quelque chose de pourri au royaume du Danemark», dont des variations
résonnent encore dans les discours politiques, à Québec, Ottawa, Londres
ou Washington, 410 ans plus tard. Mais, «si Shakespeare approchait une troupe de théâtre avec Hamlet
aujourd’hui, il y a des metteurs en scène qui voudraient le prendre à
part et lui expliquer les rudiments de l’art de raconter une histoire
pour la scène aujourd’hui, c’est certain», dit Jean-Marc Dalpé, qui
vient d’adapter Shakespeare pour la scène
contemporaine.
CHEF-D’OEUVRE UNIVERSEL
On dit de Hamlet que c’est un chef-d’oeuvre universel et intemporel, qui
explore et décrit les faiblesses de l’âme humaine, les bassesses de la
politique, les horreurs de la guerre et les affres de l’amour avec une
sagacité et une clairvoyance qui le rendent encore pertinent de nos
jours. Mais qui le saurait au juste? Dans sa forme originale, le Hamlet de Shakespeare ressemble plus à
une minisérie pleine de sous-intrigues, de rebondissements, de
contradictions et de répétitions. C’est une espèce de kermesse, qui dure plus de quatre heures et demie,
écrite dans un style ampoulé, surchargé, dans une langue archaïque, dont
la moitié des mots ont aujourd’hui disparu et l’autre a changé de sens.
Bref, à l’état pur, Shakespeare est tout juste bon pour les
universitaires, les théâtreux et les snobs.
«Même des Anglais bien éduqués qui iraient voir Hamlet en version
originale aujourd’hui ne comprendraient pas la moitié des répliques»,
estime Jean-Marc Dalpé. Deux ans. C’est le temps qu’il a fallu à Dalpé pour écrire cet excellent Hamlet pour les nuls
qu’on joue présentement au Théâtre du Nouveau Monde. Pour rendre la
pièce abordable pour le public d’aujourd’hui, Dalpé a «d’abord pris la
tronçonneuse, avant de finir la job au bistouri».
TRONÇONNEUSE ET BISTOURI
«Il y a plein d’académiciens qui vont hurler, mais je pense que c’est ça
qu’il faut faire avec les textes de Shakespeare», dit-il. Traduire la
langue archaïque et touffue de Shakespeare au mot à mot produit du
mauvais français et du mauvais théâtre, dit-il. Mais couper des scènes entières, pour raccourcir la pièce, comme on le
fait souvent dans le monde anglo-saxon, c’est appauvrir l’oeuvre. Il a donc réécrit Shakespeare. «Une crisse de grosse job.» Coupé à la
tronçonneuse dans les «fioritures», puis travaillé au bistouri pour «
conserver la tension dramatique dans chaque scène». «On a au départ porté notre attention non pas aux mots de Shakespeare,
mais à l’action de la pièce. On a décidé de suivre l’intrigue, ce que
les personnages font…» L’intrigue est déjà assez touffue et diffuse merci. Le père de Hamlet,
roi du Danemark, a été assassiné par son frère, qui a tout de suite
épousé la reine, mère de Hamlet Jr, et règne sur le royaume.
En parallèle, il y a les armées norvégiennes qui passent par là pour
envahir la Pologne, Hamlet qui tue son beau-père, Ophélie, son amante,
qui se noie, Hamlet qui échappe aux pirates qui l’ont capturé en mer
lorsqu’il allait se faire tuer en Angleterre dans un piège ourdi par son
beau-père, une pièce de théâtre donnée par des saltimbanques et un duel
à l’arme empoisonnée dans lequel tout le monde meurt… Sans oublier l’essentiel de l’histoire: Hamlet est hanté par le fantôme
de son père, qui l’incite à venger sa mort, et les hésitations de
Hamlet, qui le plongent dans une crise… Jean-Marc Dalpé a, lui, tenté de communiquer avec le fantôme de
Shakespeare, pour savoir où il les ferait, les coupures, lui. Le fantôme
était là, assure Dalpé. «Mais il ne m’a pas parlé.»
Source: Canoe