Et, bien entendu, des travaux du Dr Willy Apollon, psychanalyste au GIFRIC : « Psychanalyse et Mondialisation », 2011). Peu à peu, les Occupants rentrent chez eux. Ce n’est pas le cas partout, évidemment, mais
c’est le cas près de chez nous. Les
espaces publics sont nettoyés. On les
appelait « les Indignés », même si ce nom ne leur allait pas très
bien. « Les Indignés », c’est
le nom qu’on peut donner à ceux qui sont sortis de leurs maisons. Toutefois, une fois regroupés, ils avaient
déjà perdu ce nom.
L’indignation devenait
peu à peu secondaire. Bien sûr, ils
critiquaient ouvertement et fortement le système dans lequel nous vivons, mais
ce qui comptait surtout, c’était ce nouvel espace de possibilités qu’ils
avaient créé. L’indignation a sorti des
gens dans la rue. L’espoir les a unis et
a fait en sorte qu’ils ne sont pas rentrés.
« Les Indignés », c’est aussi le nom qu’on peut donner à ceux
qui doivent maintenant rentrer chez eux.
UN ESPOIR FOU !
Combien de nouveaux mondes ont été inventés aux quatre coins du globe
? Des mondes nouveaux, peuplés de ce
qu’il y a de meilleur dans l’humain, défilaient dans l’imaginaire collectif de
ceux qui s’étaient joints au mouvement.
Il n’est pas facile de rentrer à la maison avec l’impression que nos
aspirations ne trouveront peut-être pas cet espace que chacun avait
espéré.
La colère a regagné le cœur des Indignés. Soyons prudents maintenant. Ce qui compte pour le moment, c’est
l’espoir. Ce n’est pas ce nouveau monde
que nous avions en tête. Mon monde idéal
n’est pas nécessairement le vôtre. Celui
que j’ai imaginé avec d’autres n’a peut-être rien à voir avec celui d’autres
groupes. Et certainement, le monde idéal
d’un groupe de Québécois n’a rien à voir avec le monde idéal d’un groupe
d’Égyptiens. S’il est vrai que l’espoir
d’un nouveau monde nous a unis, personne ne peut encore imaginer les
difficultés et les concessions que chacun rencontrera ensuite.
C’est un peu comme l’espoir des
amoureux. Une fois réunis sous le même
toit, ils se rendent rapidement compte qu’ils doivent faire un certain nombre
de concessions et que le résultat est toujours bien différent de ce qu’ils
avaient en tête au moment du coup de foudre.
Mais peu importe, ça ne veut pas dire pour autant qu’il ne faut pas
fonder une famille. Ça ne veut pas dire
non plus qu’il ne faut pas réfléchir aux fondements d’une nouvelle société à
l’aube de la chute de l’empire capitaliste.
« C’est peut-être partout la naissance dans nos affectivités,
nos émotions, nos peurs secrètes et nos sourds espoirs de la notion du village
planétaire avec ce qu’il implique de rêves de libertés nouvelles
mais aussi d’exigences et de limites encore insoupçonnées. » (Willy Apollon, psychanalyste)
Si je tiens à souligner cet aspect
« d’exigences et de limites encore insoupçonnées », c’est pour nous
rappeler que ce à quoi nous réagissons lorsque nous plions bagages, a beaucoup
à voir avec la perte de l’idée d’un monde que nous avions imaginé pour tous,
mais dans lequel – et c’est tout à fait normal – nous n’avions pas encore pris
la mesure du fait que tous n’y trouveraient pas leur compte. Plus le temps avancera, et plus cela nous
apparaîtra comme une évidence. Les idées
jailliront et les camps se diviseront.
À
suivre l’évolution du mouvement, on voit bien que la phase de mise en commun
des idées de chacun comporte un certain nombre de difficultés. Imaginez un peu le jour où le Québec et le
Moyen Orient seront à la même table pour discuter de la place de la femme dans
notre village planétaire ! Quelles
valeurs, quels idéaux et quels interdits seront adoptés et quelles raisons
seront données pour les justifier ?
« Vous ne
pouvez pas démanteler une idée ! », se sont-ils mis à scander une
fois le démantèlement amorcé. Cette idée
ne pouvait pas être la même pour tous les humains qui se sont joints au
mouvement « Occupons », mais tous avaient une idée. « Quelle idée ? », leur a-t-on
demandé, comme si le contenu de cette « idée » était d’une quelconque
importance. L’attention a été portée
là-dessus. Vous imaginez la liste de
revendications qu’on aurait pu dresser si on avait pris les idées de tous les
gens de tous les camps sur la planète ?
Ça n’avait pas beaucoup d’importance au fond.
Qui est intéressé par ma vision du monde et
mon idée du meilleur système ? Tout le monde
s’en fout de mes idées de droite, de gauche ou de machin chouette ! Quand les gens ont progressivement perdu
confiance en l’Église, puis ensuite l’État, puis bientôt les Médias, derrière
qui ou quoi les gens se rangeront-ils ?
Ce ne sera certainement pas derrière moi. Ce ne sera pas non plus derrière le mouvement
Occupons, parce que les occupants ont commencé à proposer des solutions de
rechange. Le temps des solutions n’est
pas encore venu. Les problèmes n’ont pas
encore été suffisamment discutés. En
fait, pour l’instant, les gens vont probablement se ranger derrière une idée de
changement, surtout s’il s’agit d’une proposition de changement suffisamment
vague pour que chacun s’imagine que ce changement a une chance de lui être
profitable. Dans les faits, la solution
n’existe pas encore. Ils devront
l’inventer, parce qu’elle n’est ni à droite, ni à gauche.
Il est important de voir que ce qui s’est passé était
hors-langage, ou hors-culture. Le
mouvement qui a traversé les pays était celui de mettre un pied – parfois les
deux – en dehors du système et en dehors de la culture. Ce n’était absolument pas une idée issue
d’une culture donnée qui aurait été partagée, comme ça, par toutes les autres. Ce n’est pas possible. Vous ne trouverez pas d’arguments québécois,
américains ou chinois pour sortir de leurs maisons des gens de tous les
pays. Il s’agissait d’un acte et cet
acte trouvait sa justification au-delà du langage.
Il ne s’agissait pas d’une histoire de mots,
mais bien d’un sentiment humain qui a créé cette vague et traversé les
frontières. Si on a eu recours à des
mots comme « Les Indignés » ou « Occupons » pour décrire ce
qui s’est passé, on ne peut pas pour autant insinuer que ces mots ont une
signification commune pour les gens qui sont sortis de chez eux. C’est précisément là que nous pouvons repérer
que ces mots ont rassemblé sous leurs bannières un sentiment humain et non pas
ce que certains s’entêtent à y chercher, qui aurait quelque chose à voir avec
un certain contenu d’idées.
« Quel est votre message ? », leur a-t-on
demandé, comme s’il n’était pas d’emblé évident. Le malheur, c’est qu’ils se sont crus dans
l’obligation de répondre. On a cherché
du contenu alors qu’on aurait dû s’attarder au contenant. Nous en sommes à un point de l’histoire où
les êtres humains, vivants à l’ère de la mondialisation, en savent suffisamment
pour ne plus être dupés par les discours de ceux qui gèrent les systèmes. Mais comme la réalité de chaque culture et de
chaque système est bien différente, il n’y a pas de message commun. Aucun camp du mouvement
« Occupons » ne sera en mesure de rassembler des idées et d’en faire
un message qui aurait une grande valeur pour le reste du monde.
C’est un acte qui a traversé la planète, et
non un message. Chaque tentative d’y
produire des messages se heurtera aux frontières de la culture où il a été
produit, voir même aux frontières des différents individus qui composent chaque
camp. La tentative échouera et le mouvement
rentrera progressivement dans une autre phase de latence. Cela échouera surtout si le mouvement
poursuit sur sa voie de proposer des solutions, plutôt que de s’en tenir à ce
qui les a réuni et d’exiger des justifications à l’injustifiable. Vous aurez remarqué qu’il n’y a eu aucune
justification donnée, nulle part sur la planète, en réponse aux questions
posées par le mouvement « Occupons ».
Il est encore trop tôt pour faire des propositions. Je crois que le mouvement aurait dû s’en
tenir à la contestation pacifique et à la distribution de l’information. Beaucoup de gens informés rejoindront le
mouvement sans avoir à y être invité. Un
peuple informé saura poser les bonnes questions. La position des Indignés est tout à fait
justifiable et elle a été maintes fois justifiée. Les dirigeants, quant à eux, ont
judicieusement préféré inventer un problème sanitaire pour dévier l’attention,
justifier le démantèlement des camps, diminuer la crédibilité des occupants et
ne pas avoir à s’embarrasser de devoir répondre aux questions qui leur étaient
adressées.
Si vous lisez sur le
démantèlement du camp de Los Angeles, par exemple, vous noterez ce curieux fait
que les policiers étaient préparés et vêtus de façon à se protéger contre la
possibilité que les manifestants leur lancent leurs selles. Seriez-vous plus favorables au démantèlement
d’un camp si vous vous imaginiez que les occupants avaient, comme ça, des
selles à leur disposition qu’ils pourraient lancer aux policiers ? S’agit-il de légitimes mesures de protection
ou de la mise en scène d’un croyable ?
Si j’ai employé le mot « latence » tout à
l’heure, c’est pour bien faire comprendre qu’il ne s’agit que d’une question de
temps avant qu’une autre vague de la sorte se produise. Je ne saurais prédire quelle forme elle
prendra, mais pour tous ceux qui ont quelques principes de physique en tête,
peut-être pouvons nous nous référer à la notion d’énergie potentielle. Combien d’énergie a été investie dans ce
mouvement et où est passée cette énergie maintenant qu’on y a mis le couvercle
? Croyez-vous encore en la magie ? Croyez-vous qu’on peut, à l’aide de quelques
coups de pied au derrière, faire disparaître quelque chose qui a mobilisé des
millions de personnes au cours des derniers mois ? Si oui, que quelqu’un me l’enseigne car cela
me serait d’une utilité vraiment inestimable en psychothérapie !
La réalité, c’est que nos civilisations ont été
traversées par la mondialisation et la corruption. La réalité, c’est qu’au même moment, des
humains de tous les pays se sont sentis concernés par cette invitation à
contester le système dans lequel ils vivent.
Chacun avait sa propre critique à adresser à son système, mais il semble
que le moment arrive partout en même temps.
N’est-ce pas curieux ? Les
Égyptiens n’occupent pas la place Tahrir pour les mêmes raisons que les New
Yorkais occupaient Wall Street. Ils
n’ont pas le même « message ».
Néanmoins, ne s’agit-il pas du même sentiment humain qui les a sortis de
chez eux ?
Et si les forces de l’ordre
continuent de refouler ce sentiment humain qui cherche à se frayer une voie
d’expression, quelle voie trouvera-t-elle ensuite pour s’exprimer ? Nos dirigeants devraient se sentir concernés
par cette question. S’ils n’inventent
rien qui soit capable d’absorber cette énergie qui aspire à autre chose, ils
auront à déployer le même niveau d’énergie à combattre les inventions
hors-système dans lesquels s’écoule l’énergie potentielle dont ils ne veulent
rien savoir. Après Wikileaks, Avaaz,
Anonymous, le Printemps Arabe et Occupy Wall Street, quel ennemi du système
fera encore irruption et quel moyen sera déployé pour le contenir ? Question plus embarrassante encore, combien
de gens seront emportés par la prochaine vague ?
Quand les justifications d’un système ne tiennent plus,
il faut trouver d’autres raisons, d’autres fondements et d’autres projets de
société. Si vous ne les inventez pas,
qu’est-ce qui nous attend tous ? Quelles
perspectives d’avenir nous laissez-vous entre les mains ? Nierez-vous encore longtemps le poids de
l’héritage que vous laissez aux suivants ?
N’amorcerez donc vous rien, avant vos départs respectifs, qui pourrait
servir d’orientation pour ceux qui prendront le relais ? Où sont passés nos leaders ?
« Occupons » et compagnie, ce n’est pas le capitalisme,
ce n’est pas le communisme, ce n’est pas le socialisme et ce n’est pas
l’anarchisme. C’est quelque chose de
nouveau que le monde ne pourra pas gérer avec de vieilles idéologies. Vous aurez besoin de penseurs pour penser une
suite qui n’a pas encore été pensée.
« Il faudra penser l’impensé, » rappelait Willy Apollon. Vous n’avez aucune solution à nous proposer
parce que toutes les solutions qui existent ont été inventées pour faire face à
des problèmes qui n’ont pas grand chose à voir avec ceux qui se dressent devant
nous. Vous avez encore le pouvoir de
vous entourer de penseurs capables de produire une idéologie pour la
suite. Laissez les solutions de côté un
moment. C’est de la poudre aux
yeux. Vous n’en avez pas. Je n’en ai pas non plus.
Je vous laisse sur cet éloquent discours des Indignés,
sortant de la bouche du Sénateur américain Bernie Sanders, le 6 décembre 2010,
il y a donc près d’un an…
… et sur ces images d’indignés qu’on dit
« indignes » de leurs questions.
Éric Chiasson, médecin psychiatre
Source: LaMetropole.com
LETTRE OUVERTE : « UN MÉDECIN INDIGNÉ »