Il n’y a pas une semaine où des nouvelles
déprimantes viennent nous rappeler le triste sort de nos aînés parqués dans les
poulaillers que sont les résidences qui leur sont assignées. De véritables
mouroirs ou ces vieilles gens se regardent les genoux à longueur de journée en
attendant que le Très-Haut leur fasse la faveur de venir les
« délivrer » de leur condition. Et quand on observe de près cet
affligeant spectacle, on n’est pas loin de trouver où sont les fautifs. J’y
reviendrai d’ailleurs plus loin.
Rappelez-vous quand vient le temps des Fêtes.
Les nouvelles télévisées nous ramènent ces reportages sur la fête qu’organisent
Les Petits Frères des Pauvres. Et qu’est-ce qu’on entend inlassablement :
« Ah! Ben ça nous fait du bien. On se retrouve ensemble. Parce que le
reste de l’année, y’a pas beaucoup de gens qui viennent nous voir. Nos enfants
sont occupés avec leur famille. Ils ont moins de temps ». Charitable
commentaire de leur part. En réalité,, on devrait plutôt dire que leurs enfants
se sont empressés de se débarrasser d’eux.
L’EXEMPLE D’AUTRES CONTINENTS
Il n’y a que dans les pays développés que les
gens âgés connaissent une telle indignité de fin de vie. Ailleurs, ce serait
impensable d’écarter une grand-mère. Elle a toute son utilité. Elle garde les
enfants pendant que la mère est aux champs. Prépare souvent les repas. Bref, se
sent utile. Ici, faute d’aînés comme ressources de proximité, on
« dompe » les petits en garderie. Cela coûte une fortune aux parents
et à la société. Et est-ce qu’on est regagnant? Je fais exception dans les cas
où l’aîné est en perte d’autonomie et que des soins spécialisés doivent lui
être prodigués. C’est compréhensible.
Mais si votre mère ou votre père est dans
la soixantaine passée et en forme, pourquoi ne pas les avoir, sinon à la
maison, comme voisins immédiats Vous êtes toujours à proclamer que c’est si
formidable, la famille. Montrez-le. Bien non, on ne veut pas de la belle-mère
contrôlante dans le décor. Elle est toujours dans nos jambes. Le pépé ne dit
jamais un mot et se berce toute la journée. Vous trouvez cela pénible. Si oui,
il faudrait le dire, que les vieux vous emmerdent. De toutes façons, vos gestes
le traduisent bien.
Je me rappelle, il y a quelques années, quand j’organisais
des récitals classiques dans les résidences. Mon dieu que c’était tristounet.
Les préposés aux bénéficiaires allaient les chercher dans leurs chambres, ces « morts-vivants »,
pour leur procurer une heure de « bonheur ». La moitié d’entre eux
dormait après quinze minutes.
Et dans ces foyers, quand un vieux chiale à
longueur de journée, on a toujours une petite pilule magique pour le réduire à
l’état de légume docile. Et puis ça coûte cher, ces fameuses résidences, qui
prennent tout leur chèque. Les avoirs d’une vie. Cet argent serait infiniment
mieux employé en étant réintégré dans le budget global familial. Des architectes
et des sociologues avaient imaginé, dans le cas des maisons unifamiliales, la
possibilité de construire à l’arrière une sorte de résidence secondaire pour
les grands-parents, favorisant ainsi la proximité que j’ai évoquée.
Mais non,
la sauce n’a pas pris. Le non-dit, c’est l’embarras de leur présence. On les a
déjà assez eu comme parents, s’il faut en plus les avoir près de soi, « je
pète les plombs » semblent nous dire les jeunes ménages. Bref, cet
égocentrisme va nous occasionner de lourdes factures gouvernementales. Les
dernières statistiques nous informent que près de 6000 aînés sont en attente
d’une place en résidence. C’est faux. Il faut dire près de 6000 personnes se
voient indiqué le chemin de la résidence.
ET LA CERISE SUR LE SUNDAE
Cela se passe dans le West Island. Je vous
vois d’avance dire que j’exagère. La présence des vieux est si embarrassante
qu’à Beaconsfield, un groupe de citoyens veut empêcher la construction d’une
résidence dans leur secteur. Au motif de quoi? « Cela ne cadre pas dans le
secteur et le prix de nos maisons va chuter ». Et sur ce sujet, un
journaliste de La Presse rapportait une des objections avancées par un
protestataire : « Il y a déjà beaucoup trop de voitures qui circulent
et beaucoup trop de problèmes de stationnement.
Avec la résidence, ce sera
pire. On sait comment ça se passe : les gens âgés conduisent jusqu’à leur
mort!!! » Et si je veux être équitable, il y a des grands-parents égoïstes
qui prétendent avoir déjà en avoir assez fait avec leurs propres enfants,
qu’ils préfèrent ne pas s’occuper des petits-enfants. Finalement, c’est une rhétorique
infernale du chacun pour soi. Le constat d’une époque où l’altruisme a pris le
bord.