TU PERMETS QUE JE TE TUTOIE, ENTRE ÉDITEURS ?
Comment faire pour que tu m’entendes, du haut de ta tour d’ivoire? Comment te sensibiliser au saccage que tu es en train de faire sur le dos des gens des régions? Et que tu fais au nom de quoi, au nom de qui?
VRAIMENT, JE NE COMPRENDS PAS
Je ne comprends pas la guerre de ton empire, qui se fait actuellement sur le dos des médias en région et qui fauche toute la diversité des voix. C’est 150 ans de journalisme hebdomadaire au Québec que tu es en train de mettre en péril. Ah!, je sais ce que tu vas me dire: «Ce n’est pas grave: quand vous serez tous morts, vous les journaux indépendants, je vais m’en charger, moi, de l’information!» Ce n’est pas la qualité de ton information que je remets en cause, c’est le fait que tu scrapes la profession du journalisme, que tu massacres la valeur de l’information… Hey!, c’est pas des Big Mac qu’on vend!
Non, c’est de la Démocratie, du Débat, des Idées que l’on vend. Et c’est cela qu’on devra couper en premier, faute de moyens suffisants… Tu sais bien que l’on ne vit QUE de la vente de publicités, sans subventions ni autres revenus; nous ne sommes pas des journaux vendus, mais des journaux gratuits, pour le bien de notre communauté. Alors, comment peux-tu vendre tes page de publicité dans des hebdos gratuits 10 fois moins chères qu’il a y 10 ans, bien que tous nos coûts de production ne cessent de grimper? Il me semble que, dans la vie, logiquement on cherche à améliorer son sort, non?! La bouteille de Coca-Cola se vendait 10 cennes y’a 50 ans; elle se vend 30 fois ce prix aujourd’hui…
Avec l’illogisme de ta tactique, simplement pour tuer ta concurrence, c’est la diversité d’opinion que tu assassines, c’est le traitement de l’information que tu McDonalise à grands coups de déficits et de cheap labor pour chacun de tes hebdos. Je sais que tu as les moyens de tes ambitions, mais la question n’est pas là. Elle est dans la banalisation de notre travail, ce travail que l’on aime passionnément mais qui en devient presque gênant à exercer tant tu le livres à rabais aux annonceurs. Te rends-tu compte du message que tu envoies aussi à tous ces gens en région, les lecteurs potentiels de tes hebdos: Votre réalité, vos préoccupations, vos enjeux ne valent pas plus qu’un trio chez McDo. Se faire l’écho de vos vies à travers mes médias, c’est comme «flipper» des boulettes.
MÉCHANTE CLAQUE DANS LA FACE !
Ces gens savent-ils qu’ils financent ton empire? Savent-ils que la Caisse de dépôt soutient ta croissance et tes guerres déloyales, elle qui est partenaire de Quebecor Media à hauteur de 45%? Tu sais, je n’ai absolument rien contre la compétition, qui je crois doit être encouragée dans tous les domaines, mais j’aime qu’elle se fasse à armes égales… Peux-tu faire une guerre propre; parce que ta guerre, là, c’est une guerre sale.
En fait ce n’est plus une guerre que tu livres au prix où tu donnes ton produit: c’est un bulldozer que tu conduis. Et c’est toute la diversité d’opinion que tu vas raser avec ce ménage sauvage. Ta guerre, elle ne va pas que tuer ta compétition et la presse indépendante en région… c’est la démocratie elle-même que tu assassines! Je ne pleure pas sur mon sort, non, ça fait longtemps que j’ai fini de pleurer! Il ne me reste que de la désolation face à notre impuissance devant ce qui pourrait tous nous arriver: pensée unique, uniformisation du traitement de la nouvelle, «StarAcadémisation» de la culture, «Quebecorisation» de l’information.
Tu m’excuseras de tirer la sonnette d’alarme, mais je crois que nous sommes en danger; tu effaces une à une les couleurs de la toile régionale, ne retenant que celle de ton empire: le bleu et le noir. Parle-moi d’une belle palette, toi! Au fait, je me demande: si un journal est le miroir de sa société, quelle est la valeur de notre reflet?… Comprends-moi bien ici: je ne te parle pas du déclin appréhendé de la presse traditionnelle, de la montée des médias internet, etc… Non, je ne te parle que de ma réalité, celle d’un journal indépendant qui se bat loyalement depuis 13 ans,
qui fait des miracles avec les moyens qu’il a afin de desservir dignement la population qui le suit, un journal qui souffre infiniment à l’idée de devoir éventuellement abaisser ses standards de qualité rien que pour résister à tes assauts… Je me demande ce que pensent de tout cela les artisans de tes médias régionaux… je me demande ce que penserait ton père, lui pour qui les médias régionaux avaient une valeur inestimable, et d’abord celle de servir adéquatement la population régionale à laquelle ils s’adressaient.
Oui, je me demande… Et je ne demande qu’à comprendre.
Explique-moi s’il-te-plaît.
RÉPLIQUE À PIERRE-KARL PÉLADEAU
(Piedmont, Laurentides, 14 octobre
2011)
À la suite de la très large diffusion sur internet de la chronique Josée Pilotte «Lettre à
Pierre Karl Péladeau», qui a entraîné des centaines et des centaines de réactions, Quebecor a
répondu à l’éditrice de l’hebdomadaire indépendant Accès. Pour Mme Pilotte, cette réponse de
Quebecor n’en est pas une: «Monsieur Péladeau… Merci d’avoir pris le temps de (ne pas) me
répondre, par l’intermédiaire de votre vice-présidente
exécutive Sun Media pour le Québec, Lyne Robitaille»,
lance-t-elle d’entrée de jeu dans une réplique qui sera mise en ligne
lundi sur le site www.journalacces.ca et publiée dans l’édition de mercredi prochain du journal Accès,
aux côtés de la réponse de Quebecor.
Voici un extrait de cette réplique:
«Si la célérité avec laquelle vous avez réagi à la lettre que je vous adressais m’a heureusement
surprise, il en fut autrement quand j’ai pris connaissance de son contenu… Une immense déconvenue
que ces deux pages. Ma réplique sera plus laconique… J’ai beau lire et relire ce long et
vibrant plaidoyer à la défense de Quebecor, je n’y trouve aucune réponse aux questions que je vous
adressais; bien au contraire, vous les éludez totalement. Qui ne dit mot consent?»
Rappelons que l’hebdomadaire
indépendant ACCÈS couvre la région des Laurentides depuis 13 ans maintenant. La publication a
notamment remporté le prix d’Hebdo de l’année au Québec 2007, remis par l’organisme Hebdos
Québec, devant de nombreuses autres publications de grands groupes de presse. Plusieurs plumes
prestigieuses ont collaboré à cette publication au cours des années, dont Denys Arcand, Fabienne
Larouche, Jocelyne Cazin, Réjean Tremblay, Léo-Paul Lauzon et Claude Jasmin… ACCÈS a
également fait l’objet d’un reportage du Point, diffusé il y a quelques
années à Radio-Canada.
Josée Pilotte, Éditrice d’Accès
Couvrant fièrement la région des Laurentides depuis 13 ans.