dans la catégorie des longs-métrages consensuels dont on peut prédire
avant même leur sortie en salles qu’ils feront courir les
foules. Mais selon les standards d’accessibilité qu’il a lui-même établis, Curling est assurément ce que Côté a livré de plus digestible pour le cinéphile moyen, celui peu rompu aux propositions
pointues. En proie à une peur maladive que la société corrompe sa fille,
Jean-François Sauvageau
(Emmanuel Bilodeau) garde Julyvonne (sa propre fille, Philomène
Bilodeau) à la maison, laissée à elle-même la plupart du temps.
Il
s’occupe lui-même de son éducation — sa mère est en
prison — tout en travaillant dans un bowling et dans un motel comme
homme de maintenance. La vie des Sauvageau est d’une austérité sans commune mesure, dans un
bungalow sans envergure, triste spaghetti pour souper. Pour récompenser
sa fille d’avoir fait le ménage, Jean-François
lui offre toute une gâterie : écouter l’album de Tiffany, chacun assis
sur son bout de
canapé, sans remuer.
Probablement la scène la plus triste de l’année dans un film québécois. À
l’insistance de son patron (Roc Lafortune), Jean-François finira par
permettre à sa fille d’aller jouer aux quilles, une extravagance.
Mais c’est un événement fortuit, la découverte sur la route enneigée du
corps sans vie d’un bambin, qui sera l’élément déclencheur d’une remise
en question qui amènera peut-être ce père trop
vigilant à baisser sa garde.
BILODEAU CONVAINCANT
À Locarno, Curling a remporté deux prix, dont celui d’interprétation
remis à Emmanuel Bilodeau, une
récompense bien méritée, lui qui campe avec justesse un homme dévoré par
ses démons intérieurs. Sa fille Philomène, dans son premier rôle, tire
bien son épingle du jeu. Denis Côté offre une réalisation aussi sévère que la vie de ses
personnages, mais captivante
malgré le rythme très lent et l’allure dépouillée de l’ensemble.
L’action se déroule en hiver, dans un milieu rural où la route
principale, que parcourt quotidiennement Jean-François Sauvageau à pied
avec sa fille ou en voiture, est balayée par des vents glaciaux.
Si le triste sort de la préadolescente recluse du monde nous est dévoilé
dès le départ, les différentes facettes de la personnalité complexe de
son père et ses motivations à agir ainsi nous sont livrées lentement,
sans brusquer les choses. Du coup, le spectateur ne peut s’empêcher de ressentir d’abord de la
colère envers ce papa hypercontrôlant, mais aussi, ensuite, de la
compassion tant cet homme apparaît, au fil du récit, dépourvu et
prisonnier de lui-même.
Source : Canoë