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Tout le monde dehors au laurier bbq

L’établissement accueillit ses premiers clients en 1936 et était réputé pour son poulet grillé et sa tarte au sucre. Eh bien le nouvel acquéreur, la star internationale en cuisine, le britannique Gordon Ramsay, n’en a rien à foutre du poulet grillé, fusse-t-il d’Outremont. Il a annoncé que pour cause de non rentabilité, il congédiait tout le monde. Les serveuses, dont beaucoup ont de nombreuses années d’ancienneté, vont se retrouver sur le carreau.

Elles ont de l’amertume, elles qui ont consacré des années de leur vie à y servir leurs habitués. C’était comme leur deuxième chez-soi. Des collègues ont essayé en vain de leur soutirer des commentaires. Mais vous savez comment c’est, ici. On vit tellement dans la peur, au Québec, qu’on est incapable, par lâcheté, disons carrément le mot, de défendre son job en public. L’une d’elles a dit, j’imagine, les épaules rentrées : « On ne peut rien dire; mettez-vous à notre place ». Juste pour ça, je m’apitoie moins sur leur sort. C’est la gérante Marie-Christine Couture, qui est moins claire. Quand l’acquisition a été connue, elle était allée dire que rien ne changerait, qu’on procéderait seulement qu’à des rénovations. Ouais, ouais… J’espère que pour ce double langage, elle ira rejoindre les serveuses.

DANIELLE
LORD ET MARIE-CHRISTINE COUTURE
                                 VEULENT « DÉPOUSSIÉRER »
LE LAURIER BBQ

SURPRIS OUI ET NON

L’annonce de la fermeture de la rôtisserie, à vrai dire, ne me surprend pas. D’abord parce que lorsque j’ai appris que le nouveau propriétaire était nul autre que Gordon Ramsay, je me suis dit mais quel est l’intérêt pour lui d’acheter un truc à poulet grillé. Si vous ne connaissez pas le personnage, je vous le décris. C’est un Écossais d’origine qui est âgé de 44 ans. C’est la grande vedette de la cuisine britannique avec des émissions de télévision dont « Hell’s kitchen ». De la vraie téléréalité de cuisine. Il pèse 80 millions d’euros. Popularité aidant, il vend des bébelles pour la cuisine griffées à son nom. Mais surtout, il est reconnu pour sa grossièreté légendaire. Il enfile les « fuck » et les « shit » comme d’autres respirent. Pour un anglophone, de dire « fuck », c’est quasiment le seul mot de vocabulaire usuel.

Que les futurs élèves francophones de sixième secondaire si chers à Jean Charest, apprendront en premier, d’ailleurs. C’est la langue du cash. Mais ça, c’est autre chose. Revenons au chef. Il a deux cinq étoiles à New York et Los Angeles et un trois étoiles à Londres. Son unique grand mérite, à part de sacrer comme un charretier, c’est d’avoir mis un terme à la réputation exécrable de la cuisine anglaise. Précédé de ses critères en cuisine et cherchant l’excellence à tout prix, je me demande ce qu’il serait venu faire dans une rôtisserie bien banale de chez-nous, servant entre autres au sommet de la carte du pâté au poulet. Si ça peut consoler les serveuses mises à la rue, elles viennent de s’épargner un tyran.

DU POULET AUX POULETTES…

Ce qui est navrant c’est quand même se départir de serveuses de métier pour les remplacer par quoi? En général, dans un restaurant branché (et je ne dis pas ici grand restaurant) comme il va sans doute le faire, on installe généralement des poulettes haut perchées qui ne sont pas des filles de métier. Des mannequins, plutôt. Comme on en voit sur Saint-Laurent-la-haute. De jolies nénettes dépoitraillées (poitrines de poulettes) que des gogos vont essayer d’impressionner en leur donnant de gros pourboires. Le principe étant comme chez les danseuses, plus tu m’en montreras $$$ et plus je t’en montrerai. Tu finis avec une ardoise salée. Et la serveuse, elle cherche à décrocher plutôt un rôle d’actrice.

Ou si je me trompe royalement et qu’il va chercher disons des gars, car en grande cuisine les femmes disparaissent du plancher. Là, il t’arrive un marquis comme je les appelle (un gai méchant comme ce n’est pas permis, qui vaut à lui seul quatre femmes perfides) qui vous toise de haut en disant : « Ce sera pour Monsieur?… » Et qui vous défilera la carte par le menu détail de quoi vous en jeter plein la vue. Il va vous faire sentir un ignare de la fourchette. Le but sera le même qu’avec la poulette, une sacrée facture.

En vérité je vous le dis, comme dirait l’autre, on les regrettera, nos waitress bonnes mamans qui vous offraient un « refill gratisse ». Une gentillesse qui ne doit pas faire partie des usages du bonhomme Ramsay.