Dans le vide de la salle, RealTime UnReal est en état de veille. On est d’abord face à un écran rectangulaire classique sur lequel est projetée l’image d’un autre écran, telle une mise en abyme. L’image est stable. Mais, à l’instant où il enregistre notre présence, le dispositif de RealTime UnReal s’active selon nos déplacements. Dès le premier pas vers l’écran, notre mouvement frontal agrandit l’image et active la sensation d’entrer dans un espace architectural. Notre parcours, le rythme, la vitesse de notre mouvement transforment l’image projetée. Certains déplacements provoquent un effet miroir ouvrant de nouveaux points de vue sur ces espaces virtuels.
La culture numérique a modifié notre rapport au monde et introduit de nouveaux modes d’appréhension de l’image qui ont profondément transformé la représentation de l’espace. C’est un phénomène certainement tout aussi déterminant sur notre relation au réel que ce qui s’est passé à la Renaissance avec l’invention de la perspective linéaire. Ainsi, au cours des dernières décennies, les technologies numériques ont permis de nombreuses formes d’« hybridation » et de transformation de l’image, si bien que notre regard circule maintenant avec aisance entre réel et réalité virtuelle. Pour Kora Van den Bulcke et Thomas Soetens, « ce que l’on expérimente dans l’espace virtuel change notre perception et notre expérience de la réalité. »
Ainsi que le titre l’indique, RealTime UnReal joue sur la notion de réel et d’irréel (en français on aurait dit l’irréel temps réel). Ici, le temps réel, c’est le temps de travail de l’ordinateur qui traite l’information du système de détection de présence dans la zone d’activation. La représentation des espaces hybrides de WU se réalise instantanément sur l’écran. On est totalement dans le temps de la projection. La déambulation autour de l’écran devient navigation dans un espace hybride qui s’actualise en temps réel à l’écran. Avec les possibilités d’effets de ralenti, de recul, d’arrêt, d’agrandissement et de transformation, toute position dans la zone d’activation génère de nouvelles représentations.
Le port de lunettes de visualisation 3D vient subtilement ajouter à la sensation de relief des formes et confère ainsi à l’image un surcroît de réalité, nous entraînant dans une réalité dite « augmentée ». Kora Van den Bulcke et Thomas Soetens utilisent également un effet miroir pour ajouter à l’illusion et inscrire notre présence dans ces espaces hybrides. À un certain moment, nous sommes simultanément devant l’écran et à l’écran, dans trois espaces différents. Au cours de l’histoire, de nombreux artistes ont utilisé le miroir pour attirer le regard vers un monde extérieur au tableau, créer des mises en abyme, et appuyer l’illusion de profondeur.
Depuis les premiers tableaux avec miroirs convexes – Les Époux Arnolfini de Van Eyck, de 1434; Le Prêteur et sa femme de Quentin Metsys, de 1514 -, en passant par le célèbre tableau des Ménines de Vélasquez, de 1656, et jusqu’aux explorations plus récentes de Dan Graham, Gerhard Richter et Pascal Grandmaison, certes dans des approches et recherches fort différentes, les artistes poursuivent par le biais du miroir une réflexion sur la nature de l’image et sur sa relation au réel. En optique, l’image que nous voyons dans un miroir est virtuelle. Dans RealTime UnReal, Kora Van den Bulcke et Thomas Soetens ont fait en sorte que « le miroir reflète le réel. »
« Le virtuel, précisent-ils, est à l’extérieur du miroir. » Notre présence dans ces espaces dont nous ne maîtrisons pas toutes les dimensions renferme une énigme. Les effets et les jeux de miroirs, le mouvement incessant et l’éclatement des formes sollicitent une attention de plus en plus centrée sur un détail ou un point de fuite particulier, ce qui nous fait entrer plus intensément dans l’expérience même. Mais, au moment où nous pensons en saisir le sens, l’espace hybride de RealTime UnReal bascule. L’agencement perspectiviste des formes atteint un point de rupture, l’architecture se défait, tout remonte à la surface et nous précipite dans une expérience plus abstraite. L’effet provoque une sorte de vertige.
Les recherches de Kora Van den Bulcke et Thomas Soetens offrent une réflexion sensible sur la culture médiatique, sur les questions fondamentales de la conception et de la représentation de l’espace, sur la limite entre le réel et le vraisemblable en art.
RealTime UnReal
Une réalisation de Workspace Unlimited
31 août au 2 octobre 2011