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Un jugement qui nuit À bombardier

Dans un arrêt unanime, le plus haut tribunal du pays a statué que l’Irak ne pouvait pas invoquer « l’immunité de juridiction » pour empêcher la Cour supérieure du Québec de reconnaître un jugement britannique qui a condamné Bagdad à verser 84 M$ au Koweït dans la foulée de la guerre du Golfe de 1990. Le Koweït tient à obtenir la reconnaissance du jugement britannique au Québec parce que celle-ci pourrait lui permettre de toucher les 84 M$ à même les sommes d’argent placées en garantie sur les 10 avions CRJ900 commandés par l’Irak à Bombardier, au coût de près de 400 M$ US.

Après avoir pris connaissance du jugement de la Cour suprême, l’avocat du Koweït, Laurent Fortier, cachait mal sa joie. Ses clients, a-t-il dit au cours d’un entretien téléphonique, ont « enfin l’impression que justice est rendue » dans ce dossier complexe. Selon Me Fortier, les probabilités sont maintenant très fortes que la Cour supérieure reconnaisse le jugement britannique et le rende exécutoire au Québec. La banque d’investissement JP Morgan serait alors tenue de verser 84 M$ au Koweït, même si les quatre avions construits jusqu’ici ont quitté le Canada.

En décembre 2009, Bombardier Aéronautique avait pu, grâce à un « accord temporaire », livrer au gouvernement irakien trois appareils qui étaient cloués au sol depuis plusieurs mois, dans la région de Montréal, en raison du litige avec le Koweït. JP Morgan avait alors signé une lettre garantissant le versement de millions de dollars au Koweït dans l’éventualité où les tribunaux canadiens donneraient raison au petit pays du Golfe dans cette bataille juridique. Un premier CRJ900 avait été livré à Bagdad en octobre 2008, de sorte que quatre appareils Bombardier se trouvent actuellement en Irak. Les six autres qui composent la commande n’ont pas encore été construits.

Le Koweït réclame à l’Irak la somme de 1,2 G$ US pour des avions et des équipements volés ou détruits durant l’invasion militaire de 1990. En 2008, la High Court of Justice de Londres a ordonné au gouvernement irakien de rembourser les frais juridiques payés jusqu’alors par le Koweït, soit 84 M$. Le pays s’est alors tourné vers la Cour supérieure du Québec pour faire reconnaître ce jugement au Canada et faire saisir les appareils de Bombardier destinés à l’Irak. Le juge Paul Chaput a acquiescé à la requête du Koweït en août 2008, avant de se rétracter quelques semaines plus tard.

La Cour d’appel du Québec a confirmé le jugement de première instance en avril 2009, statuant que le gouvernement irakien bénéficiait de l’immunité dans cette affaire. Or, selon la Cour suprême, Bagdad ne peut jouir de l’immunité en l’espèce parce qu’il s’agit d’un litige commercial, comme l’a statué la High Court of Justice de Londres. Il n’appartient pas aux tribunaux québécois de « reprendre l’étude du fond » de la décision britannique, a écrit le juge Louis LeBel au nom des huit autres magistrats de la Cour suprême.

AUTRES PROCÉDURES ?

L’un des avocats de l’Irak, Patrick Ferland, a reconnu jeudi que son client était déçu du jugement, mais il a prévenu que le dossier n’était pas encore clos. L’Irak songe à d’autres recours juridiques pour parvenir à ses fins, a-t-il indiqué. En août 2009, lorsque la Cour suprême avait annoncé qu’elle entendrait l’appel du Koweït, Bombardier Aéronautique s’était plaint des impacts significatifs qu’une prolongation du bras de fer juridique aurait sur ses affaires. « Nous voulons reprendre la livraison des appareils CRJ900 destinés à notre client, a commenté jeudi un porte-parole de l’avionneur, John Arnone. Nous sommes coincés au centre d’un litige qui nous empêche de le faire et c’est malheureux ».

Si la Cour suprême avait donné raison à Bagdad jeudi, Bombardier aurait vraisemblablement pu amorcer la construction des six avions qui n’ont pas encore été livrés. Le Koweït poursuit également l’Irak au Québec dans l’espoir de mettre la main sur les 1,2 G$ qu’elle réclame. Dans ce dossier, la Cour supérieure a refusé l’immunité à Bagdad, qui a porté le litige devant la Cour d’appel. Le plus haut tribunal du Québec doit entendre l’affaire en janvier. L’action de Bombardier a clôturé à 5,12 $ jeudi, en hausse d’un pour cent, à la Bourse de Toronto.

BOMBARDIER