HAPPÉ PAR PIAF
En 1959. Piaf se trouva un jour à Montréal, dans la salle du Bozo. Un événement, pensez donc. Et elle a flashé sur Léveillée, qui se trouvait sur scène. L’invitant même à venir travailler en sa compagnie. L’aventure parisienne en compagnie de la Môme aura duré dix mois. Le cinéaste Jean-Claude Labrecque en a tiré un documentaire : « 67 bis, boulevard Lannes », l’adresse de l’interprète de l’hymne à l’amour et de trois chansons de Léveillée : « Le vieux piano », « Ouragan » et « Boulevard du crime ». Piaf a littéralement séquestré son protégé au point de l’étouffer. Il arriva ce qu’il devait arriver, l’oiseau s’envola. Cette collaboration de haut niveau aura des retombées fantastiques sur notre compatriote, qui aura l’insigne honneur d’être le premier chanteur québécois à se produire à la Place des Arts.
Claude Léveillée au piano avec Édith Piaf à Paris.
IL N’ÉTAIT PAS UN MUSICIEN
Il voit le jour à Montréal le 16 octobre 1932 au 7406 de la rue Drolet. La mère est reine au foyer, comme on disait à l’époque, pour auréoler le travail des ménagères. Le père était dans la fonction publique. La musique était la bienvenue dans le foyer familial, puisqu’on disposait d’un piano et la maman était musicienne. Claude Léveillée n’a jamais appris la musique. Il jouait par oreille. Il a bien tenté de suivre des cours de théorie musicale à l’école Vincent-d’Indy, mais il a décroché au bout de trois jours. Pour lui, la musique venait du cœur, qui la transmettait au bout des doigts. En France, on appelle cela un mélodiste. C’est-à-dire qu’il jouait d’abord au piano la mélodie qui lui venait en tête, l’enregistrant au magnétophone. Par la suite, un arrangeur venait habiller le tout.
Et ce qu’il en a composé des musiques! Oubliez « Frédéric », si c’est tout ce que vous connaissez de lui. Pour votre édification, je vous réfère au site Québec info musique, qui donne dans le détail toutes ses participations artistiques. C’est démentiel. Il faut aller voir ça, ça vaut le coup. Le gars n’a pas chômé. Et pourtant, fait incompréhensible, il n’arrivera pas dans l’imaginaire collectif à la stature d’un Gilles Vigneault, Félix Leclerc ou Jean-Pierre Ferland. Faut dire que Léveillée n’aidait pas sa cause. C’était en privé un homme ombrageux. Qui de surcroît devra vivre la douleur d’un fils qui s’est suicidé très jeune. Il ne s’en remettra pour ainsi dire jamais.
À ses débuts, les spectateurs trouvaient que ses chansons étaient trop sombres. Moi-même, à part quelques-unes, je trouvais que pour beaucoup, c’était musicalement de la redite. Et j’en veux pour preuve que lorsque j’étais directeur artistique de la Butte Saint-Jacques durant neuf ans (et dieu sait s’il en est passé des artistes à leurs débuts durant cette période), je n’ai pas le souvenir qu’un interprète ait même choisi une chanson de lui. Quelqu’un a bien défini son style en parlant de lyrisme et de théâtralité. Il était beaucoup plus à mes yeux poète, et plutôt diseur que chanteur. Mais indépendamment de mon goût personnel, il est indéniable qu’il aura été artiste dans toutes les fibres de son être.
Même comme comédien il a été excellent. Dans mon livre à moi, même meilleur acteur que chanteur. Peu de gens savent qu’il a joué dans un Chabrol. C’était en 1966. Le film s’intitulait « La ligne de démarcation ». Deux accidents cérébraux vasculaires viendront à bout de ce talent et en feront un handicapé en perte totale d’autonomie. Pour lui, pessimiste de nature, ce devait être une calamité. La mort l’aura délivré de cette prison charnelle. Il faudrait retrouver ce document précieux. C’était en septembre 1977, une équipe de télévision était allée s’installer dans la ruelle derrière l’immeuble où il est né. Et pour les gens de la rue Drolet et d’ailleurs, Léveillée a donné un petit tour de chant. Comme pour boucler la boucle. Ce devait être fort émouvant pour lui comme pour les privilégiés sur place. C’est une énorme pointure qui nous quitte. Profitons de sa disparition pour aller à la découverte de son œuvre et de sa biographie. C’est la meilleure façon de se faire pardonner.