« De
façon générale, nous sommes favorables aux ententes de libre-échange à travers
le monde, tout en reconnaissant que si on veut des industries locales, on doit
parfois mettre en place des règles qui permettent de les développer », a
déclaré le président et chef de la direction de la multinationale montréalaise,
Pierre Beaudoin, au cours d’une récente entrevue avec La Presse Canadienne. « Ça
dépend des choix qu’on va faire comme société, mais je trouverais ça malheureux
qu’on ne mette pas en place un environnement qui permet de développer une
industrie au Canada, a-t-il ajouté.
Pourquoi? Parce que notre voisin américain
a le Buy America Act, qui demande de la fabrication locale (au moins 60 pour
cent dans le secteur du transport en commun). Alors si on est les seuls à ne
pas le demander, qu’on ne se surprenne pas après ça de ne pas avoir d’industrie
locale. Je pense que (le Canada) a un avantage aujourd’hui avec le transport en
commun et je pense qu’on devrait le garder. »
Dans
l’appel d’offres pour le remplacement des voitures du métro de Montréal, Québec
a imposé aux constructeurs une exigence minimale de 60 pour cent de
« contenu canadien ». Un consortium formé de Bombardier et du français
Alstom a remporté ce contrat de 1,3 milliard $ en 2010.
Les achats
d’autobus urbains sont également assujettis au respect d’une règle semblable. En
Ontario, une politique prévoit un contenu canadien minimum de 25 pour cent pour
toute acquisition de véhicule de transport en commun. Or, ces
dispositions pourraient devenir illégales dans le cadre d’un libre-échange avec
l’UE. Après tout, le premier objectif de l’Europe dans le cadre des
négociations en cours est d’obtenir accès aux appels d’offres gouvernementaux
au Canada.
« Je
serais surpris que les Européens acceptent d’exempter le marché du transport en
commun », a estimé Patrick Leblond, professeur à l’École supérieure
d’affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa. M. Leblond
a souligné que deux des plus grands constructeurs mondiaux de matériel roulant
sont européens: Alstom et Siemens. Joint à
son bureau mercredi, le négociateur en chef du Québec dans ce dossier, Pierre
Marc Johnson, a refusé net de commenter cet aspect particulier, invoquant la
confidentialité des pourparlers.
La
division ferroviaire de Bombardier est née de l’octroi d’un contrat de
construction de voitures pour le métro de Montréal, au début des années 1970. M. Beaudoin a
cependant réfuté l’idée que la politique québécoise d’achat local ait favorisé
indûment l’entreprise. « Je ne
pense pas que ça aide Bombardier, a-t-il affirmé. Je pense que ç’a aidé à
développer une industrie locale, que ça soit moi ou un concurrent. Ce que ç’a
fait, c’est de créer des jobs au Canada. (…) Et ça nous a permis de
développer un savoir-faire qu’on a pu exporter à l’étranger. »
Même si
des questions ont été soulevées quant au prix des futures voitures du métro de
Montréal, le pdg a martelé que l’exigence de contenu canadien « ne devrait
jamais être une raison pour avoir des produits qui ne sont pas concurrentiels ». Quoi qu’il
arrive, Bombardier assure être en mesure de faire face à la musique. « Nous
sommes capables d’être concurrentiels dans à peu près n’importe quelles
conditions, a insisté Pierre Beaudoin. On l’a prouvé. Mais il faut que tout le monde
joue avec les mêmes règles. »
En fait,
Bombardier apparaît être en meilleure position que Siemens et Alstom dans
l’éventualité d’un libre-échange Canada-UE. Le constructeur québécois exploite
plusieurs usines en Europe alors que ses rivaux européens n’en possèdent
pratiquement pas en Amérique du Nord. L’ouverture
du marché canadien aux Européens pourrait toutefois les inciter à s’installer
sur le continent et à jouer sur le terrain de prédilection de Bombardier. L’action
de Bombardier a clôturé à 4,65 $ mercredi, en baisse de 1,3 pour cent, à la Bourse de Toronto.