Suite à
l’événement qui en a frappé plusieurs à l’effet d’une personne qui se jette de
plusieurs étages du haut du bâtiment de la Sun Life et trouve la mort en arrivant au sol
suite à sa chute, bien des personnes se posent des questions sur ce qui a bien
pu se passer pour en arriver là. Le suicide
est un phénomène assez courant, le plus souvent dans certains pays occidentaux.
Mais, cela est dû au fait que dans des
pays en situation de guerre ou de révolte qui se solde par des morts à la fin
des manifestations, les personnes qui ont des tendances suicidaires montent aux
barricades,
se font tuer et il y a beaucoup de suicides déguisés derrière ce
type d’héroïsme. Par
contre, dans les pays occidentaux en majorité, on doit planifier sa propre mort
quand on n’a plus envie de continuer à vivre.
D’ailleurs c’est une manière de résoudre une situation très douloureuse
quand on ne voit aucune issue dans sa vie et que le suicide devient la dernière
alternative choisie. Plusieurs
facteurs contribuent à une augmentation du suicide au Québec même si cela est
partagé par plusieurs autres pays.
Mais
le fait que le Canada, donc au Québec, on choisit d’avoir une médecine
entièrement subventionnée par l’état qui devient de plus en plus impossible à
gérer et, plutôt que de reconnaître que libérer les fonds de l’état par une
partie privée des services médicaux qui désengorgeraient les urgences et les
soins médicaux, on s’obstine à vouloir tout payer. Néanmoins,
il y a peut-être une certaine hypocrisie derrière à l’effet que oui tout le
monde est égal devant les urgences et on sait que, pour pouvoir à Montréal
avoir une entrevue avec un psychiatre, cela peut prendre 16 semaines.
On a donc largement le temps de se suicider
pendant ces semaines-là. Le fait
d’engorgement des urgences a un autre effet pervers. On a cité dans les journaux le cas d’un homme
qui, après avoir attendu plus de 6 heures à l’urgence, est parti et est allé se
jeter en bas d’un pont. Malgré ces difficultés, les très grosses
pathologies psychiatriques comme la schizophrénie ou la dépression majeure ont
des symptômes très importants et habituellement finissent par être connus soit
du médecin traitant, soit d’un psychiatre qui a été consulté et, habituellement,
des efforts importants sont faits pour contrer ces maladies pour qu’on n’en n’arrive
pas au suicide car ces maladies sont bien identifiées généralement depuis
longtemps.
Par
contre, il y a un type de maladies qui est beaucoup plus difficile à
cerner. Il s’agit en effet ce qui est
appelé dans la terminologie psychiatrique un trouble d’adaptation avec humeur dépressive
et anxieuse qui n’a pas l’intensité d’une dépression majeure et qui, donc,
n’attire pas l’attention des professionnels autant que les grosses pathologies
psychiatriques. Mais, il
faut bien comprendre que cette terminologie psychiatrique englobe aussi ce
qu’on appelle communément le burn out, qui est un épuisement professionnel, qui se greffe souvent sur des personnes ayant
une certaine fragilité. Dans ce type de
catégories, les personnes sont parfois à moitié fonctionnelles ou
fonctionnelles dans certains domaines mais pas d’autres ou pas dans leur milieu
de travail.
Ces
personnes-là sont aux prises avec des difficultés avec les assurances qui ont
du mal à payer leur arrêt de travail puisqu’elles n’ont pas de pathologie
psychiatrique énorme et sont souvent taxées de paresseuses par leurs collègues
au travail ou par leur supérieur. Il
n’en reste pas moins que ces personnes-là vivent parfois des situations
intolérables. En effet, à cause des
difficultés financières et des problèmes de récession, le milieu du travail
devient de plus en plus agressif et quelqu’un, pour garder un poste, n’a pas
peur de faire du harcèlement à une autre personne. Ces harcèlements sont parfois subtils et
difficiles à prouver, il s’agit d’applications de lois tout à fait justifiables
habituellement mais dont la répétition, dont l’intensité, dont la fréquence n’a
pas de sens et finissent par affecter la personne qui le ressent.
Un bon
exemple est d’exiger d’un employé, qui a été malade 2 ou 3 fois, un billet
médical à chaque fois qu’il a un rhume ou qu’il y a une seule absence. Cette personne est donc obligée d’aller
attendre de longues heures dans une salle d’attente et parfois dans le froid et
cela empire sa maladie plutôt que de l’améliorer. Et, à force d’exiger à chaque fois ce
document qui paraît au départ peut-être justifié, la personne qui subit ce type
de harcèlement parfois finit par craquer et ne voit pas de solution pour s’en
sortir. Mais
n’oublions pas non plus que dans le cas présent, il s’agit d’une personne qui
s’est jetée du haut d’un édifice d’une compagnie d’assurances. Là je dois utiliser mes connaissances avec
mes patients. Ces consultations me
montrent un phénomène très particulier qui touche les compagnies d’assurances
qui empire bien des situations.
Au
départ, on a vu des compagnies d’assurances sous forme de mutuelle qui, par
exemple, allait protéger les agriculteurs puisqu’il était rare qu’un malheur
tel qu’un feu isolé touche plusieurs agriculteurs et les économies de ces
personnes-là et pouvaient en cas de difficultés aider la seule personne qui
était touchée par ce feu et elle pouvait récupérer ses biens. Donc, beaucoup d’assurances au départ étaient
gérées par ceux qui en bénéficiaient. Néanmoins,
on voit de nos jours un phénomène de plus en plus courant c’est que les
compagnies d’assurances gèrent des sommes énormes et doivent assez souvent
faire appel à des investisseurs pour pouvoir être à l’aise sur le plan
financier.
Mais à ce moment-là ceux qui
dirigent ne sont plus des personnes qui ont investi pour leur sécurité mais des
investisseurs complètement étrangers qui n’ont qu’un but c’est de faire de
l’argent. Et, dans les compagnies
d’assurances on voit de plus en plus le moto, à savoir : « nous ne sommes pas une agence de
bienfaisance mais nous sommes une corporation qui est là pour faire des
bénéfices ». Ce type de
phénomènes a donné lieu à un livre intitulé : Les nouveaux rois. Il fait allusion que ce sont les
investisseurs qui dirigent et non plus les clients ou même le conseil
d’administration d’une compagnie d’assurances qui serait bien intentionné.
Il m’est arrivé de voir une infirmière
extrêmement dévouée travaillant pour une compagnies d’assurances qui
cherchaient toujours une solution pour arriver à récupérer une personne en
difficulté et trouver un mode de traitement et qui, quelques années plus tard,
me contacte et me dit : « Écouter,
essayer d’envoyer cet homme aux Rentes
du Québec. » Mais je répond :
« Je ne comprends pas, vous étiez avant
très ouverte à faire des traitements et de tout essayer avant d’en arriver là. » Elle me répond : « Non, maintenant les compagnies d’assurances
ne veulent plus faire cela, ce ne sont pas des agences de bienfaisance mais ce
sont des compagnies qui sont là pour faire de l’argent. »
Je pense
que cet exemple isolé montre quand même un mouvement de plus en plus
courant. D’autres fois, un de mes
patients me dit : « Quand j’appelle la compagnie d’assurances je ne
me sens pas tout à fait protégé car souvent la personne qui gère les fonds et
qui gère mon dossier me dit : « N’oublier pas qu’on a le devoir de vous
protéger mais aussi nous avons le devoir de nous protéger nous-mêmes. » Ce type de raisonnement était peu fréquent il
y a 25 ans.
Mais là
où je veux en venir, c’est qu’une personne qui travaille pour ces compagnies
d’assurances peut parfois être coincée dans un dilemme à savoir que cette
personne-là comprend totalement la détresse des personnes qui appellent et qui
se plaignent de ne pas avoir été dédommagées.
Elle trouve parfois que ces personnes-là ont raison, mais les normes de
la compagnie font qu’elle doit leur dire non.
Elle doit donc s’endurcir de plus en plus et parfois la situation peut
devenir intenable et cela peut être un des facteurs qui pousse au suicide quelqu’un travaillant pour ces
compagnies et cela surtout dans la situation où cette personne devient de plus
en plus opposée aux normes de la compagnie et qui, peut-être, est une femme
monoparentale qui besoin de son salaire à tout prix et qui ne voit pas la
possibilité de quitter la compagnie. Le
fait de se trouver sans solution pousse au suicide une ou des personnes qui
semblaient relativement normales.
Donc,
les facteurs qui poussent au suicide sont très complexes et dérivent parfois de
la psychologie individuelle qui n’est pas capable de prendre les stress que,
peut-être, d’autres personnes seraient capables de prendre. Cela vient aussi du fait que les personnes
sont de plus en plus isolées et ont beaucoup moins le support social de leur
famille, cela vient des manques d’effectifs médicaux et cela vient des
pressions administratives créées par la récession ou par la compétition qu’on a
avec des pays émergents comme l’Inde ou la Chine qui rendent le milieu du travail très
compétitif.
Dr Édouard
Beltrami
Médecin psychiatre
Professeur Honoraire (UQAM)
Membre de la Société
des experts en évaluation médico-légale du Québec
Membre des Médecins du travail et de l’environnement du Québec