Si c’était le
cas et que tout le monde sortait de chez eux et ne rentrait plus, vous pouvez
imaginer les conséquences sur notre système. Je ne suis pas sortie dans la rue,
du moins pas encore. Ma position est délicate. J’ai des patients à soigner et
je ne voudrais pas mettre ma famille en difficultés. Toutefois, ce n’est pas
parce que je ne suis pas encore sorti que je suis contre ce mouvement. J’irais
même jusqu’à avancer qu’une partie de moi se dit que la chose éthique à faire
pour moi, mes proches et mes patients, serait de me joindre à eux.
D’abord, je tiens à attirer votre attention sur un fait. L’opinion que nous
avons du mouvement est fortement influencée par l’information qui nous est
rapportée. La première question que nous devons nous poser est celle-ci : « À
qui appartient le média d’information et quel est son intérêt dans le mouvement
Occupy ? » Il existe de moins en moins de sources de médias d’informations
indépendants. Mise à part LeDevoir et LaMetropole.com. la plupart de nos
autres journaux, stations radios et chaînes télévisées sont liées soit à
l’État, soit à des grandes entreprises comme Quebecor Media et Power
Corporation of Canada.
Pouvons-nous réellement faire confiance à ces sources
d’information pour nous donner l’heure juste sur un tel sujet que celui des
indignés ? La question vaut la peine d’être posée : « Pourquoi vous
transmettraient-ils des informations qui risqueraient de les mener à leur
propre perte ? » Est-ce que vous ferriez cela à leur place ?
J’ajoute à cette réflexion un deuxième point. Une bonne partie des informations
que nos médias nous transmettent ne proviennent pas d’un journaliste qui est
allé chercher les informations sur place. En fait, la plupart des nouvelles
nationales et internationales sont achetées à des agences de presse. Ces
agences vendent les nouvelles et comme elles sont là pour faire un profit, la
question qu’il est légitime de se poser est : « Combien ça coûte pour faire
modifier ou créer telle ou telle nouvelle, et qui a les moyens de le faire ? »
Mon point, ce n’est pas de faire porter le blâme à un individu ou à un média
particulier. Ce que je veux souligner, c’est le fait qu’il existe tout un
système derrière les informations qui nous sont transmises, qui n’a pas intérêt
à ce que la population se joigne au mouvement Occupy Wall Street. Alors, ceux
qui désirent se forger une opinion sur le mouvement doivent prendre en
considération qu’il y a des conflits d’intérêt et beaucoup d’argent en jeu.
Un exemple : Qui parmi vous savait que le 17 novembre dernier, on dénombrait
2,609 campements Occupy dans le monde ? Très peu de gens sont conscients de
l’ampleur que le mouvement a prise au cours des deux derniers mois. La plupart
des médias s’attardent surtout à discréditer le discours et les actions des
indignés et à attirer notre attention sur le fait que le mouvement est en perte
de vitesse. On s’inquiète beaucoup plus du risque d’incendie des structures en
bois dans les campements de Montréal et de Québec que d’un problème qui a pris
une envergure mondiale. C’est normal ! Il faut prévoir qu’on va tenter
d’étouffer ce mouvement. Il faut prévoir que les forces à l’œuvre voudront
calmer le jeu. Pourquoi agiraient-ils autrement ?
Alors si vous voulez vous faire une idée honnête, vous devrez vous débrouiller
seuls. Vous devrez identifier les médias indépendants pour éviter les conflits
d’intérêt et vous devrez passer du temps sur les réseaux sociaux pour obtenir
des informations de gens qui sont sur place. Sinon, vous devrez vous contenter
de bien peu. Vous risquez même de vous réjouir que la ville ait rendu un parc à
ses citoyens, alors que ceux qui l’occupaient avaient peut-être plus à vous
offrir. Bien sûr, cette dernière suggestion peut paraître farfelue après tout
ce qu’on nous a dit sur eux !
Comme le souligne Dr Willy Apollon dans ses conférences « Psychanalyse et
Mondialisation : Autrement, c’est quoi ?… » : Pour la première fois dans
l’histoire de l’humanité, tous les êtres humains sont confrontés au même
problème, au même moment. Vous voyez bien que lorsqu’un mouvement se propage
aussi rapidement dans tous les pays du monde, il ne s’agit pas d’un simple
problème Québécois, Américain ou Égyptien ! Il s’agit d’un problème mondial.
Posé comme ça, vous voyez tout de suite la difficulté pour les différents pays.
Si le problème qu’a entraîné la mondialisation concerne tous les humains en
même temps, comment les pays feront-ils pour gérer ça ? Inévitablement, un
jour, la solution concernera tout le monde, mais pour le moment, chaque pays va
tenter de gérer ce qui est entrain de se passer chacun de leur côté et pour y
arriver, ils n’auront pas d’autre choix que de tenter de nous couper du reste
du monde.
La solution temporaire au problème passera par une vielle solution
qui est celle de la censure. Les autorités ont perdu le contrôle de
l’information. Le mouvement Occupy en est le plus récent exemple. Un groupe a
proposé de manifester, et en très peu de temps, l’idée a fait le tour de la
planète. Il s’agit là d’un réel problème pour les autorités. Il ne faut donc pas
s’étonner qu’à l’intérieur du projet de loi SOPA (Stop Online Piracy Act), on
retrouve les outils nécessaires pour censurer l’information qui risquerait de
faire en sorte qu’un jour, l’envie vous prenne de vous indigner vous aussi.
Faites-vous confiance à votre système pour décider de l’information qui devrait
vous être transmise et celle qui doit vous être cachée ?
Les jeunes de 15 à 35 ans, qui ont grandi dans la mondialisation, ne sont pas
étonnés par ce que j’écris ici. Avec la coprésence des cultures différentes,
les valeurs sont progressivement tombées. Elles sont tombées parce qu’on a vite
fait de réaliser que ce qui était interdit dans un pays ne l’était pas dans
l’autre et vice versa. Puis dans chaque culture, au bout d’un certain temps,
les institutions qui véhiculaient et soutenaient les valeurs ont manqué
d’arguments. Les jeunes de ma génération et de celles qui ont suivi sont des
gens qui ont grandi dans un univers où les valeurs n’étaient plus crédibles.
J’ai beau être médecin, j’ai tout de même 30 ans et j’éprouve la même
difficulté à marcher dans notre système. Et plus le temps avancera, plus il y
aura d’indignés. Ils ne porteront peut-être plus ce nom, ils n’occuperont
peut-être plus des places publiques, des campus universitaires ou des immeubles
abandonnés, mais il y en aura de plus en plus car les institutions qui auraient
pu servir d’exemple accumulent les scandales. Les gens ressentent peu à peu que
ces institutions sont du côté de la corruption ; d’abord l’Église, puis ensuite
l’État, puis bientôt les Médias.
Aujourd’hui, les parents sont laissés à eux-mêmes. Ils ne peuvent plus compter
sur leurs institutions pour soutenir les valeurs qu’ils tentent d’inculquer à
leurs enfants chez eux. Aujourd’hui, les valeurs dans votre maison n’ont
souvent rien à voir avec les valeurs chez vos voisins. Si vous vivez dans une
grande ville, c’est encore plus évident. Puis dès que les enfants mettent le
nez dehors et rentrent à l’école, ils sont rapidement confrontés à cela. Il n’y
a pas de valeurs valables pour tous. Par conséquent, si ce n’est pas interdit
pour d’autres, pourquoi le serait-ce pour moi ?
Les nouveaux parents et les
professeurs d’école ressentent cela. Il n’y a plus de raison valable pour
interdire. Le discours des parents ne tient plus. Le discours des institutions
ne tient plus. Les discours qui soutiennent notre système ne tiennent plus. Il
n’y a plus d’arguments pour justifier ce qui se passe dans le monde. Peut-être
pire encore, il n’y a plus beaucoup d’arguments pour poser des interdits à nos
jeunes. Dr Apollon posait la question : « Existe-t-il encore une autorité que
vous ne critiquez pas ? Et si vous critiquez l’autorité, est-ce encore une
autorité ? »
Les gens de ma génération et les occupants de Wall Street ne sont pas responsables
de la perte de crédibilité des institutions qui devaient véhiculer les valeurs
du système dans lequel nous sommes. Des gens avant nous sont responsables de
ça.
Si le mouvement gagne en popularité, ce n’est pas simplement parce qu’il
rassemble des gens autour de revendications ou de dénonciations communes. S’il
y a tant de gens qui s’y joignent, c’est qu’il y a à l’intérieur de ce
mouvement l’espoir d’une société crédible pour tous. De fait, les indignés ne
peuvent pas être considérés comme des antisociaux. Ce sont des gens qui veulent
une société. C’est un mouvement qui veut redéfinir les conditions de vie de
l’humanité en ne laissant personne pour compte. Ces gens veulent des valeurs et
ils veulent des raisons pour y adhérer et les transmettre. Ils veulent
redéfinir ce qui est acceptable et ce qui est inacceptable. Ils veulent la
justice et l’égalité. Il n’y a aucune violence dans le mouvement Occupy. La
violence vient du système, et uniquement du système.
Ce que nous devons voir, d’ailleurs, c’est qu’il n’existe plus personne qui a
l’autorité de nous faire marcher dans ce système. Aucun pays et aucun
gouvernement n’a trouvé les mots pour convaincre les 99% qu’ils devaient
rentrer chez eux. Et quand il n’y a plus d’autorité, il n’y a plus que la force
et la répression pour soutenir le 1%. C’est ce qui se passe actuellement. Et
plus ils utiliseront la force, plus ils susciteront l’indignation.
Les sociétés fonctionnent avec des discours. Nous vivons dans un village
planétaire qui n’a pas de discours valable pour tous. Ils devront en inventer
un. D’ici là, ce sera une histoire de censure, de répression et de
contestation.
Je prends le risque de choisir mon camp et de le dire tout haut. Je le fais
pour mon fils, pour mes proches et pour mes patients. Il n’est pas simple pour
le psychiatre que je suis d’aider des gens à fonctionner dans un système
malade.
J’espère que cette lettre n’aura pas été écrite en vain et que d’autres
s’acquitteront de leur droit de parole et de leur devoir envers les générations
futures.
Éric Chiasson, psychiatre
« Pour
plus d’informations sur les conférences du Dr Willy Apollon (Psychanalyse et
Mondialisation : Autrement… c’est quoi ? … pour les survivants que nous
sommes), veuillez vous référer au GIFRIC.COM. »
Source: LaMetropole.com