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La mort en douce…

Tout indique que nous n’étions pas les seuls à guetter La Mort en douce, puisque la soixante-cinquième édition du
festival de Cannes lui aura fait l’honneur de le sélectionner en compétition
officielle, histoire de donner à Brad Pitt une chance de succéder à Jean
Dujardin. La précédente œuvre du
cinéaste prenait à rebrousse poil tout un pan du western et de l’histoire
américaine, la nouvelle s’attaque au thriller et à ses ramifications récemment
sanctifiées par la pop culture tarantinesque.

Sur le papier, tous les ingrédients
d’un film d’arnaque gouailleur et énervé sont réunis : personnages azimutés,
machination brinquebalante, mafieux adipeux et lubriques, tueurs déphasés et
némésis impitoyables. Sauf qu’il ne sera ici jamais question d’agencer tout ce
petit monde autour d’une suite de rebondissements rigolards et cyniques, encore
moins de transformer les protagonistes en hommages sur pattes. Car si Killing Them
softly
 est
éminemment cinématographique, il se garde bien de convoquer ses ancêtres et
influences de manière trop visible. Au contraire, il s’évertue à piétiner
systématiquement les icônes charriées par un script en apparence très convenu.

Le casting s’en
donne à cœur joie, Brad Pitt (impérial) en tête, suivi de près par un James
Gandolfini qui trouve là tout simplement son meilleur rôle au grand écran,
sorte de morse dépressif et violent, dont l’implosion guette à chaque seconde.
Mais Dominik ne se contente pas de distribuer les bonnes répliques et les poses
mémorables, il use de sa distribution comme d’un outil signifiant, comme en
témoigne le rôle tenu par Ray Liotta. Ce dernier connaîtra une destinée aussi
pathétique que tragique, dont le seule raison d’être semble le renoncement au
noir romantisme scorsesien. À l’inverse, le rôle qui aurait dû être celui du
parrain est tenu par l’archétype le plus contraire qui soit, à savoir Richard
Jenkins, qui prête ici ses traits à un avocat, émissaire d’un nébuleux conseil
d’administration. Qu’on se le dise, les classiques et les cadors n’ont qu’à
bien se tenir, car ils n’ont pas leur place ici.

L’esthétique du
film saura heureusement se faire moins discursive que le script (un peu bavard
il est vrai), et se “contenter“ d’enchaîner séquences et images élégantes,
voire classieuses. Elles auront encore toujours dans l’idée de subvertir
l’atmosphère que le spectateur est en droit d’attendre de tel ou tel passage
obligé, mais leur réussite est ailleurs. À l’instar L’Assassinat de Jesse James
on demeure estomaqué par la propension de Dominik à toujours trouver où placer
sa caméra, et de quelle manière conférer à son récit l’impact le plus puissant.
Qu’il s’agisse de la vibration d’une portière, du travelling minimaliste
accompagnant un cul-sec ou de l’insert hilarant sur la trogne d’un chihuhua
apeuré, la mise en image du film est une mine de trouvailles aussi racées que
cohérentes avec l’esprit de ce « ride » dépressif.

Dépressif car Killing them softly est l’un des films consacrés à la
crise économique les plus désespérés et définitifs qu’on ait vu depuis
longtemps, bien qu’il ne soit pas le premier à appeler de ses vœux une
démystification du rêve américain. Les plus optimistes verront dans la période
choisie par le réalisateur le signe que Dominik considère l’Amérique PRÉ-Obama comme une
terre de déréliction (les débats de second tour entre l’actuel président et le
candidat républicain rythmant l’intégralité du métrage), les autres ne pourront
réprimer un frisson, quand lors d’une tirade finale implacable, Pitt renvoie
dos à dos ces deux visions, faces opposées de la même pièce contrefaite. Qu’on
ne s’y trompe pas, le monde de Cogan n’est pas celui des gangsters et autres
trafiquants, il n’a valeur que d’allégorie de l’entreprise occidentale moyenne.
Celui qui jadis en eut été le maître incontesté s’est transformé en exécuteur
des basses œuvres, commandité par un anonyme conseil d’administration, pour
liquider le petit personnel. America
is not a country, it’s a business
.

Source : EcranLarge.com

KILLING THEM SOFTLY