dix-huitième siècle, deux systèmes dominent la traite des fourrures au Canada: La
Compagnie de la Baie d’Hudson qui pratique le système de comptoirs ou de
factoreries côtières. Ses agents attendent la venue des autochtones chargés de
peaux, en provenance de la Terre de
Rupert qui comprend la Baie
d’Hudson et ses affluents. Les Français,
par contre, préfèrent le commerce «en dérouine» ou de façon itinérante. Ils
forment des petites sociétés qui envoient des agents pour commercer directement
avec les autochtones sur leurs terres.
Leur territoire comprend Le
Saint-Laurent, les Grands Lacs, le haut Mississippi et ses affluents, les
Prairies et le sud du Bouclier canadien. Leur quartier général est à Montréal
et sera plus tard à Lachine. Après la conquête anglaise, des Écossais et
des Américains s’associent aux maisons françaises et créent des liens
commerciaux avec Londres.
Vers
1777, un groupe de négociants qui compte parmi eux Nicholas Montour, Maurice
Blondeau et Peter Pond décident de s’associer pour mieux concurrencer la
Compagnie de la Baie d’Hudson. Ils fondent la Compagnie du Nord-ouest;
on les connaît depuis comme les Nor’westers. En s’assurant du monopole sur le
lac Athabasca, la Nord-ouest domine bientôt le commerce de la fourrure. Le
groupe décide de fonder le Beaver Club à Montréal, en février 1785. Il y a
dix-neuf membres fondateurs dont huit Canadiens-français, six Écossais, trois
Anglais et deux Américains.
Pour se qualifier, il faut avoir séjourné pendant
l’hiver dans le Nord-ouest, au Pays d’en haut, être socialement acceptable et
obtenir l’unanimité des votes des membres. Un peu plus tard, le club établit
qu’il y aura deux sortes de membres, les membres réguliers ne pouvant pas
dépasser le nombre de cinquante, et les membres honoraires qui étaient limités
à dix. Les membres actifs sont surtout des
riches négociants en fourrures, en activité ou à la retraite, des actionnaires
très influents en politique, tous en relation avec la COMPAGNIE DU NORD-OUEST.
Parmi les membres honoraires figurent des officiers de l’armée et des
capitaines de vaisseau.
Le club accueille aussi à certaines occasions des
invités de marque, comme Lord Selkirk, président de la Compagnie de la Baie
d’Hudson, le Général Brock, le Général Drummond, le célèbre commerçant en
fourrures John Jacob Astor de New York , l’écrivain Washington Irving,
Thomas Moore, le Capitaine Peter Grant
et Sir John Franklin. Le Beaver Club constitue alors, la véritable aristocratie
de Montréal. Le principal
objectif du Club c’est de réunir ses membres pendant la saison d’hiver pour leur permettre d’enrichir leur vie
sociale autour de copieux repas bien arrosés. On s’y raconte ses aventures de
traite et on renforce les liens d’affaires.
Les réunions ont lieu tous les
quinze jours, à partir du premier mercredi de décembre jusqu’à la mi-avril. Les
invitations se font avec la formule du club : «pour discuter des
mérites de l’ours, du castor et de la venaison». L’assistance est
obligatoire pour tous les membres séjournant à Montréal et aucune excuse n’est
acceptée à l’exception de la maladie. Il leur est interdit d’organiser ou de
participer à une fête privée les jours de banquet du club. Les infracteurs
doivent payer une amende de 6 bouteilles de vin de madère. Parfois le Beaver
club se réunit pendant l’été pour accueillir des officiers de la marine
marchande qui transportent les fourrures de la compagnie en Europe.
Le
Beaver club n’a pas alors de local fixe. Les réunions se font dans différents
endroits de Montréal. Vers 1800, le puissant Joseph Frobisher se fait
construire un manoir, le Beaver Hall où se déroulent de nombreux banquets du
Club. D’autres endroits sont la City Tavern de la rue Saint-Paul, l’Hôtel
Montréal sur la Place d’Armes, et plus tard le Palmer’s Hotel. Vers 1815 la
Mansion House Hotel, de la rue Saint-Paul devient l’endroit favori des
réunions.
La devise du club est «Force
d’âme dans le Péril» qui
est gravée sur une large médaille en or que chaque membre doit porter aux réunions. La médaille est suspendue à un
ruban bleu, à la couleur du club. En cas de décès on remplace le ruban bleu par
un noir, en signe de deuil. En plus de la devise, sont frappés sur la médaille
le nom et l’année du premier ‘hivernage’ du membre au-dessus d’un canot
avec quatre «voyageurs». À l’envers de la médaille on lit « Industrie et Persévérance »
près d’un castor qui coupe un arbre.Les
dîners commencent à quatre heures. Des joueurs de cornemuse ouvrent la marche
des mets.
Souvent le menu comprend de la venaison braisée, à la sauce de pain, du
chevreuil des guides, des saucisses de venaison, des cailles au riz
sauvage, des cailles du vieux
trappeur, des navets marinés, des délicieux gâteaux appelés Sweet Peace
à la sauce de pomme, et du pouding. Au moment du
troisième toast on sert le ‘Pemmican’ qui est fait de viande de bison séchée,
que l’on fait venir exprès de la Saskatchewan, mélangée à des baies avec du
lard, parce que c’est la nourriture de base de la traite, qu’on aime déguster
dans l’ambiance feutrée de Montréal.
Le tout est arrosé de vin de madère, de porto, de scotch, de brandy, de
Porter et de bière. Une bonne provision de cigares, de pipes et de tabac, est
également mise à la disposition des membres. Les participants
racontent leurs aventures en se passant le calumet, emblème de paix chez les
amérindiens. Un membre désigné fait une
harangue.
À chaque banquet, on prononce cinq toasts de rigueur: À la Mère de tous
les saints, au Roi, à la Traite et à toutes ses branches, aux Voyageurs, à
leurs femmes et à leurs enfants, et aux membres absents. À la suite de quoi,
les membres sont libres de rester ou de partir. Ceux qui restent après le
cinquième toast de rigueur, ont l’habitude de prononcer d’autres toasts sérieux
ou drôles.
Après minuit, les hommes mariés sont autorisés à
se retirer, ensuite on procède au «Grand voyage». Les participants sont invités
à s’asseoir en rangs sur le tapis, comme dans un canoë. Armés d’objets les plus
hétéroclites en guise de pagaies ils chantent les vieux chants des «voyageurs»
en exécutant les mouvements des rameurs. D’après un récit de William
McGillivray, à un dîner auquel participait Sir Alexander Mackenzie, qui était
un habitué, on chantait encore à quatre heures du matin.
Le Beaver Club qui vivait au rythme
de la compagnie du Nord-ouest, est mis pratiquement en sommeil entre 1804 et
1807, à cause du décès de Simon Mc Tavish qui était son puissant moteur.
L’échec de la Compagnie du Nord-ouest à absorber la Compagnie de la Baie de
Hudson en 1804 et en 1805 a aussi contribué à son déclin. En 1807, on approuve une nouvelle
constitution, qui relance le club. Alexander Henry était alors le seul survivant parmi
les fondateurs. Le Beaver Club recrute 45 membres, pendant que les deux grandes
compagnies de traite se livrent une bataille acharnée.
Plus tard, avec
l’établissement de comptoirs jusqu’au Pacifique, la traite devient beaucoup
moins dangereuse et l’esprit d’aventure, qui avait été le moteur du club,
s’évanouit. Le Club rentre à nouveau en sommeil en 1817. En 1821 après une longue lutte, parfois sanglante,
la Compagnie de la Baie d’Hudson finit par absorber la Compagnie du Nord-ouest.
En janvier 1827, George Simpson récemment nommé gouverneur de la Terre
de Rupert, décide de relancer le Beaver Club. Dix anciens membres se réunissent
au domicile de William Blackwood et élisent trois nouveaux membres James Keith,
Hugh Faries, et George Simpson, lui-même. Deux dîners se tiennent cette année au Masonic Hall Hotel, le 3 février
et le 5 mars, mais l’esprit des Wester’s n’est plus. Montréal vit
une crise financière, les peaux de castor n’ont plus la côte en Europe et le
club retombe en sommeil.
En 1958, un esprit vivifiant
souffle à nouveau sur le Beaver Club qui se réveille pour la troisième fois.
Les conditions d’admission sont assouplies, ne faisant plus de ‘l’hivernage’
dans le Nord une condition pour être membre. Le club est logé à l’enseigne du
très chic restaurant de l’Hôtel Reine Elizabeth qui adopte son nom. Il devient
un point de haute gastronomie, où se réunissent
les hommes d’affaires montréalais.
S’adaptant aux changements du
temps, depuis 1989, les femmes sont admises comme membres en règle dans le plus
vieux club du Canada. La cérémonie d’admission, en vigueur, est toujours
grandiose. Je me suis entretenu avec Michel Busch, le directeur de la Restauration de l’Hôtel Fairmont
Le Reine Elizabeth de Montréal qui comprend le Beaver Club.
RH – Lorsqu’on parle de Beaver Club aujourd’hui
il y a deux choses qui sont intimement liées, il y a un club de gourmets très
select qui a ses rites, ses habitudes, son passé aussi, et il y a un restaurant
auquel il est rattaché et qui est au sommet de la gastronomie montréalaise.
M.B – Il y a un club qui est formé à partir
d’éminentes personnalités de notre
société d’aujourd’hui. Ils font partie du monde des affaires, de la politique,
du sport, des arts et spectacles et qui sont des gourmets. On devient membre du
Beaver club par le biais d’une intronisation. Il y a un rituel bien spécial à
cet effet. Il y a aussi le restaurant, mais tout cela fait partie intégrante
parce que le restaurant n’est pas réservé uniquement aux membres du club et
tout le monde y accède. Le public y est invité et les membres se confondent
avec la clientèle lorsqu’ils viennent faire leurs découvertes gastronomiques.
RH – Ce mariage d’amour et de raison a commencé
quand?
M.B – Pour Le Reine Elizabeth il a commencé en
1958 lorsqu’il a ouvert son restaurant gastronomique et lui a donné le nom de
Beaver Club. Il a ravivé le club qui avait fermé en 1827 lorsque la Compagnie
de la Baie d’Hudson avait absorbé le Club. Pour moi ce mariage d’amour a
commencé en 1984 lorsque j’ai pris la direction de la restauration du Reine
Elizabeth et lorsque j’ai eu l’occasion de créer des événements vraiment
spéciaux dans le cadre du Beaver Club.
RH – Qui étaient très courus.
M.B – C’était des événements qui rassemblaient jusqu’à
quatre-cent personnes, à partir des membres et de leurs invités; ils ont duré
jusqu’en 1996. Même il a fallu déménager
les agapes présidentielles qui avaient lieu une fois par année – le dernier
vendredi du mois de janvier – au Grand salon du Reine Elizabeth. Le restaurant
n’avait plus la capacité d’accueillir les invités pour ces agapes.
RH – Dans
le passé le Beaver Club rassemblait des personnalités influentes de la scène
montréalaise, aujourd’hui il reçoit des membres de partout dans le monde et des
femmes.
M.B – C’est exact mais les membres
particulièrement actifs sont surtout de la scène de la Province du Québec et de
Montréal en particulier. Mais il y a des personnalités de partout dans le monde
et je pourrais nommer Bill Gates, Johnny
Halliday, le grand chef Paul Bocuse, l’astronome Alan Shepard qui fut le
premier Américain dans l’espace, Madame Lise Watier, Philippe Noiret, Guy
Lafleur et bien d’autres.
RH – Il y a toujours un rituel d’admission qui
est impressionnant, avec calumet, harangue et tout.
M.B – Lorsqu’un membre est intronisé, le
Majordome, Serge Leblanc préside ce rituel fort en couleur, puisque l’impétrant
est invité à s’assoir sur le trône, qui est impressionnant car il est fait de
bois d’orignaux, d’un siège qui est tressé à la babiche comme les raquettes et
qui évoque le climat du Nord-ouest. Le candidat doit revêtir le manteau
d’apparat qui est en peau d’orignal recouvert de fourrure de castor, de loup de
bois de cerf, Il doit fumer le calumet de la paix et passer une épreuve de
courage puisque la devise du club c’est «force d’âme dans le péril».
Nous ne l’envoyons plus passer un hiver dans l’Ouest Canadien comme dans le
passé.
Il y a encore quelques années nous avions une mascotte, qui était un
ours noir de 400 livres, l’ours Guigui, qui rentrait dans la salle accompagné
de cornemuses et de hautbois qui représentaient la Franche Marine et les Écossais. Et
l’impétrant devait enlever la médaille du cou de l’ours.
Aujourd’hui l’épreuve de courage c’est de boire
le loup-garou qui est la boisson rituelle du club, composée de
brandy, de vin rouge, d’une décoction de cannelle. À l’époque, on faisait
flamber le loup-garou à la poudre noire, de nos jours on le fait
flamber à la cannelle, mais il faut savoir l’ingurgiter sans coup férir et passer
cette épreuve en fumant le calumet de la paix. C’est ainsi qu’on devient membre
du Beaver Club. C’est un folklore traditionnel très haut en couleurs, qui
évoque vraiment l’époque de la traite des fourrures.
RH – Il y a donc les réceptions du club qui se
tiennent à des dates spécifiques et il y a aussi le restaurant qui lui,
fonctionne en permanence et qui a reçu cette année La plus haute distinction du Guide Debeur 2011.
M.B – Le restaurant a été
reconnu comme le Restaurant de l’année, en tant que restaurant gastronomique
d’une qualité exceptionnelle. Le Beaver Club est en effet une des meilleures
tables à Montréal et on peut même dire du Canada. À travers son menu il honore les
produits du terroir du Québec et aussi les vins canadiens et québécois.
RH –
Votre menu change avec les saisons.
M.B – Il change deux fois : automne-hiver
et printemps-été
RH –
Vous avez accueilli les plus grands chefs de la gastronomie mondiale.
Lesquels vous ont le plus impressionné ?
M.B – Dans les dernières années nous avons
accueilli une pléiade, parmi les plus grands chefs de la scène mondiale, et ils
m’ont tous impressionné. Parmi ceux qui
m’ont le plus impressionné c’est évidemment Paul Bocuse, qui est le pape de la
haute cuisine, c’est lui qui a sorti les chefs de derrière les fourneaux pour
les amener sous les feux de la rampe. Il
a créé un mouvement qui n’a fait que s’accentuer depuis. C’est lui le grand
chef du Vingtième siècle, qui rentre encore avec brio dans ce Vingt-et-unième
siècle.
Il y a un chef italien qui m’a
aussi beaucoup impressionné c’est Francesco Berardinelli, il y a eu Charlie
Trotter des États-Unis, il y a eu Antoine Westermann et Émile Jung de l’Alsace,
Georges Blanc et j’en passe. Il y a même eu Alain Ducasse qui dans le cadre de
la Maison de la France, à l’époque, avait fait un tour à Montréal et avait
donné une prestation au Beaver Club. Nous avons vraiment été honorés par la
visite des plus grands chefs de ce monde. Ils ont naturellement inspiré notre
gastronomie.
RH –
J’invite les Montréalais et les Montréalaises qui ne connaissent pas
encore le Beaver Club à venir célébrer chez-vous, pour vivre le temps d’un
repas, une expérience de haute gastronomie. Ils vont se rendre compte pourquoi
le Beaver club a reçu ce prix et constater pourquoi il a perduré à travers
toutes ces années en restant une des premières tables de Montréal.
Voici les coordonnées du BEAVER CLUB
900, boulevard René Lévesque Ouest, Montréal
Tél . : 514 861-3511, poste 2448