Hier
soir, par affaires, je devais me rendre sur la rue Sainte-Catherine, à l’intersection
de Théodore. On est en plein cœur du quartier Hochelaga-Maisonneuve. J’ai
toujours eu une tendresse particulière pour ce quartier. En effet, je suis né
rue Sicard, entre les rues Ontario et Rouen. J’allais jouer près du chemin de
fer, précédé des mille recommandations de ma mère et de ma tante Rolande. Cette
dernière, imaginez, n’était jamais sortie de chez elle en vingt-six ans. Avec
une bouille à la Mamma Bravo (celle des cannes de sauce tomate) elle nous
racontait, bien assise sur sa chaise berçante, toutes sortes d’histoires.
Elle
partageait avec feu ma maman la lecture d’Allo Police. Ma tante m’avait
fait peur en me montrant, à la Une de l’hebdomadaire du monde judiciaire, la
tête du décapité de la rue Bourbonnière. Un meurtre non résolu jusqu’à présent,
en passant. Vous pouvez imaginez si la chose a laissé chez moi un souvenir
impérissable. Il y a avait une vie de quartier. Beaucoup de pauvreté, mais ce
n’était pas la misère. Mais allez voir maintenant.
SAINTE-CATHERINE
SINISTRÉE
Je
vous dirais que toute la rue Sainte-Catherine Est, entre Viau et Aylwin, est au
moins dans un état que l’on peut qualifier de zone sinistrée. Il n’y a que des
commerces fermés, et pire, d’une saleté repoussante. Des junkies (avec parfois
de beaux restes) qui vous regardent l’air hagard et qui, pour 10 $, peuvent
faire un petit quelque chose. C’est absolument sordide. De temps en temps de
petites rockeuses, en Cléopâtre de quartier, brunes toastées, valent le coup
d’œil, mais cheap comme ça ne se peut
pas.
Mais voulez-vous me dire ce que fait le maire Tremblay? Il ne doit jamais
aller dans le coin de son existence. « Écoute Gérald, sort de ton bureau
et lâche le maudit Quartier des spectacles et son chantier perpétuel. Va mettre
de l’argent dans l’Est ». Et dire qu’il se trouve des conseillers
municipaux dans le coin. C’est une honte. Quand les entend-on nous dénoncer le
misérabilisme ambiant? Le coin, je le répète, est d’une saleté innommable. Il
doit y avoir au moins 300 commerces à l’abandon. Et quand on pense que la Ville
ose percevoir des taxes foncières aux propriétaires de ces immeubles! C’est un
hold-up légalisé.
Je vous le dis, quelle tristesse. Si vous demeurez ailleurs
et que vous croyez votre quartier banal à en mourir, allez faire un petit tour
dans ce que les branchés appellent maintenant HoMa (pour Hochelaga-Maisonneuve).
Cela concerne un périmètre bien délimité, comme sur la rue Adam, où des petits
couples bourgeois, trouvant le Plateau trop cher, ont commencé à investiguer le
secteur. Mais dans la grande majorité, Hochelaga-Maisonneuve est en phase
terminale. Je passais devant le parc Morgan. Le pavillon de musique au milieu
est très beau. L’herbe du parterre qui y fait face est rendue à une hauteur, ma
chère. Mais où sont donc les cols bleus du département des parcs? Ils ont
balancé leur serviette?
À
LA MAIRIE
« Pas
plus tard que demain, Gérald (le maire), dis à ton chauffeur de te conduire là
bas. Va dîner avant au snack-bar au coin d’Aylwin et Ontario. Pour te faire des
forces avant l’épreuve à venir. Cela ne paie pas de mine, mais il y a une table
d’hôte pour 6,95 $. C’est classé une demie-étoile. Mais il y a de la chaleur
humaine. On peut te donner jusqu’à seize « refil » de café. C’est
l’épicentre du BS. Puis ensuite, descend Aylwin vers Sainte-Catherine et
entreprend un beau pèlerinage jusqu’à Viau. Si, après coup, tu prétends que la
Ville de Montréal est magnifique, j’ordonnerai illico l’internement à
Louis-Hippolyte Lafontaine (dix minutes en ambulance), au pavillon des
illuminés.
LE
PASTEUR AU MARK TEN
Je
me rappelle un de mes anciens aumôniers du temps de l’école secondaire dans
Verdun. Il avait été assigné à la paroisse de la Nativité d’Hochelaga, une très
belle église en passant, mais toujours fermée, sauf durant les messes. J’aimais
bien ce membre du clergé typique de Montréal qui, comme ses collègues en
Église, n’aimait pas être dérangé. Il fumait alors des Mark Ten. Et sa
préoccupation était d’accumuler des coupons pour se payer des petites bébelles
par catalogue. Il parlait rarement de Jésus. Et quand je lui parlais un peu de
vie sexuelle, il avouait du bout des lèvres qu’il trouvait les indiennes (de
l’Inde, pas les nôtres, trop édentées) bien de son goût. Enfin. Mais je vous en
parle, car il avait eu le temps de bien saisir sa paroisse d’adoption. « Mon
cher, me disait-il avec cynisme, dans le coin c’est toute du BS ».
Et
il levait les bras au ciel en faisant bien attention de répandre de la cendre
sur sa moquette. Comme il n’avait pas l’âme d’un Don Camillo, il rêvait à
prendre plutôt ses vacances en Floride. Le Seigneur est partout. Lui, il avait
renoncé à faire quoi que ce soit. Et c’était il y a une dizaine d’années au
moins. C’est actuellement cent fois pire. Bon. Plus j’y pense, et comme la ville
entière est à l’abandon, sans maire (réputé pour ne jamais rien voir), il faut
donc des mesures exceptionnelles. C’est pourquoi je demande que Québec mette en
tutelle Montréal et qu’on appelle en renfort le maire Labaume. Lui, il va vous
organiser ça sur un joli temps!