Une somme de 100 $ pour des livres
scolaires, quelques jours de congé ici, un médecin de famille pour tous, 3000 $
pour changer ses fenêtres… Depuis le début de la campagne électorale, Jean
Charest et François Legault rivalisent d’annonces simples et concrètes, très
ciblées. Une méthode qui rappelle aux observateurs celle employée avec succès
par Stephen Harper lors des dernières campagnes fédérales. C’est ce
qu’on appelle les « micro-campagnes » : dévoiler tôt le matin (pour imposer le
thème de la journée) une mesure limpide qui s’adresse à une portion précise de
l’électorat.
Au printemps 2011,
M. Harper avait ainsi enchaîné les annonces de crédit
d’impôt ciblées (activités sportives, leçons de piano, pompiers volontaires…)
ou les reconductions de programmes. Toujours simples, toujours claires,
toujours faciles à résumer en moins de 140 caractères. L’objectif ? Aller
chercher des votes auprès d’un électorat identifié à l’avance au moyen d’études
stratégiques détaillées – un art dans lequel les conservateurs sont passés
maîtres.
Et ce
qu’on voit des campagnes de Jean Charest et de François Legault depuis le 1er
août ressemble beaucoup à ça, note Eric Montigny, politologue à l’Université
Laval. «Mario Dumont avait utilisé un peu cette stratégie en 2007 et en 2008
[notamment avec les 100 $ par semaine pour les parents de jeunes enfants qui ne
vont pas en garderie], mais c’est beaucoup plus marqué cette année, dit-il. On
propose quelque chose de concret, de facile à comprendre. »
Les
exemples abondent dans les caravanes libérales et caquistes. Chez les libéraux,
Jean Charest a promis lundi 100 $ aux parents du primaire pour acheter du
matériel scolaire. Mardi, c’étaient 3000 $ en crédit d’impôt aux propriétaires
qui feront des « rénovations vertes » à leur maison. Mercredi, il a indiqué
vouloir étendre la couverture dentaire gratuite à tous les jeunes de moins de
16 ans (la protection de la RAMQ
s’arrête à 10 ans actuellement). À travers cela, quelques mesures plus larges,
comme le maintien à l’emploi des travailleurs d’expérience ou l’aide aux jeunes
prestataires d’aide sociale pour accéder au marché du travail.
Du côté de
la Coalition
avenir Québec (CAQ), François Legault a promis mardi la réduction du fardeau
fiscal des familles de la classe moyenne de 1000 $ (200 $ par année). Mercredi,
il promettait cinq jours de congé payés pour permettre aux parents de répondre
à leurs obligations parentales. Jeudi, cinq heures de plus de cours par semaine
à l’école secondaire. Il y a eu aussi les promesses pour garantir un médecin de
famille à chaque Québécois, et les 50 millions pour permettre aux étudiants du
primaire et du secondaire d’aller voir quatre spectacles artistiques par année.
Du concret, du précis.
À
l’inverse, le Parti québécois a pour le moment opté pour des engagements de
plus grande ampleur, liés à une certaine affirmation nationale. Création d’un
Fonds d’investissement stratégique de 10 milliards, rapatriement du régime
d’assurance-emploi au Québec, création d’une Banque de développement économique
du Québec, « changements révolutionnaires pour assurer de meilleurs soins aux
aînés », nouveau régime de redevances minières. « On n’est pas dans le même
registre que les deux autres », dit M. Montigny.
VUE D’ENSEMBLE
« Sur le
plan communicationnel, la stratégie des annonces simples est très efficace,
indique Frédéric Bastien, chercheur au Groupe de recherche en communication
politique. Les gens aiment des engagements qui sont précis plutôt que de
grandes annonces qui demeurent un peu vagues. » Mais… il y a un mais.
« J’y vois
un revers en matière de gouvernance, dit M. Bastien. Un parti qui aspire au
pouvoir aura à gérer un grand nombre de dossiers. On ne peut pas réduire un
mandat à quelques points précis, comme les conservateurs l’ont fait en 2011 avec
leur plan en cinq points. Un parti qui choisit – à la manière du PQ – de
présenter un programme qui est davantage macro que micro a un plus grand défi
en matière de communication, mais il fournit plus d’informations sur ce qu’il
fera une fois au pouvoir. Ça peut être plus rassurant pour les électeurs. »
C’est là
une approche plus « traditionnelle », mais qui a de fait ses vertus, ajoute
Antonia Maioni, professeure de science politique à l’Université McGill. « Ça
dépend de la perception qu’on a de l’électeur, dit-elle. Croit-on qu’il
n’accrochera qu’à une promesse particulière ? Ou croit-on qu’il veut une vue
d’ensemble du projet présenté pour être rassuré sur la capacité du futur
gouvernement de bien gouverner dans tous les dossiers ? »
En
concentrant leur message sur des mesures bien déterminées, François Legault et
Jean Charest « ont l’avantage de diriger un peu plus la couverture médiatique
et de contrôler le message », dit Mme Maioni. Mais elle rappelle que « faire
une campagne sur des promesses pointues fait en sorte qu’on ne parle pas de
tout ». En 2011, par exemple, Stephen Harper n’a jamais évoqué le recul de
l’âge d’admission aux prestations de la Sécurité de la vieillesse de 65 à 67 ans. « Les
promesses que l’on fait sont précises, mais le reste demeure très flou », dit
Mme Maioni.
« Les
électeurs doivent aussi sentir que les petites annonces s’inscrivent dans un
vrai plan de campagne, ajoute Éric Montigny. Il ne faut pas que ça ait l’air
d’un collage, ça prend une cohérence d’ensemble – et une cohérence budgétaire.
Les gens doivent voir le fil conducteur. On verra plus tard dans la campagne si
M. Charest et M. Legault ont réussi ça, ou si Mme Marois s’en est mieux tirée
avec son approche. » Surtout, dit-il, que M. Charest « n’a pas réussi pour le
moment à imposer le thème de la journée comme le réussissait généralement M.
Harper. Or, sans cet élément, les promesses ciblées se perdent vite. »
Source :
LeDevoir