Sur Internet, les appels aux rassemblements étaient d’autant plus nombreux
après l’échec des négociations entre les associations étudiantes et le
gouvernement, jeudi en fin d’après-midi. À
Montréal, la police faisait état peu après 22h de la convergence d’au moins
trois manifestations en une seule, réunissant plusieurs milliers de personnes.
La manifestation s’est terminée vers minuit 30. Deux arrestations étaient
signalées en vertu de règlements municipaux, et une autre pour voie de fait sur
un policier.
Dans
l’ensemble, les gens se faisaient entendre dans le calme, avec cris et
casseroles. Plusieurs arrondissements montréalais avaient organisé des
rassemblements. À Québec,
où plusieurs centaines de gens ont manifesté leur grogne, des projectiles ont
été lancés contre les policiers, et une arrestation a été effectuée sur la côte
d’Abraham pour agression armée. Les protestataires s’étaient rassemblés devant
l’Assemblée nationale, pour manifester leur mécontentement envers le gouvernement
libéral. Cette manifestation a été déclarée illégale vers 21h, et s’est conclue
environ deux heures plus tard.
Disant
avoir atteint une « impasse », la ministre de l’Éducation, Michelle
Courchesne, a quitté jeudi la table de négociations au quatrième jour de la
quatrième ronde de discussions avec la
FECQ, la FEUQ,
la CLASSE et la TACEQ, représentant à elles
quatre environ 150 000 étudiants québécois toujours en grève. Le premier
ministre Jean Charest a d’ailleurs évoqué la possibilité que le débat sur la
hausse des frais de scolarité soit tranché par des élections générales. Sans
donner plus de précisions, M. Charest a rappelé qu’un scrutin doit se tenir au
cours des 18 prochains mois.
Sur
Internet, citoyens et regroupements étudiants appelaient la population à
descendre de nouveau dans la rue pour manifester leur mécontentement. Des
utilisateurs du réseau social Twitter faisaient état d’événements à Limoilou,
Rosemère, Gatineau, Rimouski et Granby, en plus de divers regroupements sur
l’île de Montréal, dont la désormais bien connue manifestation nocturne partant
du parc Émilie-Gamelin, dans le centre-ville. Celle-ci a
été déclarée illégale par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM)
vers 20h30, les autorités n’ayant pas reçu l’itinéraire à l’avance. Le SPVM
disait toutefois tolérer l’événement en l’absence de gestes criminels, comme
cela fut le cas au cours des derniers jours.
Dans le
parc, les manifestants semblaient fâchés des nouveaux développements de la
crise sociale. L’un d’entre eux, Frédéric Pépin, appuyait la controversée
hausse des droits de scolarité avant de rejoindre les « casseroleurs »
car il pense que le gouvernement Charest a pris une « mauvaise
décision » en n’oeuvrant pas plus fort pour conclure une entente avec les
groupes étudiants. « Je
suis personnellement très en colère parce que je crois que le gouvernement a
fermé la porte aux discussions », a dit M. Pépin, un étudiant en génie.
« C’est au gouvernement d’agir et voilà pourquoi je suis là ce soir. »
Selon lui,
le mouvement demeure fort et devrait continuer à grossir. M. Pépin invite
également le premier ministre Charest à déclencher des élections pour laisser
les électeurs voter sur la question de la hausse des frais de scolarité. Parmi les
différentes manifestations à la grandeur de la province, on retrouve une
majorité de rassemblements de « casseroles », ces personnes faisant
résonner leurs instruments de cuisine en opposition, principalement, à la loi
78. Celle-ci impose certaines restrictions aux manifestants, dont l’obligation
de fournir à l’avance l’itinéraire pour toute manifestation de 50 personnes ou
plus.
CHRONOLOGIE DES HAUSSES
DES DROITS DE SCOLARITÉ
Voici une chronologie du conflit entre les étudiants et le gouvernement du
Québec au sujet des droits de scolarité:
LES PRINCIPAUX PROTAGONISTES
FECQ:
Fédération étudiante collégiale du Québec (23 assos: 80 000 étudiants)
FEUQ:
Fédération étudiante universitaire du Québec (15 assos: 125 000 étudiants)
CLASSE:
Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (env.
100 000 membres)
TACEQ:
Table de concertation étudiante du Québec (4 assos: 65 000 étudiants
universitaires)
1990: le
gouvernement libéral de Robert Bourassa fait passer les droits de scolarité de
500 à 1600 $ en quatre ans, avec une hausse annuelle de 280 $. Des milliers
d’étudiants descendent dans la rue, mais le premier ministre reste inflexible.
1996:
quelque 100 000 étudiants déclenchent une grève en octobre lorsque Pauline
Marois, ministre péquiste de l’Éducation, propose une hausse des droits
d’environ 30 pour cent. Elle revient rapidement sur sa décision, et décrète
même un gel jusqu’à au moins 2007.
2005: le
gouvernement libéral de Jean Charest veut réduire le budget de l’aide
financière de 103 millions $. À la mi-mars, plus de 200 000 étudiants sont en
grève. Quelques semaines plus tard, Québec recule.
2007: les
libéraux annoncent une hausse des droits de scolarité de 500 $ sur cinq ans.
_____
Mars 2011:
le ministre des Finances, Raymond Bachand, annonce que Québec augmentera les
droits de scolarité à compter de septembre 2012 à raison de 325 $ par année
pendant cinq ans. La hausse totale (75 pour cent) est de 1625 $, faisant passer
la facture des étudiants à 3793 $ en 2017. Les droits de scolarité au Québec
seront encore parmi les plus bas au Canada.
Août 2011:
les étudiants lancent officiellement leur campagne contre la hausse.
10
novembre 2011: une importante manifestation se déroule à Montréal et les
associations étudiantes promettent de faire front commun afin d’augmenter la
pression sur Québec.
13 février
2012: les premières associations étudiantes votent en faveur de la grève
générale illimitée.
23
février: des étudiants bloquent l’accès au pont Jacques-Cartier, à Montréal.
7 mars:
durant un affrontement avec la police, l’étudiant Francis Grenier est
grièvement blessé à un oeil. Les étudiants soutiennent que c’est une grenade
assourdissante lancée par la police qui est responsable de la blessure, ce qui
n’a jamais été confirmé. Le jeune homme devient un symbole pour ses pairs.
21 mars: les
étudiants commencent à adopter des tactiques visant à perturber l’économie
québécoise. Un groupe occupe le pont Champlain durant l’heure de pointe du
matin. Chaque manifestant reçoit une contravention de 494 $.
22 mars:
plus de 100 000 personnes participent à une manifestation pacifique, attirant
l’attention sur un mouvement étudiant qui ne cesse de prendre de l’ampleur.
27 mars:
des manifestants bloquent les entrées du siège social de la SAQ à Montréal, alors que les
étudiants prennent toujours pour cibles des symboles économiques.
2 avril:
l’édifice du bureau montréalais de Line Beauchamp est peint en rouge.
L’immeuble devient un point de ralliement populaire durant les manifestations.
5 avril:
offre de Québec, qui bonifie son programme de prêts et instaure un régime de
remboursement proportionnel au revenu des diplômés.
16 avril:
le service du métro de Montréal est interrompu après que des sacs remplis de
briques aient été jetés sur les rails. Les bureaux de quatre ministres sont
vandalisés.
18 et 19
avril: plus de 300 personnes sont arrêtées à Gatineau durant des affrontements
entre policiers et manifestants sur le campus de l’Université du Québec en
Outaouais.
20 avril:
la police et les manifestants s’affrontent devant le Palais des congrès de
Montréal, où se tient un salon de l’emploi pour le Plan Nord de Jean Charest,
qui en fait des blagues. Plus de 100 manifestants sont arrêtés durant deux
jours marqués par des accrochages violents avec l’unité antiémeute.
22 avril: la CLASSE se prononce
finalement contre la violence _ les porte-parole disaient jusque-là qu’ils
n’avaient pas ce mandat. La ministre Beauchamp faisait de cette dénonciation la
condition à la participation de la
CLASSE aux négociations.
23 avril:
début des négociations entre le gouvernement et les regroupements étudiants
afin de mettre fin au conflit qui dure maintenant depuis 11 semaines.
25 avril:
le gouvernement rompt les négociations en soutenant que la CLASSE adopte une position
trop ambiguë face à de nouvelles manifestations musclées à Montréal. D’autres
manifestations violentes éclatent dans la métropole: des banques, voitures et
commerces sont endommagés, et 85 personnes sont arrêtées.
26 avril:
les étudiants souhaitent retourner à la table de négociations mais le
gouvernement refuse, jugeant inacceptable le plan de la FEUQ d’inclure dans sa
délégation deux membres de la
CLASSE exclue.
27 avril:
par le biais des médias, le gouvernement Charest propose, dans une
« solution globale », d’étaler sur sept ans au lieu de cinq la hausse
des droits de scolarité, mais de l’indexer au coût de la vie dès la 6e année,
ce qui fait passer la hausse totale de 75 à 82 pour cent. Le gouvernement
propose aussi d’ajouter 39 millions $ au régime des bourses. Ces propositions
sont très mal reçues par les regroupements étudiants, et les manifestations
relativement paisibles se poursuivent _ notamment tous les soirs à Montréal.
1er mai:
en conférence de presse, la FECQ
et la FEUQ déposent
une « contre-offre » en sept points, qui maintient le gel des droits de
scolarité et reprend finalement leurs suggestions pour réduire les dépenses des
universités. La ministre Beauchamp qualifie cette contre-proposition de simple
« justification » des revendications traditionnelles.
3 mai: la CLASSE reprend la
contre-proposition des deux fédérations étudiantes, et suggère d’autres avenues
pour financer l’enseignement, dont le rapatriement de 142 millions $ de fonds
consacrés à la recherche, et l’abolition de la publicité des universités (18
millions $). Les manifestations nocturnes continuent d’attirer des milliers de
personnes au centre-ville de Montréal.
4 mai: une
manifestation organisée à Victoriaville en marge du conseil général du Parti
libéral du Québec vire à l’émeute, donnant lieu à de violents affrontements
entre les manifestants et les policiers de la Sûreté du Québec. L’incident fait plusieurs
blessés; un jeune manifestant perd un oeil alors qu’un agent se fait battre par
des contestataires.
5 mai:
après de longues heures de négociations, une entente de principe est conclue
qui reporte de quelques mois la hausse des droits de scolarité, et table sur
les économies que l’on pourrait trouver dans le fonctionnement des
établissements. Les assemblées étudiantes la rejettent massivement, mais
certaines décident de mettre fin à la grève.
10 mai:
des bombes fumigènes lancées dans diverses stations du métro de Montréal
provoquent une interruption de service en pleine heure de pointe matinale. La
police publie des photos des suspects prises par d’autres passagers à l’aide de
téléphone mobile. Quatre personnes se rendont à la police le lendemain.
14 mai:
Line Beauchamp démissionne de son poste de ministre de l’Éducation et quitte la
vie politique. Elle est remplacée par Michelle Courchesne, qui était
responsable de ce ministère avant que Mme Beauchamp n’en hérite au mois d’août
2010.
16 mai:
des manifestants, dont plusieurs portant des masques, arpentent les couloirs de
l’UQAM à la recherche de cours à interrompre. Des altercations s’ensuivent
entre eux et les étudiants qui veulent continuer à aller en classe. Le même
jour, le premier ministre Charest annonce un projet de loi spéciale comprenant
une suspension de l’année scolaire pour les établissements touchés par la
grève.
17 mai: le
gouvernement présente le projet de loi 78, qui prévoit des amendes salées pour
les personnes qui bloqueront l’accès aux établissements scolaires, ainsi que
des règles plus sévères pour encadrer le droit de manifester. Les manifestants
doivent fournir leur itinéraire huit heures d’avance, et la police a le droit
de changer le parcours.
18 mai: la
loi 78 est adoptée; Montréal adopte aussi un nouveau règlement municipal qui
interdit le port de masques durant certaines manifestations.
19 mai: la
manifestation nocturne à Montréal dégénère, les protestataires allumant des
feux et érigeant des barricades dans les rues du Quartier latin. La police est
accusée d’user de force excessive, notamment en aspergeant de poivre de cayenne
les clients de la terrasse d’un bar de la rue Saint-Denis. À New York, le
groupe montréalais Arcade Fire prend d’assaut la scène de l’émission
« Saturday Night Live » aux côtés de Mick Jagger en arborant le fameux
carré rouge.
21 mai: la CLASSE annonce son intention
de désobéir à la loi spéciale; d’importantes manifestations nocturnes
continuent à se dérouler pendant le long week-end de la fête des Patriotes.
22 mai: à
l’occasion du 100e jour de grève étudiante, plus de 100 000 personnes
participent à une manifestation plurielle à Montréal; plusieurs défient la loi
78 en dérogeant à l’itinéraire soumis à la police. Des rassemblements
solidaires ont également lieu à Paris, New York, Vancouver et Toronto. Les
syndicats de l’extérieur de la province promettent de continuer
à soutenir
financièrement la cause.
23 mai:
les processions de casseroles, pratique inspirée du Chili, se multiplient aux
quatre coins de la province, attirant chaque soir des foules de plus en plus
nombreuses et diversifiées, qui prennent d’assaut les rues en jouant
allégrement du chaudron. Même si la loi 78 a été souvent violée, aucune amende n’a été
imposée jusqu’ici en vertu de cette loi d’exception.
24 mai:
arrestation de masse à Montréal et Québec: près de 700 personnes sont
interpellées dans le cadre d’une opération policière controversée. La majorité
d’entre elles reçoivent une contravention de 634 $ pour « rassemblement
illégal ». Jean Charest rappelle son ancien chef de cabinet, Daniel
Gagnier.
25 mai:
les associations étudiantes, les syndicats et des dizaines de groupes déposent
deux requêtes en Cour supérieure du Québec pour obtenir la suspension de la loi
78, puis son éventuelle invalidation.
28 mai:
les leaders étudiants et le gouvernement sont de retour à la table des
négociations, à Québec. À l’extérieur, 84 personnes sont arrêtées en soirée par
la police, dont un des négociateurs de la CLASSE et… un jeune homme déguisé en banane.
29 mai: le
premier ministre Charest confirme qu’il a pris part brièvement aux pourparlers
de la veille _ c’est la première fois qu’il rencontre les leaders étudiants _
Le porte-parole de la
CLASSE Gabriel Nadeau-Dubois comparaît en Cour supérieure à
Québec, où il plaide non coupable à une accusation d’outrage au tribunal, parce
qu’il aurait incité les étudiants à bloquer l’accès aux établissements
scolaires.
30 mai:
alors que les négociations se poursuivent à Québec, des concerts de casseroles
sont organisés dans plusieurs villes canadiennes _ « Casserole Night in
Canada » _ mais aussi à New York, en appui aux étudiants québécois.
31 mai: à
la quatrième journée de négociations, la ministre Courchesne déclare que les
discussions « sont dans une impasse ».