Je précise en partant que les commentaires
qui vont suivre ne se veulent pas une analyse des cas des artistes nommés
précédemment. Ils ont sans doute de bonnes raisons. Mais en général, et je suis
bien placé pour en parler, ceux que vous voyez sur scène sont des carencés
affectifs profonds. Ils ne vivent que pour l’approbation du public. La becquée
que maman ne leur a pas donnée. C’est très freudiené;
Ginette Reno dans sa chanson « La scène » a bien décrit cet état d’excitation
hors du commun qui fait que beaucoup de vedettes sont si malheureuses une fois
les projecteurs éteints.
La vie quotidienne devient insupportable. Gilles
Latulippe a déjà dit en boutade qu’il y en a qui cherchent tellement les
projecteurs, que lorsqu’ils ouvrent le frigo, ils sourient à la lumière!
MOI-MÊME SUR SCÈNE!
Je coiffe plusieurs casquettes, dont celle de
conseiller artistique à la Butte Saint-Jacques, le temple de la relève en
chanson et en musique dans le Vieux-Montréal. Et j’ai passé auparavant près de
trente ans à organiser des concerts classiques. Je connais tous les recoins de
la profession et il m’arrive de donner des coachings
à ceux et celles qui veulent faire carrière. Et qu’est-ce que je leur dis en
partant? Si vous choisissez ce métier pour la gloire, vous vous assurez d’un
malheur certain. Et à ce propos, c’est l’Abbé Pierre qui a dit que la pire
chose qu’il souhaitait à quelqu’un, c’était la célébrité.
Je reviens à ce que
je disais tantôt; les artistes montent sur scène pour chercher de l’amour. Vous
voulez mon conseil? Ils seraient mieux d’aller chercher cet amour ailleurs, car
il n’y a pas plus ingrat que le public. Il rejette aujourd’hui ce qu’il adorait
hier. Et c’est ce qui stresse effectivement les stars, qui se demandent de fois
en fois combien de temps va durer « cet amour ». Vous aurez compris
que c’est un métier impitoyable. Quand j’anime les soirées « Découvertes »
à la Butte Saint-Jacques, on s’est souvent étonné de mon grand calme. La
recette est simple, je n’en ai rien à cirer de l’amour d’une salle. Je fais un
boulot pour lequel je suis très bien préparé et je sais à l’avance qu’on ne
peut plaire à tout le monde.
HUMORISTE, COMME SUR UN FIL DE FER
Les humoristes sont particulièrement sujets
au stress, et ça se comprend. Pour avoir recours à des blagues dans mes
présentations, je sais que c’est un exercice parmi les plus périlleux. Je vais
vous donner deux exemples de blagues dont une frappe dans le mille à tout coup
et l’autre qui vous expose à des huées ou presque. La première,
« Avez-vous remarqué que plus les télévisions sont plates et plus les
programmations sont épaisses? ». Elle m’a été fournie par Sylvain Champagne,
un brillant esprit. Avec celle là, je cartonne toujours.
La suivante
maintenant, « Quand on demande à un bisexuel sa préférence, il vous
répondra qu’au lit, pour certains actes, tous les dessus de têtes se
ressemblent ». Si pour votre malheur il y a des gens de Laval dans la
salle, attendez-vous à un silence de mort. Je l’ai vécu et j’ai enchaîné, car
sur scène je suis habile comme un petit singe. Mais pour quelqu’un qui est
sensible, ce peut être crucifiant. Vous remarquerez que les humoristes sont plus
sujets à des épuisements. C’est un défi au quotidien. Et comme l’on dit bien
des grands noms du théâtre français, ce n’est pas la faute de l’artiste. Cela
existe, des mauvaises salles.
LE DOUTE PERMANENT
Guérit-on de ses phobies de scène? Rarement.
L’artiste se met toujours à nu. Voyez Céline Dion. On ne peut pas être plus
stressé qu’elle. Pourtant, elle a eu tous les honneurs inimaginables et la
reconnaissance planétaire. Pas reposante, la petite. De grâce, ne lisez pas le
dernier ouvrage de Charles Aznavour à ce sujet. Je l’admire comme chanteur, au
superlatif. Mais ce qu’il est rasant quand il s’exprime sur le métier. Un
véritable pater familias qui débute souvent ses phrases par « Mon
petit ». Il dit d’ailleurs que ce qui l’ennuie, ce sont les donneurs de
leçons. Il ne se voit pas aller, il passe son temps à en donner.
Quand je vois
des artistes arriver sur scène et prendre à témoin le public par un gros :
« Allo! Ça va? » Que c’est donc moron.
Le public vient pour se laisser submerger par le talent. Il n’attend pas que
l’artiste s’informe à savoir s’il est prêt à l’entendre. Ce n’est pas au public
à être en forme, mais à l’artiste. Quand les gens allaient voir Yves Montand,
son show était rodé au millimètre près. Et le spectateur savait à l’avance
qu’il en aurait pour le prix de son billet. D’autres montent sur la scène,
malades d’émotion. Et on le sent, qu’ils quêtent pitoyablement notre amour.
Cela réduit de beaucoup leur impact sur l’auditoire.
Une salle doit être
conquise. L’artiste est comme un toréador qui affronte le taureau (la salle).
Le toréador ne demande pas au taureau, s’il est en forme. Le taureau sait ce
qu’il a à faire, le toréador n’a qu’à bien se tenir. S’il n’est pas préparé, il
va se faire encorner sur un joli temps.
DU CÔTÉ DES ARTISTES CLASSIQUES
La dynamique n’est pas tout à fait la même.
Là, on pêche parfois dans l’excès contraire. C’est l’artiste qui est habité par
un gros ego, particulièrement chez les chanteurs. Pourquoi? Parce que ce sont
eux qui fabriquent le son si beau qui va vous transporter d’aise. Leur gorge
devient instrument. Ils bombent le torse dans un élan d’autosatisfaction. Ils
se sont préparés à travers une discipline d’acier. Ils savent que ce public les
attend, quasi partition en main, traquant la fausse note.
Rappelez-vous les
finales de Pavarotti qui écartaient les bras, mouchoir en main, large sourire
de contentement. Il venait de vous avoir à l’os en chantant pour la énième fois
« O sole mio ». Il recherchait l’effet et prenait son pied à nous
éblouir. C’était comme un enfant. Je ne sais pas si vous avez vu, la semaine
dernière, son film « Georgio ». Tout un navet. Mais qui avait le
mérite de nous montrer la fatuité de ce qu’est un artiste lyrique.
POURQUOI JE VOUS DIS TOUT ÇA?
Parce que vous, du grand public, vous êtes des
« Artist killer ». Vous faites et défaites des réputations. Paul
McCartney a raconté à La Presse qu’il a commencé à moins s’en faire sur
la base de la vente rapide des billets. Encore hier, il s’angoissait de la
vente au box-office. Il s’est finalement raisonné en se disant « si
ça se vent si vite, c’est que les gens m’aiment ». Imaginez! Il n’a appris
sa leçon que sur le tard. Être artiste, ce n’est pas un état normal. La
prochaine fois que vous irez en voir un, fort de ce que je viens de vous dire,
demandez-vous vraiment si vous aimeriez être cinq minutes dans sa peau!
Les
opinions exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement
celles de lametropole.com.