Si la fonction publique n’obtient toujours pas la
note de passage quant à sa façon d’appliquer la Loi sur les langues
officielles, ce sont les minorités linguistiques qui en font les frais,
et la décision du gouvernement de rendre volontaire le formulaire
détaillé de recensement n’améliorera pas leur sort, laisse présager le
commissaire aux langues officielles. Dans le second volet de son rapport annuel, déposé mardi aux Communes,
Graham Fraser se montre sévère à l’endroit des institutions fédérales,
qui manquent toujours à leurs obligations en matière de dualité
linguistique, 40 ans après la mise en oeuvre de la Loi.
Il rapporte notamment que les institutions canadiennes ne tiennent pas
compte des communautés minoritaires de langue officielle lorsqu’elles
planifient leurs programmes et leurs activités. Pourtant, les institutions « doivent leur offrir les moyens de se
développer plutôt que de simplement survivre », a noté le commissaire, en
conférence de presse pour présenter ses conclusions. Dans sa déclaration, M. Fraser n’a d’ailleurs pas passé sous silence
l’impact que risque d’avoir la décision d’Ottawa de retirer le caractère
obligatoire du formulaire long de recensement.
« La mesure de la vitalité des communautés et le suivi des progrès des
langues officielles dans l’ensemble du pays pourraient présenter un défi
dans le futur en raison des récentes modifications apportées au
processus de recensement », a-t-il soulevé. Le commissaire s’est cependant abstenu de commenter davantage, puisqu’il
planche présentement sur un rapport qui sera consacré à cette mesure
annoncée discrètement par le fédéral cet été et depuis dénoncée par
l’opposition, des experts et des groupes de défense des droits
linguistiques.
Des quelque 1500 plaintes qu’a reçues le commissaire, l’an dernier, 904
concernaient justement l’article 7 de la Loi sur les langues
officielles, qui impose aux institutions fédérales de promouvoir le
français et l’anglais chez les communautés linguistiques partout au
pays. Et 876 d’entre elles étaient liées à la fermeture d’une station de
radio francophone de Windsor, en Ontario, par CBC/Radio-Canada. Le bilan de M. Fraser n’est par ailleurs pas plus rayonnant en ce qui
concerne les services offerts dans les deux langues au public canadien.
Seules 10 des 16 institutions évaluées ont été en mesure d’offrir des
services bilingues, en personne ou au téléphone, dans 80 % des
cas où les services étaient requis. Et seules deux institutions ont reçu
le public dans les deux langues officielles dans plus de 60 pour cent
des cas. «Malheureusement, trop d’institutions attendent de faire l’objet de
plaintes ou de recevoir une note faible dans leur bulletin de rendement
avant de faire un effort», a déploré le commissaire, devant les
journalistes. Le manque de services au public dans les deux langues officielles a mené à 451 plaintes.
Enfin, plus de 20 % des Canadiens qui travaillent dans la
fonction publique et qui appartiennent à une minorité linguistique se
sont dits insatisfaits de leur capacité à utiliser leur langue
officielle au travail. Cet aspect de la Loi a fait l’objet de 104
plaintes en 2009-2010. Là encore, Graham Fraser s’est désolé du manque de données statistiques
pour évaluer adéquatement la situation linguistique, car le sondage mené
auprès des fonctionnaires sur leur langue de travail a été mis de côté
par le fédéral depuis 2008. « Il est difficile de percevoir un problème et de le résoudre sans faire
un suivi adéquat.
Pour cette raison, le commissaire est particulièrement
inquiet de constater que le gouvernement fédéral n’a donné aucune
indication sur son intention d’effectuer un nouveau sondage», dénonce le
rapport. En matière de droits linguistiques au travail, «les institutions qui
n’ont rien fait à propos du problème étaient souvent celles qui ont
besoin du plus grand nombre de mesures », a souligné M. Fraser, en citant
au passage Air Canada et la Gendarmerie royale du Canada. Parmi ses recommandations, le commissaire demande d’ailleurs au ministre
des Transports de déposer sans tarder un nouveau projet de loi visant à
protéger et maintenir les droits linguistiques du public et du
personnel d’Air Canada.
M. Fraser recommande en outre aux administrateurs généraux des
institutions fédérales de prendre les mesures pour faire en sorte que
les personnes qui ont recours à leurs bureaux soient informées qu’elles
ont le droit d’être servies dans leur langue officielle, et pour
s’assurer que leurs employés sont en mesure de se servir de la leur dans
leurs communications écrites. Malgré l’échec qu’attribue le commissaire aux institutions fédérales,
celui-ci s’est dit optimiste que la situation soit corrigée. Car il a
été encouragé par la réponse de certaines d’entre elles à ses critiques.
Malheureusement, plusieurs dirigeants disent encore manquer d’outils
pour appliquer la Loi et les minorités linguistiques cèdent à la
majorité, a-t-il soulevé. «Quand il y a un manque de leadership, quand il y a du laisser-faire, il
y a une tendance naturelle de suivre le courant (…) C’est
contre-nature de se dire que l’on va nager à contre-courant quand vous
êtes dans une situation minoritaire», a-t-il souligné. Or, selon l’opposition, il est grand temps que le gouvernement fasse
preuve de volonté, car le rapport de M. Fraser est «troublant». «Un droit qui n’est pas exercé parce qu’on abandonne, ou à un moment
donné ça devient lourd de l’exercer, c’est un droit qu’on perd», a
scandé la bloquiste Richard Nadeau.