citoyens avec juste raison. Dans ma carrière de psychiatre j’ai évalué plusieurs policiers et aussi
des agents correctionnels qui souffraient de stress post-traumatique. Il est clair que leur métier est difficile. Ce qui rend ce métier difficile c’est que,
assez souvent, ils sont insultés, injuriés et doivent répondre avec ce qui est
permis par la loi ce qui n’arrive pas à défouler leurs sentiments de rage et
d’impuissance qu’ils gardent en eux et qui parfois,
finalement, créent des
maladies psychosomatiques ou des problèmes psychiatriques. Donc je suis très au courant que leur métier
n’est pas facile et que parfois ils sont au bout de leur patience.
Par contre, il y a un certain nombre de principes qui devraient être mis
en œuvre pour pouvoir quand même se défouler ou exprimer ses sentiments même si
ces sentiments sont ceux de rage et de colère sans dévaloriser les personnes
dont on parle et sans manquer de respect.
Un des points qui m’a le plus impressionné négativement des paroles du
matricule 728 c’est quand elle compare des habitants de Montréal à des
rats.
LES NAZIS TRAITAIENT LES JUIFS COMME DES RATS
Je n’ai pas pu faire autrement que de rapprocher cela aux nazis qui
traitaient les juifs comme des rats.
D’ailleurs, il y a une scène assez impressionnante dans le film
« Chandler List » où l’on voit un gardien de prison considérer la
servante juive qui s’occupait de sa maison être considérée comme un rat et
s’étonner qu’il puisse avoir des désirs pour elle puisque, théoriquement, cette
personne étant juive n’était même pas un être humain.
Donc, le fait de comparer des citoyens à des animaux qui habituellement
sont vus comme négatifs est une manière de les déshumaniser. C’est un premier pas vers des génocides ou
des actions graves. D’autres insultes
comme « mangeux de marde » ou autres sont évidemment un manque de
respect et surtout une classification des citoyens dans un cadre tout à fait
inadéquat. À force d’avoir ce type de pensée on finit par avoir aussi des actes
inadéquats.
COMMENT FAIRE POUR DÉFOULER SANS
DÉSHUMANISER NOTRE PROCHAIN?
Je dois dire que nous autres, en psychiatrie, on est aussi pris avec un
certain problème. On est obligé
d’accepter les comportements des patients qui ont des tendances à vouloir nous
dévaloriser. Mais aussi le plus souvent,
c’est que notre action, comme d’ailleurs celle des policiers, doit être
justifiée non pas par nos sentiments (contre transfert) mais par ce qui
pourrait être utile pour la personne qui est devant nous.
Cela nous demande de se contrôler et de ne pas toujours laisser sortir
certains sentiments que des individus activent en nous. Parfois il est important de leur signaler
d’une manière thérapeutique et d’analyser ce qu’on appelle le contre transfert
en psychanalyse mais très souvent ce n’est pas le temps de le faire sur le
moment.
Plusieurs expériences dans le domaine de la thérapie familiale m’ont
appris à agir d’une manière qui pourrait aider les policiers. À un moment donné, alors que nous étions une
équipe à faire la thérapie de couple, en voyant un couple parfois on prenait à
part un des deux membres du couple et on lui donnait notre appréciation du
conjoint. À certains moments donnés, il
a pu arriver que ce soit la personne à qui l’on parle qui dise à son conjoint
ce qu’on lui avait dit. À d’autres
moments, il est aussi arrivé que la personne dont nous parlions nous ait
entendu. Parfois, ce que nous avions dit, n’était pas tout à fait accepté et
même provoquait de la rage, de l’incrédulité et nuisait beaucoup à la relation
thérapeutique.
Par la suite, nous avons pris l’habitude que lorsque nous parlions à un
seul conjoint de le faire comme si l’autre était présent, ce qui forçait à être
transparent.
De plus, nous avions des réunions d’équipe où nous parlions des cas et
évidemment le patient n’étant pas là, c’était une bonne occasion de pouvoir un
peu se défouler des tensions que ces personnes avaient suscitées chez nous. On
relatait des scénarios qu’ils nous avaient présenté et on pouvait se permettre
de donner nos sentiments vis-à-vis ces scénarios là ce qui nous aidaient à nous
défouler. Nous avions pris l’habitude de
parler de nos patients comme s’ils avaient pu nous écouter. Nous insistions plus sur nos sentiments
devant eux, que de les catégoriser.
JAMAIS ON NE DÉVALORISE UN PATIENT
Mais à de rares moments, j’ai vu des personnes qui travaillaient avec
moi parler négativement des patients et pouvoir dire qu’elles les
haïssaient. Donc, j’ai institué dans mon
travail une règle que jamais on ne dévalorise un patient même en son
absence.
Une bonne méthode pour arriver à cela c’est une méthode d’ailleurs que
l’on utilise dans les couples, c’est de ne jamais qualifier la personne qui est
en face de nous et de plutôt dire les sentiments qu’elle nous suggère. Par exemple, au lieu de dire : «Monsieur, vous êtes agressif et hostile. »
On peut dire : « Devant
vous je me sens agressé et j’ai l’impression de sentir de l’hostilité, est-ce
que cela correspond vraiment à ce que vous ressentez? » On s’aperçoit qu’on peut passer beaucoup de
messages en parlant de nos sentiments et que chaque personne a droit à ses
sentiments ou à son opinion et ce n’est pas la même chose que de manquer de
respect parce qu’on catégorise la personne qui est devant nous.
Si je reviens au matricule 728, je pense que cette personne aurait pu dire : « J’étais devant des gens qui
semblaient unis entre eux et j’avais peur qu’ils me sautent dessus c’est pour
ça que j’ai agi de cette manière. »
Au pire, elle peut dire : « Je considère que les carrés rouges devraient être aux études plutôt que
sur la rue. » C’est son opinion, mais ce n’est pas dévaloriser les
citoyens qui d’une manière démocratique font une démonstration. De la même manière, la personne aurait pu
dire, « je ne comprends pas tous ces
artistes qui sont des rêveurs et je pense qu’ils devraient être plus
réalistes » ou « ça me
hérisse de voir des gens qui paraissent avoir peu d’utilité sociale. » À la rigueur, ce sont des sentiments qui
pourraient être nommés sans catégoriser un type de citoyen.
Malgré tout, personnellement je tiens à dire que si le Québec n’avait
pas des artistes pour rehausser non seulement son budget mais aussi sa
notoriété, on serait certainement beaucoup plus démunis. De toute façon dans mon blogue sur
l’imagination, j’ai beaucoup insisté sur le fait que le manque d’imagination
était extrêmement nocif. Par contre, je
peux comprendre que cela puisse irriter certaines personnes mais à ce
moment-là, il faudrait qu’il y ait un entraînement systématique à pousser les
gens à exprimer leur ressentis que soit leur rage, leur déception ou leur
colère en commençant leur énoncé par « Je me sens….». Nous pensons que ce serait extrêmement utile
et productif.
LA MARCHE MÉDIATIQUE (PERP WALK) : INTIMIDATION POLICIÈRE
Un autre manque de respect que je trouve exagéré c’est ce qu’on appelle
aux États-Unis la marche médiatique.
Lorsque Dominique Strauss-Kahn a été pris pour évaluation de ce qui
s’était passé avec la femme de chambre, qu’il était supposé avoir abusé
sexuellement. Avant même qu’on puisse
prouver sa culpabilité, on lui a tout de suite mis des menottes et on l’a fait
parader devant tous les médias comme s’il était déjà coupable. C’est une technique d’intimidation de montrer
l’individu comme déjà coupable ce qui peut influencer par la suite un jury et
ce qui est également un manque de respect.
On a connu au Québec des personnes accusées à tort pendant de nombreuses
années, donc je pense que ce style de démonstration américaine ne devrait pas
nous rejoindre car c’est aussi une forme de manque de respect. Cette parade des médias est assez commune dans le système légal
américain mais beaucoup plus dans la ville de New York. Ça consiste à prendre un homme (ou une femme)
accusé, qui a été arrêté récemment et de le faire parader en public pour
attirer l’attention des médias. La
culpabilité n’a pas encore été établie par un procès à ce moment-là mais cela
ne compte pas.
L’intention est de créer de bonnes photos opportunistes avec l’individu
habillé, habituellement avec des habits de prison et ayant les menottes. Avant 1990, c’était utilisé pour des
criminels violents et cela peut nous reporter à l’Ouest sauvage où ces
criminels étaient appréhendés et amenés à travers les rues par le shérif pour
prouver à toute la ville comment il était bon dans son travail.
Depuis 1990, surtout à l’instigation de Rudolph Giuliano qui est devenu
maire en 1994, les criminels cols blancs ont souvent été amenés à cette parade
médiatique. Dominique Strauss-Kahn, un
individu avec un profil très spécial était une excellente occasion pour les
cercles policiers et juridiques de démontrer leur efficacité au public.
Les photographies de DSK, comme on le sait maintenant, ont été faites
tout le long de son trajet. C’était une
partie intégrale de cet événement nouveau dès qu’il a été connu et les
premières images que les gens ont eues, c’était le directeur
général du FMI (Fond monétaire international) qui était fatigué,
échevelé, les mains menottées derrière son dos en même temps sortait contre lui
l’accusation. On savait très bien qu’il
était impossible d’éviter la publication des photos, à une époque saturée de
médias.
Mais, cette pratique de la parade médiatique va beaucoup plus loin que
simplement une opportunité pour la
Presse de publier des photos de l’accusé, l’intension est
d’orchestrer spécifiquement, lors de cet événement, tout un scénario et de
créer une impression de culpabilité. La
marche médiatique donne un air de culture de télévision au système judiciaire
et intrinsèquement cela semble indiquer la culpabilité.
Celui qui marche est montré menotté et humilié comme une personne
coupable. Cette coutume n’est pas du
tout acceptée en France et les français ont fait les critiques les plus
importantes. Cela a été considéré comme
brutal, violent et cruel et d’autres ont même dit que c’était une coutume
médiévale.
En réponse aux objections françaises de ce type de photos, le maire de
New York, Michael Bloomberg a dit : « Si vous ne voulez pas de parade médiatique, ne faites pas de
crime. » Ce qui est apparemment
une logique digne de Kafka puisqu’on semble dire, s’il a été arrêté, c’est
qu’il est coupable alors qu’en fait ce n’est pas encore prouvé. Par la suite, si l’individu est innocent, il
a été humilié par les agents du gouvernement sans raison valable et même s’il
est coupable il mérite que son cas soit évalué en Cour et non pas par les
médias.
Nous voyons donc qu’il y a plusieurs manières de déshumaniser quelqu’un
dont une beaucoup utilisée à New York.
Nous pensons que le métier de policier n’est pas facile, il est plein de
stress importants mais nous espérons que nous avons donné quelques conseils
pour pouvoir exprimer sa colère, sa rage, sa frustration ou son impuissance
sans être obligé de déshumaniser les personnes qui ont causé ces émotions.