Selon lui, le gouvernement s’engage sur une pente dangereuse en évoquant une révision des lois du travail « à cause d’un conflit qui concerne moins de 200 personnes » au Journal de Montréal. À défaut de maintenir le statu quo, il faudrait revoir « l’économie générale » de la loi anti-briseurs de grève pour s’assurer que les employeurs puissent « créer de la richesse », a-t-il fait valoir durant son témoignage devant les parlementaires qui se penchent sur la modernisation des dispositions anti-briseurs de grève.
Avant le témoignage de M. Péladeau, le président de la commission, le député libéral François Ouimet, a énuméré les nombreux griefs dont fait l’objet Quebecor concernant ses relations de travail. « On dit que l’empire Quebecor est l’architecte et le principal bénéficiaire de la trop grande concentration de la presse au Québec, ce qui a rendu possible le long conflit de travail. (…) D’autres vous accusent d’avoir élaboré un stratagème pour éluder l’esprit de la Loi sur les mesures anti-briseurs de grève en créant l’Agence QMI », a noté M. Ouimet.
L’homme d’affaires a rejeté ces reproches du revers de la main et s’en est pris à la position syndicale au Journal de Montréal. N’eut été de la « mauvaise foi » des syndiqués, le conflit serait réglé depuis longtemps, a-t-il allégué. « Pendant 18 mois, tout en nous accusant de refuser de négocier, le syndicat était d’avis qu’aucune réduction d’effectifs n’était nécessaire. Alors, qu’est-ce que vous voulez faire lorsqu’une position aussi dogmatique est utilisée par une des parties dans une négociation? », a lancé M. Péladeau.
Pour préparer l’entreprise à faire face aux défis des nouvelles technologies, le lock-out au Journal de Montréal était devenu la seule avenue possible, a poursuivi le patron de Quebecor. « Nous en sommes venus à cette extrémité, et j’en conviens, il s’agit d’un geste violent, mais qui nous apparaissait incontournable », a-t-il dit. La loi anti-briseurs de grève a été adoptée en 1977, donc bien avant les bouleversements engendrés par les nouvelles technologies. À l’heure actuelle, selon la loi, pour être considéré comme un briseur de grève un employé de remplacement doit effectuer son travail sur les lieux mêmes de l’entreprise en conflit.
Or, des voix de plus en plus nombreuses se font entendre pour dire que la loi est obsolète et devrait élargir la définition d’établissement, compte tenu qu’un journal, grâce à l’informatique, peut désormais être en grande partie produit n’importe où à l’extérieur des murs de la salle de rédaction. Le président du Syndicat des travailleurs de l’information du Journal de Montréal, Raynald Leblanc, a lancé le débat en matinée en disant que si le lock-out servait à provoquer la mise à jour de la loi anti-briseurs de grève, il « aura été utile ». Dans son état actuel, en raison des progrès technologiques, « la loi ne fonctionne pas », a estimé M. Leblanc.
« Il y a un déséquilibre complet entre l’employeur et le syndicat. L’employeur continue de produire, continue à avoir son lectorat, continue à avoir sa publicité au même niveau ou à peu près. Pendant ce temps-là, il y a 253 familles qui sont sur le trottoir, qui sont hypothéquées de leur salaire, qui n’ont plus d’assurance collective, qui ne participent plus à leur fonds de retraite », a-t-il déploré. Selon lui, la direction de Quebecor a « planifié de longue date » le projet de décréter un lock-out, et ce, uniquement pour mener à bien « un plan d’affaires » aux dépens des salariés. Avant les dépositions des intervenants, le député de Mercier, Amir Khadir, de Québec solidaire, a tenté d’obtenir un passe-droit de la commission (dont il n’est pas membre) pour émettre des commentaires sur le sujet, mais sa demande a été refusée à l’unanimité. Il a justifié sa requête par le fait que Le Journal de Montréal est situé dans sa circonscription.
Plus tard en point de presse, M. Khadir a qualifié Pierre Karl Péladeau de « champion toutes catégories des lock-out ». « Au cours des 10 dernières années, à lui seul, 54 pour cent du nombre de journées de lock-out passées par des travailleurs au Québec sont dues aux conflits de travail générés, créés par M. Pierre Karl Péladeau », a dénoncé M. Khadir. Les représentants du monde patronal, dont le Conseil du patronat, ont pour leur part exhorté le gouvernement à maintenir « l’équilibre des rapports » de force en présence. « Changer les dispositions qui ont trait à ce rapport-là, je vous le dis, c’est ouvrir une canne d’explosifs, c’est enlever le petit bouchon sur le presto », a illustré le président du CPQ, Yves-Thomas Dorval.
Pour éviter un examen en profondeur des lois du travail, les employeurs sont prêts à tolérer les dispositions actuelles même si elles avantagent les syndicats, a-t-il déclaré. Au terme des travaux, mercredi, les députés de la Commission de l’économie et du travail, issus des différentes formations politiques, décideront s’ils veulent formuler des recommandations au gouvernement. La ministre du Travail, Lise Thériault, ne participe pas aux travaux de la commission.