Tapiriit Kanatami (ITK), le tribunal a accepté de se pencher sur la
légalité de la loi adoptée par le Parlement européen et d’accorder à ITK
l’injonction qu’elle avait réclamée. Mais une porte-parole de la Commission européenne, Maria Kokkonen, a
démenti la nouvelle à l’AFP, affirmant que l’embargo entrerait bel et
bien en vigueur vendredi, car la décision de la cour ne s’appliquerait
qu’aux plaignants. Même si la loi européenne prévoyait une exemption pour les produits
tirés de la chasse
traditionnelle pratiquée par les communautés inuites, les populations du Nord du pays estiment que leur marché accusera quand
même un énorme coup si l’embargo entrait en vigueur. « Il est dans l’intérêt de l’administration de justice que le statu quo […] soit maintenu », a tranché la cour, jeudi. Une décision qui encourage la président d’ITK et chef inuit nationale,
Mary Simon, qui y voit le signe que le tribunal européen pourrait
pencher en sa faveur. « Selon nous, l’embargo est à la fois illégal et immoral […]. Cette
décision est une preuve claire que la Cour européenne connaît très bien
le sérieux et la nature fondée des objections fondamentales des Inuits
et autres plaignants dans cette loi injuste », a-t-elle réagi, par voie
de communiqué.
Dans sa requête déposée en janvier contre l’UE, ITK, qui mène le
dossier, représente une quinzaine d’organisations, dont des autochtones
pour la plupart, mais aussi des sociétés de commercialisation de produits
dérivés de phoque, comme le Groupe canadien de mise en marché du phoque
(Canadian Seal Marketing Group). Le président de ce regroupement, Bernard Guimond, était lui aussi
soulagé d’apprendre la nouvelle, même s’il préfère rester vigilant. « On peut se réjouir de cette décision, mais il ne faut pas oublier que
ça a un impact sur ce que les gens pensent […]. Vous ne défaisez pas du
jour au lendemain une décision comme celle-là (d’interdire les produits
du phoque dans l’UE) », a noté M. Guimond, en expliquant que la campagne
de l’UE contre la chasse aux phoques avait marqué l’opinion publique.
Dans sa croisade contre cette chasse, l’UE a plaidé qu’il s’agissait
d’une pratique cruelle, puisque les bêtes sont abattues d’un coup sur le
crâne. Or, les chasseurs de phoque ont rétorqué à maintes reprises que
les animaux meurent instantanément. Mais la décision du Parlement européen en est une « mal informée qui
n’est aucunement fondée sur des faits ou la science », a fait valoir la
ministre des Pêches et Océans, Gail Shea, dans une déclaration écrite. Un discours partagé par le premier ministre Stephen Harper, qui a
vivement dénoncé l’embargo de l’UE aux produits dérivés de la chasse au
phoque commerciale, quelques heures avant que ne tombe la décision qui
l’a suspendu.
« C’est tout à fait injuste envers la population du Canada, et surtout de
cette région. C’est une discrimination envers l’industrie du phoque,
sans aucun raison rationnelle […] et nous allons continuer de défendre
cette industrie et aller chercher d’autres opportunités à travers le
monde pour nos produits », a tranché le premier ministre. À l’approche de l’entrée en vigueur de l’embargo, le gouvernement
fédéral s’était préparé à aller de l’avant avec la prochaine étape de
sa requête devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Compte tenu du revirement de situation, les avocats du gouvernement
étudient maintenant la décision de la Cour de justice, afin de vérifier
si elle a un impact sur le processus entamé devant l’OMC. « Mais l’intention est toujours là d’aller de l’avant avec cette
affaire », a certifié la ministre Shea, en entrevue téléphonique avec La
Presse Canadienne. Avant que ne tombe la décision du tribunal européen, le gouvernement
canadien prévoyait réclamer à l’automne la mise sur pied d’un groupe
spécial de règlement des différends, qui se pencherait sur le litige qui
oppose le Canada à l’UE. Cette requête pourrait maintenant être
retardée.
Le gouvernement estime avoir de bonnes chances de gagner sa cause, car
l’embargo imposé par l’UE contrevient aux obligations de l’OMC en
matière de commerce, juge Ottawa. « Notre position est claire : l’embargo de l’UE résulte de la
désinformation, et nous n’hésiterons pas à défendre les intérêts et les
gagne-pain des communautés du Canada qui chassent le phoque », a martelé
la ministre. La poursuite d’ITK devant la cour européenne devrait quant à elle se
poursuivre « à la fin de l’automne », selon Mme Simon.
Si Ottawa maintient la pression, c’est néanmoins une poursuite lancée
par une association représentant 55 000 Inuits issus de 53 communautés
au pays qui aura permis de renverser, pour le moment, la décision du
Parlememt européen. Nonobstant, Mme Simon ne s’en formalise pas. « Les Inuits sont comme ça, nous avons tendance à prendre le taureau par
les cornes et à essayer de changer les choses nous-mêmes », a-t-elle
indiqué, en entrevue téléphonique. Le processus entamé devant l’OMC pourrait prendre de deux à trois ans,
le temps que l’organisation – si elle donne raison au Canada – fasse
appliquer sa décision, ont reconnu des représentants du gouvernement.
L’UE a voté l’interdiction des produits du phoque sur son territoire à
l’été 2009. Et depuis cette date, le gouvernement canadien conteste sa
décision. Car c’est le genre de mesure qui pourrait créer un précédent,
craint le fédéral. Si le fédéral reproche à l’UE d’avoir basé sa décision sur la campagne
de peur de groupes de défense des droits des animaux, au pays non plus
la pratique de la chasse au phoque ne fait pas l’unanimité. Comme c’est souvent le cas lors de points de presse sur le sujet, une
poignée de manifestants se sont présentés devant l’édifice où se
déroulait la séance d’information des autorités gouvernementales, à
Ottawa.