Depuis deux ou
trois ans, la notion d’engagement ne tient plus chez nous. À telle enseigne
maintenant, que neuf fois sur dix, alors que j’ai rendez-vous avec quelqu’un,
qu’est-ce qui se passe? Un coup de fil à la dernière minute qui commence
invariablement par : « Écoutez, M. Rolland, on devait se rencontrer
ce matin, malheureusement, j’ai un contretemps et je ne pourrai pas être
présent. Je suis désolé. Il faudra qu’on se reparle pour prendre un autre
rendez-vous ». D’abord, il y a trois choses dans cette approche qui me met
hors de moi.
D’abord de faire connaître son incapacité à honorer un engagement
à si peu de temps d’avis. Comme si on était à la disposition de la personne. On
devrait appeler soit la veille, soit très tôt le matin. De sorte que cela nous
laisse une marge de manœuvre pour réorganiser cette portion de la journée ou ne
pas la perdre. Ensuite, je ne vous débiterai pas ici les motifs futiles qui
sont la cause de cette annulation : « le temps qu’il fait »,
« j’ai repensé à notre affaire », « je ne me sens pas
bien » (le Québécois, quoi qu’il en dise, se complait dans la maladie).
Pire encore : « je vous ai complètement oublié ». Et au final,
si la personne au moins proposait un autre arrangement comportant une date
précise, cela pourrait toujours compenser la contrariété. Mais non, on est dans
le flou, dans le jello. « Il faudrait qu’on se reparle ». Non mais « viarge »,
on va donc reprendre le chassé croisé des agendas? J’en ai une, chiante au
possible, qui pourtant me connaissait assez bien, qui avait annulé pas un, mais
deux rendez-vous : « j’ai finalement trop de travail pour vous
rencontrer » et qui m’invitait à appeler sa secrétaire pour convenir avec
elle d’une autre date de rencontre…
Je vous fait grâce de la nomenclature des
injures qui me sont sorties spontanément du gorgoton. Et quand vous osez leur
faire la leçon, ah! là, ça ne se fait pas. Pour qui vous prenez-vous. Ce sont
des victimes, faut les comprendre. Et bien souvent, on va se plaindre de vous
parce que vous êtes agressifs. L’irresponsable devient l’accusateur.
L’autre fois, c’est
un organisateur de spectacles que je rencontre. Autant vous le dire tout de
suite, il organise des soirées sado maso très chics, plus exposition de mode
latex que séances de coups de fouet. Bon bref, le gars m’épate. Tellement que
moi, qui limite les échanges à une demi-heure (comme d’ailleurs Benoît XVI), je
me suis surpris à m’entretenir avec le mec trois heures durant. C’est un fils
de diplomate, venant d’une bonne famille bourgeoise et demeurant dans
l’Outremont de la Rive-Sud, j’ai nommé Saint-Lambert.
À l’issue de notre
conversation, il est prévu une autre rencontre pour le mardi suivant. Emballé,
je suis là à l’heure pile. J’attends. Quinze minutes passent, personne en vue.
J’attends. On est à une demi-heure de retard. Je tente de joindre le gars sur
son cellulaire : l’abonné que vous tentez de joindre n’est pas disponible,
rappelez plus tard. Quand j’ai fini par pouvoir laisser un message, je
m’attendais donc à un retour rapide d’ascenseur. J’étais au bord de
l’infarctus. Le lendemain matin, aucun signe de vie. Quand j’ai fini par joindre
le pompon, c’est pour apprendre qu’il s’était endormi. Non, ce n’est pas vrai!
Désolé, me dit-il en guise d’excuse classique, qui est le mot qui est le plus
utilisé dans le vocabulaire québécois.
On le voit même en toutes lettres sur le
fronton des autobus de la STM, un gros DÉSOLÉ et l’autobus qui vous passe sous
le nez. Tous ceux qui sont
dans la vente ou dans le domaine public me comprendront. Les contretemps sont
devenus chroniques. C’est devenu si flagrant, que je pense que l’absence
d’engagement des nôtres paralyse tout le processus de la vie sociale,
l’économie et quoi encore, et explique l’immobilisme. Combien de fois, ces derniers
mois, j’ai entendu des messages d’accueil sur des cellulaires m’informant que
la boîte vocale était remplie. C’est pas rien. Cela veut dire au moins
vingt-cinq messages qui n’ont pas été retournés.
Les Québécois n’ont pas
toujours été comme ça. Maintenant, à l’ère des droits et libertés, du
« je » démesuré, il n’y en a que pour soi et « fuck » le
reste. C’est absolument intolérable. Pour ma part, j’ai toujours la hantise des
rendez-vous avortés. Car majoritairement, ça ne fonctionne pas.
N.B. En passant, un
honorable monsieur est mort à l’urgence après sept heures d’attente. Réponse
des autorités : « DÉSOLÉ ». Dites-donc, le monde… seriez-vous
tout simplement désolés d’exister?
Les opinions exprimées sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement celles de lametropole.com
Daniel Rolland