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Lady alys robi s’Éteint

Véritable « star nord-américaine » après la Deuxième Guerre 50 ans avant Céline Dion  Alys Robi a trimballé ses rythmes latins entre les Etats-Unis et le Canada, presque jusqu’à Hollywood, avant que sa carrière ne vole en éclats à cause de problèmes de santé mentale. Après avoir été internée pour ne pas dire parquée? pendant cinq ans en institution psychiatrique, elle ne sera plus jamais la même.

Née le 3 février 1923 dans le quartier ouvrier Saint-Sauveur, dans la basse-ville de Québec, Alice Robitaille grandit auprès d’une mère soliste à la chorale de l’église et d’un père lutteur les fins de semaine dans les arénas. Son oncle Lucien, lui, travaille dans un cirque, raconte-t-elle dans une biographie de Jean Beaunoyer parue en 1994. Ainsi, il est tout naturel que dès l’âge de quatre ans, elle s’échappe des genoux de son père et se précipite sur la scène du théâtre Princesse pour y danser un charleston. Le public est immédiatement conquis et la petite Robitaille obtient son premier engagement: danser les fins de semaine, sous la supervision de son père.

Après des cours de danse, de chant, de diction et de claquettes, Alice fait les théâtres Impérial et Capitol, les entractes de matches de lutte de son père et le concours « Les Jeunes Talents Catelli ». A sept ans, on l’entend déjà de façon ponctuelle à la radio de CHRC. En 1934, « La Poune » (Rose Ouellette), qui établit ses quartiers d’hiver au théâtre Arlequin de Québec, remarque la petite Alice et lui promet son aide si elle vient s’installer à Montréal. L’année suivante, Alice, à 12 ans, fait son baluchon et dit adieu à sa famille elle a quatre frères et soeurs.

Mme Ouellette, qui dirige le populaire théâtre National, l’engage dans ses revues et l’héberge chez elle: Alice Robitaille devient Alys Robi. Pendant trois ans, elle est de toutes les revues de La Poune et à 16 ans, elle participe à la tournée d’été de Jean Grimaldi. C’est là qu’elle rencontre le comique Olivier Guimond fils, premier grand amour de sa vie. Vers la fin des années 30, on l’entend à la radio de CKAC, on la voit au théâtre National ou à l’American Grill, et elle participe aux revues de Gratien Gélinas. Puis, soudain, elle voit au cinéma la chanteuse « latine » Carmen Miranda: ça y est, elle a trouvé son style, c’est ce qu’elle veut faire.

Alys se met aussitôt à l’espagnol elle avait déjà appris l’anglais plus jeune et se lance dans le répertoire sud-américain. Le succès est fulgurant, avec des tubes comme « Tico, Tico » ou « Besame Mucho ». « Le maire et la mafia, tout le monde était là à ses pieds », chantera Diane Dufresne 40 ans plus tard. Au même moment, début vingtaine, elle rencontre le deuxième grand amour de sa vie, Lucio Agostini, un chef d’orchestre, arrangeur et compositeur pour le cinéma. En 1944, elle ajoute New York, Londres et Paris à son trophée de chasse latino: premiers disques chez RCA Victor, radio de la BBC, cabarets et boîtes dans Paris occupé. L’année suivante, lasse des longs voyages en train, elle loue un avion « personnel » pour ses contrats en Amérique.

A la fin de la Guerre, elle fait des bouts d’essai aux studios MGM à Hollywood. En attendant les contrats, elle poursuit sans relâche une carrière dans les cabarets, sur disques et à la radio. Le 23 juillet 1947, elle est de la première émission de télévision du monde: « Vive la Canadienne », à la BBC. Et puis crac! C’est la cassure. En 1948, après une rupture amoureuse et une fracture du crâne dans un accident de voiture à Hollywood, on lui prescrit du « repos » à l’Institut (psychiatrique) Albert-Prévost, puis à l’hôpital (« asile ») Saint-Michel-Archange. Elle n’a que 24 ans. Internée pendant cinq ans, elle subira d’éprouvantes séances d’électrochocs et une lobotomie en 1950, dont elle fera le récit dans son livre « Un long cri dans la nuit » (1990).

A 29 ans, à sa sortie de l’hôpital, elle s’imposera un sevrage radical, sans assistance, à Québec. Puis, de retour à Montréal, elle vivotera de petites boîtes en cachets minables, jusqu’à un grand retour à l’ex-Faisan Doré: c’est la belle époque des « Brazil », « Begin the Begine », « Tu ne peux pas t’figurer »… En 1953, elle se marie avec un employé des chemins de fer alcoolique et violent; enceinte, elle fait une fausse couche elle en restera stérile puis demande l’annulation du mariage en 1956. C’est à cette époque qu’elle lance l’idée, à l’Union des artistes, de fonder une maison pour les membres seuls et peu fortunés. Un « Chez-nous des artistes » qui mettra 30 ans à se concrétiser, et où elle habitera pendant neuf ans.

En cette fin des années 50, les cabarets où elle se produit sont de plus en plus grands, la carrière va bon train, trop peut-être. Fatiguée, Alys Robi va se reposer à Paris. A son retour, cependant, le Québec a changé: le Mocambo et autres El Morocco ont fait place à La Butte à Mathieu et aux Deux Pierrots. RCA fera bien une compilation de ses grands succès dans les années 70, la télé l’invitera bien dans des variétés du midi, mais la reine du latin n’a plus sa place dans le « showbizz » québécois, qui la regarde de haut. En 1981, lors du grand spectacle de la Saint-Jean, elle fait toutefois un bref mais émouvant retour sur scène avec Diane Dufresne, où elle reprendra « Tico, Tico ».

Deux ans auparavant, Diane Dufresne lui avait rendu un hommage en enregistrant « Alys en cinémascope » sur l’album Strip Tease: »Tu voyais ta vie. Comme un film en cinémascope. C’était toi le reine des années quarante. » En 1985, sans grande fortune elle habite au « Chez-nous des artistes », Alys Robi est anoblie par la reine Elisabeth II: on devrait maintenant l’appeler Lady. En 1989, elle lance la bien-nommée « Laissez-moi encore chanter », composée pour elle par Alain Morrisod. Puis, en 1992, elle est du spectacle d’ouverture du nouveau Capitol de Québec, où elle avait commencé sa carrière quelque 65 ans plus tôt.

Une télésérie à laquelle elle a collaboré est aussi présentée à la fin des années 90. Mais l’arthrose et l’arthrite dont elle souffre l’empêchera de retrouver la scène elle avait du mal à se tenir sur ses jambes. Dans un entretien accordé en 2002 à Marie-Claude Lavallée, sur RDI, Alys Robi dira qu’il y a deux personnes en elle: la femme et la carrière. « Je ne peux pas inviter ma carrière à souper ou à coucher dans mon lit », dira-t-elle.