro dont les rames roulent depuis
1967, d’un CHUM à venir dans le lointain, de l’échangeur Turcot qui va bientôt
nous tomber sur la tête (je vous révélerai le jour en exclusivité). D’un peuple
qui endure des gouvernements qui ne font rien et sur qui plane une aura de
corruption. Bon, vous comprendrez que le « Go Habs go » ne
m’impressionne vraiment pas. Surtout que la majorité des joueurs du Canadien
sont anglophones, quand ils ne sont pas carrément américains… « Go Habs
go! » Quand tu es un peuple impuissant, tu te la gèles avec le sport.
D’autres vont vaincre à ta place.
UNE BELLE ORGANISATION
Première des choses, j’ai appelé au Centre Bell pour savoir
qui s’occupait des relations de presse du Canadien. Je tombe sur un précieux de
première qui me demande : « C’est pourquoi? » Tu as envie de
hurler. Comme je lui fais presque savoir que ce n’est pas de ses oignons, il se
venge en me faisant poireauter au téléphone. Finalement, après un temps
interminable, j’ai en bout de ligne un relationniste du Canadien qui s’est
montré d’une grande courtoisie. Il m’informe que la soirée au Centre Bell est
une initiative d’Evenko. C’est l’organisation qui a remplacé le groupe Gillett.
Il me réfère à Céline Montreuil. D’une rare efficacité. Je
lui explique que pour Métropole, je veux faire un papier d’ambiance. Et que je
viendrai avec un collègue. Pas de problèmes, l’affaire est ketchup. Je me
retrouverai donc dans la galerie de presse, tout en haut près du plafond. C’est
vraiment haut. À proscrire pour ceux qui ont le vestige. Le jour venu, mon
partenaire est indisposé par un violent mal de gorge. Il a du avaler par
mégarde des poils de son chat. Je suis pris pour y aller tout seul. Au final,
je me suis dit que de toute façon, j’ai bien regardé les troisièmes périodes
des derniers matchs dans mon salon. Je suis bien tout seul dans ces moments là.
Quelle différence. En prime, je serai en compagnie de 21 000 personnes
déchaînées qui vont regarder d’autres bouger à leur place. Puis il y a
l’ambiance. Pour ça, au Centre Bell, c’est assez survolté merci. Rien à voir à
ce que vous voyez sur vos écrans de télévision. On dirait une grosse discothèque
hyper bruyante avec plein de « bimbos
aux protubérances mammaires bien en évidence ». Qui vont te refroidir vite
les ardeurs si tu regardes de trop près. (La séduction chez la Québécoise,
oubliez ça). Et des mecs gonflés à la testostérone. Des frustrés, vous dis-je. « Go
Habs go! » Je parie un cinq que tout ce beau monde ne sait même pas qui
était le premier ministre du Québec juste avant Maurice Duplessis.
LE SALON JACQUES BEAUCHAMP
Quand je suis arrivé au Centre Bell, mon nom figurait sur la
liste des invités. On m’avait prévenu que contrairement à l’habitude pour les
médias, il n’y aura pas de souper, ni de bière! Parce que c’était Evenko qui
recevait et non l’organisation du Canadien. Arrivé donc au comptoir
d’enregistrement, je décline mon nom auprès d’un sympathique vieux monsieur, un
peu perdu, et qui a dû connaître Howie Morenz en personne (allez sur Google
pour savoir qui était Morenz, je n’ai pas le temps de raconter sa vie ici). Il
m’installe autour du poignet un bracelet comme on en fait porter aux bébés dans
les pouponnières pour mieux les identifier.
Mon dieu qu’on aime donc étiqueter
le monde ici bas. Je pense qu’il y a juste chez Parée qu’on ne t’étampe pas les
poignets. Arrivé au salon Jacques Beauchamp, nommé ainsi en mémoire de ce gros
bonhomme qui mangeait du sport et qui a créé les pages sportives au Journal de
Montréal, sous la férule de Péladeau père, qui en a abusé jusqu’à la fin. Mais
ça, c’est une autre histoire. Au moins, il a une salle à manger qui porte son
nom. C’est toujours ça de pris. Quand tu es un étranger dans ce petit monde des
chroniqueurs sportifs, on te regarde de haut.
Même les préposés du salon.
Pensez-donc, paraîtrait-il que Marie-Claude Savard, qui pourtant fraie dans le
milieu depuis quelques années, n’est même pas acceptée totalement par la
confrérie masculine. Un peu mieux pour la Macchabée de RDS. C’est une blonde
toujours souriante et les gars qui carburent à la Molson Dry et autres
substances aiment bien les blondes souriantes. Et moi qui arrive dans le décor
avec mon petit costume « fancy » et mon gros nœud papillon. Je suis
sûr qu’un des préposés a dû se demander si je n’étais pas un « fif ».
Je lui donne raison à demi. Moi aussi je me farcirais bien la Macchabée, mais
elle est déjà prise. D’ailleurs, il m’observera tout au long de mon séjour à
la galerie de presse.
AH OUI, LE MATCH!
Pour un « thrill », c’en est tout un. Oublions
pour un instant les 21 000 frustrés qui crient à s’époumoner « Go Habs go »,
je me sens artificiellement en communion avec la masse. Il y en a eu des beaux
moments. Le premier but du Canadien dans les 30 premières secondes du match. On
pensait même que c’allait être un jeu de massacre pour le Canadien, qui a mené
un bon bout de temps par le compte de 4 à 0. Les Penguins se sont ressaisis en
deuxième. Et ça c’est corsé jusqu’à la fin. Dans la dernière minute du jeu,
l’ambiance était infernale. Je serrais ma bouteille d’eau (je rappelle qu’il
n’y avait pas de bière pour les journalistes, le Québec étant entré dans une
ère de tempérance.
Il n’y a plus d’Église pour nous surveiller, mais il y a
toujours toutes sortes d’autres polices ou morales pour nous contrôler. Et je
ne parle pas des femmes. Mais ça aussi, c’est une autre affaire). Donc la
grande victoire que j’avais pressenti comme mentionné plus haut avec mon museau
à faire rougir de honte un Braque de Weimar qui, comme vous le savez… Ah! Oui,
je vous l’ai déjà dit.) Et on sort ensuite à l’extérieur sous les « Go Habs
go ». Il y a plein de policiers partout qui surveillent à ce que les
vitrines des magasins et les voitures garées demeurent intactes. Mais on sent
que ça en démange une gang de casser de l’objet urbain.
Car les frustrations
remontent à la surface. Le trottoir vous ramène à votre réalité. Les gens pour
beaucoup sont contents. On klaxonne comme lors d’un mariage. Ils ont vécu un
événement. Sportivement parlant, c’en était un. Le Canadien, je me dois d’être
positif, a bossé pas mal fort. Si les nôtres voudraient tirer une leçon du
match, c’est la valeur du travail bien. Mais les Québécois ont en commun avec
les Haïtiens d’être dépendants de tout. Ce sont leurs frères en pensée. « Go
Habs go ». Le vrai succès au Québec, c’est Centraide, les téléthons, la
Guignolée des médias et le Club des petits déjeuners. Le triomphe de la misère,
quoi… érigé en système. Là, on triomphe!