se sera nettement distinguée en attaquant directement la mafia, ce qui est un
geste absolument spectaculaire partout dans le monde et encore plus ici au
Québec, où la question de la corruption au niveau municipal est un tabou chez
les politiciens. La loi de l’omertà s’applique à plein. Pas pour Chantal
Rouleau qui, dès septembre dernier, alertait l’opinion publique sur les
pressions exercées par la mafia pour prendre le contrôle des travaux
d’infrastructures à Montréal.
Elle a révélé l’existence d’un système de partage
territorial des travaux de construction au sein des clans mafieux. Du jamais
vu dans l’histoire politique du Québec. De retour de vacances, elle a bien voulu
commenter sa nomination. « Je suis très honorée. Beaucoup de citoyens
m’ont dit que je leur ai redonné confiance en la politique. Il faut les
comprendre, beaucoup de politiciens les ont tellement trompés qu’ils sont
devenus cyniques. Et c’est pour cette raison que je suis dans cet univers,
c’est pour apporter du changement ».
Sa première sortie publique contre la
corruption n’a pas été préméditée. « Je n’en ai parlé à personne. Pas même
à madame Harel, ni à mes proches. C’est lorsqu’Alain Gravel est venu
m’interroger pour l’émission Enquête, à Radio-Canada, où l’on devait parler de
tout autre chose, que la conversation est tombée sur une question d’un contrat
précis dans mon arrondissement. Et c’est là que spontanément j’ai levé le voile
sur ce que je savais du système en place ». Et loin d’avoir suscité la
désapprobation, son témoignage lui a valu des félicitations des élus de tous
les partis, de fonctionnaires, de représentants des forces policières.
« J’ai eu des concitoyens qui se trouvaient en Gaspésie et qui ont appris
la chose là-bas, en raison de l’appui public du maire Labeaume ».
LA SITUATION PERDURE
Au
cours de sa première sortie de l’automne dernier, elle déclarait être exaspérée
de voir que des entreprises en lien avec la mafia obtiennent des contrats dans
son arrondissement tout simplement parce qu’ils offrent la plus basse
soumission. Elle a demandé du même coup des amendements aux articles de la loi
sur les Cités et villes pour abolir cette pratique d’adjudication des contrats.
Au cours d’une entrevue à Radio-Canada elle a dit : « C’est honteux qu’on
soit au courant de ça et qu’on ne puisse rien faire ». Et ce n’est pas
près de changer.
« Vous vous souvenez du ministre des Affaires municipales
qui a dit à l’endroit des maires qui éprouveraient des problèmes, de lui faire
parvenir les soumissions à problèmes? Qu’il s’en chargerait. C’est ce que j’ai
fait. On m’a répondu qu’on ne pouvait rien faire ». Elle estime qu’il
faudra maintenir la pression sur Québec. Elle n’avait pas fait mystère de sa
crainte de représailles, mais elle s’est rendu compte d’une chose : « J’ai
su que certaines personnes visées n’ont pas apprécié tellement. Mais la
meilleure protection qui soit, c’est celle des médias ». Elle a
appelé à la mobilisation des citoyens, les appelant à descendre au besoin dans
la rue pour dénoncer cet état de fait.
PÉRÉQUATION SCANDALEUSE
Ce
qui choque le plus la mairesse, c’est l’attribution des enveloppes budgétaires
par l’administration centrale de la mairie. « C’est absolument indécent.
On fonctionne dans Rivière-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles avec le même
budget qu’il y a dix ans. On a réussi à ne pas instaurer de taxe spéciale et à continuer à offrir de bons services. Mais imaginez qu’en dix ans, les coûts liés
à l’énergie et les rémunérations des employés ont drôlement grimpé
depuis ». En cours de conversation elle juge que « si la Ville avait géré
son budget sans être à la merci d’attributions de contrats à des taux
prohibitifs, nous ne serions jamais endettés comme maintenant et j’étais soumise à
ces hauses de taxes répétitives ».
LA FAMEUSE LETTRE À CHAREST
Mais
son geste le plus spectaculaire aura été cette lettre envoyée au premier
ministre Jean Charest, réclamant la tenue d’une commission d’enquête sur la
construction et où, d’entrée de jeu et sans détours, elle confirme : « La
collusion est érigée en système à Montréal ». Le premier ministre se
trouvant alors en Espagne avait pris la chose très au sérieux. Et quelques
semaines plus tard, retournement de situation, lui qui ne voulait pas de cette
commission d’enquête proclamait finalement sa tenue. On peut écrire sans
l’ombre d’un doute que Mme Rouleau, par son grand courage, a été l’artisane de
ce revirement. « Je suis certaine que c’est la goutte qui a fait déborder
le vase ». Nous tenions à souligner ce haut fait d’arme.