SAINT-TITE, 1890
Ils se promettent l’un à l’autre, mais déjà la nature fuyante d’Ovila se fait sentir et Émilie se confie à son amie Berthe, devenue carmélite (Dans mon silence). L’inspecteur Douville lui fait aussi la cour, et c’est un gentleman qui plaît beaucoup à Célina, la mère d’Émilie (C’est un monsieur). Lorsque Douville demande Émilie en mariage, celle-ci accepte, mais le coeur n’y est pas (Ovila, ma solitude), et Douville a vite fait de comprendre qu’Émilie brûle d’amour pour quelqu’un d’autre (Ma belle brume). Galant mais le coeur brisé, il met un terme à leur engagement (Ne nous marions pas).
Caleb a deviné l’amour de sa fille pour le bel Ovila et se réjouit en secret de ce revirement. Il veut le bonheur de sa fille, même si Ovila ne représente pas un aussi beau parti que l’inspecteur. Émilie et Ovila se marient dans la joie et la passion (À nous la nuit). Les enfants arrivent bientôt, un après l’autre. Mais Ovila souffre du caractère entier et volontaire d’Émilie, et se réfugie sur les chantiers. Émilie a dû quitter l’école pour s’occuper seule de sa progéniture de plus en plus nombreuse, et la solitude lui pèse. La mort de sa fille Louisa, dont Émilie tient Ovila responsable, contribue à creuser le fossé qui les sépare.
Oliva se réfugie dans la boisson et la fuite. Leur amour est toujours aussi passionné, mais il semble que la vie commune soit impossible. La naissance de Blanche, dans la tourmente d’une nuit de tempête, vient attiser le ressentiment d’Émilie à l’égard de son grand fou d’Ovila, et leur séparation est inévitable. Blanche représente tous les espoirs déçus d’Émilie, qui a repris tant bien que mal son travail de maîtresse d’école. Blanche réussira où elle a échoué (Pourquoi maman, pourquoi?). Il faut voir grand, renoncer au bonheur bien illusoire de la vie de famille et Blanche va au couvent pour s’instruire.
Témoin des trahisons de son père et des nombreux sacrifices que sa mère doit faire pour ses enfants, Blanche se promet de ne pas prendre le même chemin. La famille est dispersée, son père absent, sa mère usée par les épreuves et la misère. Blanche deviendra infirmière, et malgré la passion qu’elle éprouve pour le beau Napoléon rencontré au hasard d’une promenade à bicyclette (Une lettre à la fois), Blanche choisit le chemin de la liberté et de l’indépendance. Le coeur en miettes, Napoléon deviendra prêtre, son immense besoin d’amour s’exprimera dans la dévotion aux autres (Si je frappais à ta porte).
Blanche part ouvrir un dispensaire en Abitibi. C’est bien la fille de sa mère. Douce, mais entêtée, volontaire, et farouchement indépendante. Son travail d’infirmière la comble, malgré les conditions difficiles dans lesquelles elle doit pratiquer les soins qu’elle dispense. C’est au fond des colonies qu’elle fait la rencontre de Clovis. Après de nombreuses hésitations, car elle a toujours peur que l’amour ne la trahisse, Blanche accepte d’épouser Clovis. Après la mort de sa mère, Blanche se rend compte qu’elle a rempli ses promesses et qu’elle peut envisager le bonheur auprès d’un homme.
Au début des années quarante, après deux fausses couches, Blanche accouche d’Élise, la troisième génération des filles de Caleb. Clovis est un homme comblé. Hélas, le destin frappe une nouvelle fois, et Clovis meurt dans un accident de train sous les yeux horrifiés de sa fille Élise. C’est au tour d’Élise de se demander si le bonheur est possible, et si la vie des femmes n’est pas qu’une longue suite de deuils et de déceptions (Voir grand, voir devant II). Mais Élise est jeune, elle a la vie devant elle, et la résilience farouche de sa mère et de sa grand-mère coule dans ses veines.
C’est avec la fougue de l’innocence qu’elle envisage l’avenir. Nous sommes au début des années soixante, au seuil de la Révolution tranquille. C’est au tour d’Élise de voir grand, voir devant. (Micheline Lanctôt).