Je n’y croyais pas, je disais non, ce n’est pas le temps, je ne voyais pas l’intérêt. Deux ans après il m’a relancé. J’étais toujours un peu réticent. Jusqu’au temps qu’il se fâche et qu’il me dise « sacrament Alain, si tu refuses, je ne te le redemanderais jamais ». Là j’y ai réfléchi… Quand on va avoir le financement et tout, ça ferait près de 20 ans que Gerry est décédé. Je m’aperçus que je vieillissais, que j’avais vieilli, et que ça serait peut-être le temps qu’on en parle. Alors j’ai accepté.»
LA PEUR DU RÉEL
Le créateur de La bouteille ne cache pas que de faire un long métrage sur une personne qui a déjà existé n’était pas de tout repos. «C’est très compliqué, avoue-t-il. C’est la première fois que je faisais un film autobiographique et avant que j’en refasse un, ça va prendre du temps. Ce qui est très complexe, c’est que tout le monde est encore vivant aujourd’hui. Le seul qui ne vit plus c’est Gerry. Ça m’a stressé longtemps, ça me stresse toujours. C’est sûr qu’il y aura des gens qui seront insatisfaits. C’est certain qu’il y aura plein de monde qui seront en hostie contre nous autres. Qu’on n’a pas dit les bonnes affaires, qu’on n’a pas dit les vraies affaires, qu’on n’a pas dit les bonnes affaires aux bonnes places aux bons moments. Mais ce n’est pas un documentaire qu’on a fait. C’est un film, c’est un drame biographique, donc c’est de la fiction.»
«Mon but était de faire un film sur un homme, continue le principal intéressé. Ce n’est pas un film sur Offenbach, c’est un film sur Gérald Boulet qui était un fanatique de la musique. Même Françoise Faraldo qui était sa femme dans la deuxième partie de sa vie, qui a été avec lui jusqu’à sa mort, a toujours dit « Gerry, son premier amour, ça toujours été la musique. Moi je passais en deuxième. « C’est de ça que le film parle. Il parle d’un homme qui était passionné de musique et qui n’avait qu’un seul but dans la vie : c’est de chanter sa rage de vivre pour le public.»
AVOIR LE SPIRIT
Bien que Mario Saint-Amand semble y trouver le rôle de sa carrière, il a décroché le personnage principal en audition. «Une fois qu’il est venu passer l’audition, c’est un choix qui s’imposait, concède Alain Desrochers. Dans ce sens que les 20 autres comédiens que j’ai vus, je n’étais plus capable de me concentrer. Je suis désolé pour eux. Ils étaient tous bons, mais Mario est le seul qui avait le spirit. Ce n’est pas juste le bon acteur, c’est quelqu’un qui avait l’âme de Gerry, le spirit de ce rocker-là qui a vécu tout le temps sexe, drogue et rock’n’roll, comme Mario l’a fait lui aussi dans sa vie…» Afin d’incarner le plus fidèlement le chanteur qui a offert les grands succès Les yeux du coeur et Un beau grand bateau, Mario Saint-Amand a mis son âme tout entière au service de son personnage.
«Moi ce qu’on me demande est de prêter mon corps, mon regard, ma voix, mes pulsions à un homme, développe l’interprète que l’on a pu voir dans Je me souviens et Lucidité passagère. Et pour arriver à le faire de façon rigoureuse, c’est d’aller à la rencontre de tout ceux qui ont fait partis de son intimité, dont Françoise Faraldo, Breen Leboeuf, son frère Denis Boulet, et à recevoir leur partage dans l’intimité de ce qu’ils ont vécu avec Gerry. Mais c’est sûr que j’ouvre des tiroirs que j’ai à l’intérieur de moi et que je les remplis de ces moments-là. En les refermant, ça se moud au Gerry que j’ai dans le coeur. C’est celui que je fais transparaître dans mon regard.»
LE VRAI GERRY
Comme il s’agit d’un projet de fiction et non de documentaire, le Gerry retenu repend l’essence même de son sujet, le montrant parfois sous un jour favorable. «On va se mettre d’accord tout de suite, clarifie l’acteur. Vous comme moi, on a des travers. Il y a des bouts de vous et de moi qu’on n’a pas envie de montrer à personne. Et il y a des bons bouts qu’on a envie de montrer au monde. Entre ça, il y a toutes sortes d’évènements qui font qu’on est moins pire et qu’on est pas pire. Le Gerry qu’on a montré, c’est le moins pire et le pas pire. Ça ne donne rien, moi comme acteur, de jouer une scène où il se saoule, il se traîne à terre et il se vomit dessus. On l’a tous fait, on sait c’est quoi. Ça donne quoi de plus de voir ça? Rien.
On serait des voyeurs et des fossoyeurs. Parce que ce n’est pas ça, Gerry. Gerry est un homme qui s’est battu toute sa vie pour faire-valoir sa musique, pour laisser entendre à ses proches qu’il n’y avait pas juste dans les usines qu’on pouvait gagner sa vie, pour faire valoir le rock’n’roll, pour faire comprendre à des musiciens à côté de lui qu’il ne fallait pas 10 chefs mais qu’il en fallait un, que c’était lui et qui m’aime me suive. À la femme de sa vie, Françoise, qu’il aimait et qu’il était capable d’aimer à tel point qu’il lui amenait des petites boîtes de musique pour lui transmettre son amour. C’était ça Gerry. Et c’était en même temps le gars qui n’avait pas peur de dire sa vérité à lui, à ceux qui voulaient l’entendre.»
La tête d’affiche continue, du même souffle : «Moi quand je l’ai rencontré ici, au Bistro à Jojo, je n’allais pas le voir à la fin de sa vie. J’ai été kické out de l’école de théâtre, c’est certain que je n’allais pas cogner à un théâtre en disant « je peux-tu auditionner, criss ». On m’avait dit à l’école que je n’avais pas la voix pour faire ce métier-là. Je suis venu là où je savais que je serais bien : dans la musique… Et quand je suis rentré au Bistro et que j’ai vu Gerry, je n’étais pas porté à aller le voir car je voyais qu’il était dans sa bulle et qu’il n’avait pas envie d’être dérangé. Maintenant j’ai compris à quel point il avait de l’impact sur tous ceux qui l’entouraient.
Que c’était un géant dans son genre, un monstre sacré.
J’ai compris qui il était lorsque j’ai vu ses épaules et ses bras tomber à sa mort. Et à quel point il était aimé et que personne ne souhaitait qu’il meure. C’est lui qui a ouvert la porte à bien des chanteurs. Pour moi, c’est ça Gerry. C’est toute l’authenticité dans son état pur.» Un être qui continue à agrémenter le bonheur des gens par sa musique et qui est arrivé au meilleur moment possible dans le parcours artistique de Mario Saint-Amand. «Dans mon cas à moi, c’est le bon timing. Les gens qui m’ont choisi se sont retrouvés face à un acteur qui a pris soin de lui, qui a été cherché de l’aide, qui s’est désintoxiqué, qui est allé en thérapie, et qui aujourd’hui a pu jouer un Gerry à la grandeur de ce qu’il était.»
« Gerry » est à l’affiche depuis le 15 juin dernier.
Source : showbizz.net